Le premier ministre avait jusqu’au 23 novembre 2016 pour remettre ce rapport.
Qui a fait quoi ? Qui devrait faire quoi ? Qui a failli où ? Comment en est-on arrivé là ? En attendant les résultats des trois enquêtes diligentées par la justice (pour sept jours à compter du 22 octobre), le chef de l’État (à livrer dans 30 jours à compter du 25 octobre) et le groupe Bolloré, la rédaction revient sur les rôles et missions manqués des divers acteurs en amont en aval du drame.
Depuis le 21 octobre 2016, le Cameroun porte le deuil des passagers du train 152 qui a déraillé à Eséka, causant la mort de plusieurs dizaines de personnes, selon des chiffres officiels (un peu plus de 79 pour le moment). Alors que les secours continuent de sortir les corps des quatre wagons qui ont atterri dans le ravin, la polémique enfle de plus en plus sur les responsabilités. Entre le gouvernement, englué dans une communication aux positions contradictoires et Camrail qui soutient avoir respecté toutes les procédures pour engager la locomotive qui volait au secours des voyageurs en détresse à cause de l’axe lourd coupé en deux à Manyaï, le peuple tient à trouver ses coupables. En attendant l’issue des trois enquêtes en cours : une politico-administrative diligentée par Paul Biya lui-même, placée sous la coordination du Premier ministre, une judiciaire menée par les procureurs de la république près le tribunal d’Eséka et du tribunal de Grande instance du Mfoundi (Yaoundé), et une enquête interne à Camrail menée par le groupe Bolloré, concessionnaire du chemin de fer camerounais. Mais la rédaction essaie à sa manière d’établir les implications des différents acteurs en fonction de leurs territoires de compétence.
Paul Biya : Etranger chez lui-même
La constitution du Cameroun fait de Paul Biya le responsable de la marche du pays. L’homme est ainsi responsable devant la nation. En raison de ce qu’il est le choix de la majorité à travers le suffrage universel direct. Mais l’homme de 84 ans qui est au pouvoir depuis 34 ans, est constamment parti du pays. Malgré les tribulations du gouvernement à tenir les promesses que l’Homme du 06 novembre a faites à ses gouvernés pour se faire réélire en 2011, le capitaine n’a pas changé. Et au moment où survenait le double-drame du Nyong-et-Kelle, le président de la république purgeait son 34ème jour à l’étranger. Parti le 18 septembre pour l’Assemblée générale des Nations unies, Paul Biya avait quitté Washington après le sommet, pour une direction officiellement inconnue.
Responsable devant la nation, l’homme assiste passivement aux hécatombes sur le triangle de la mort que constituent les axes Douala-Yaoundé, Yaoundé Bafoussam et Bafoussam-Douala depuis de longues années. Distant de son peuple, le chef de l’Etat n’a que rarement emprunté les routes de son pays, si ce n’est lorsqu’il se rend dans son village Mvomeka, à quelques deux cents kilomètres dans le sud du pays. Pour le reste, l’homme pour qui, «tant que Yaoundé respire, le Cameroun vit», reste coupé de la réalité de son pays, et vit cloitré derrière les murs du Palais de l’Unité à Yaoundé. Se faisant représenter à toutes les cérémonies festives comme funestes touchant à la vie de son pays. Laissant le libertinage à chacun de ses «esclaves», de gérer à sa convenance son secteur.
Edgard Alain Mebe Ngo’o : Ponce-Pilate se mue en Narcisse, hélas!
Le ministre des Transports est la cible de la plupart des flèches dirigées contre le gouvernement. Si Edgard Alain Mebe Ngo’o peut à juste titre être le dépositaire d’une parcelle de pouvoir dans le secteur aujourd’hui sinistré, il reste que l’homme, mû par un esprit du «m’as-tu vu», a ravi la vedette à son collègue des Travaux publics, dès la survenue de l’incident de Manyaï. C’est que, Bad Boy a négocié, selon des sources dignes de foi, pour être l’invité du journal parlé de 13h du poste national de la Crtv ce jour-là. Pour parler de la réaction gouvernementale face à l’effondrement de la chaussée sur l’axe lourd Douala-Yaoundé, à Matomb ; mais surtout démentir l’information d’un déraillement du train. Il faut paraitre comme le plus engagé face à la triste situation des populations. Sur un terrain où le collègue est principalement interpellé. Mais Bad boy restera sourd à toute idée contraire. Et pourtant, au moment même où il intervient en direct, le drame vient d’avoir lieu. «Un haut responsable de la Crtv lui a même confirmé à la fin de l’interview, qu’effectivement il y a déraillement ; mais il a toujours nié», soutient une source crédible. Il faudra revenir au journal de 17h pour se rattraper. Entre temps, de l’eau a coulé sous le pont. Et Mebe Ngo’o l’a payé. Le Mintransports a échappé de justesse à un lynchage à Eséka, selon un témoin de la scène. Des mécontents ne supportant pas que l’homme «se moque des Camerounais dans le malheur». Convaincus que le Mintransports connaissait l’information au moment de l’interview.
Pis, au fil de ses sorties, Mebe Ngo’o multipliera ses gaffes. Après avoir déclaré avoir instruit Camrail d’augmenter ses capacités, l’homme fera marche arrière. «Au niveau du transport ferroviaire, la capacité du train a été significativement renforcée. Les trains N°152 de 10h25 en provenance de Yaoundé et à destination de Yaoundé, et N°153 de 14h45 en provenance de Douala et à destination de Yaoundé ont été équipés de huit voitures supplémentaires qui ont donné une capacité additionnelle de 680 par train, soit au total 1336 places. J’ai prescrit à la Camrail, compte tenu de la gravité de la situation, de mettre en œuvre des mesures spéciales additionnelles pour accroitre la capacité de ces trains», annonçait-il à 13h. Et à 17h, ceci : «la décision d’ajouter le nombre de wagons a été prise en interne par la société Camrail». D’ailleurs, «si Camrail a augmenté les capacités des trains, c’est que techniquement, c’était faisable. Je ne suis pas technicien», s’en dédouane-t-il. Lui qui s’est mué en organisateur du travail gouvernemental dans cette crise : rendant publique les actions menées et à mener par les autres acteurs (Mintp, Dgsn, Camair-co, etc.).