Au Sénégal, Khalifa Sall, soupçonné de détournements de deniers publics et d’association de malfaiteurs, est en détention depuis mardi soir 7 mars. Désormais, le maire de Dakar va devoir préparer sa défense et s’expliquer devant le juge sur l’utilisation par sa mairie de 2,7 millions d’euros. Au cœur du débat : l’indépendance de la justice.
Défendu par une batterie d’avocats, Khalifa Sall aura à s’expliquer sur l’utilisation par sa mairie de 2,7 millions d’euros. L’argument principal de sa défense n’est pas juridique, mais politique. Maître Clédor Ly dénonce en boucle une justice aux ordres. « C’est un dossier qui est politique, nous le savions. Tout cela pour un homme qui aspire à la magistrature suprême, cela fait quand même mal », assure-t-il.
Seydou Gueye, porte-parole du gouvernement, balaye cet argument et considère au contraire que l’indépendance de la justice est une volonté du président Macky Sall. « Un gouvernement n’a pas pour mission de faire de la manœuvre politique. C’est à l’honneur de la justice que de se montrer une véritable autorité, un véritable pouvoir dans notre pays, puisqu’on a trop crié sur la justice, suspectant son indépendance », rappelle-t-il.
Désormais soutien de Khalifa Sall, le PDS d’Abdoulaye Wade. Le porte-parole du Parti démocratique sénégalais, Babacar Gueye, estime que les chefs d’inculpation ne sont pas corrects. « Khalifa Sall a certainement commis par négligence une faute de gestion. Je ne pense pas que cela ait été une occasion pour lui de s’enrichir de manière illicite. Je ne pense pas aussi qu’il y ait un détournement de deniers publics et qui aurait eu pour conséquence un enrichissement personnel », commente-t-il.
L’incarcération du maire de Dakar fait donc bondir son camp politique, mais également les organisations de défense des droits de l’homme. Maître Assane Dioma Ndiaye, avocat au barreau et président de la Ligue sénégalaise des droits humains, dénonce cette décision judiciaire.
Les clefs de ce dossier sensible sont désormais dans les mains du juge qui va multiplier sans aucun doute les interrogatoires et les confrontations.
Les cartes rebattues pour les élections
Pour la classe politique, c’est une situation tendue, complexe. Il y a un an s’organisait le dialogue national. Désormais, à quatre mois des élections législatives, la campagne est concrètement lancée. « Nous rendrons tous les coups qui nous seront donnés », déclarait le maire de Dakar, 24 heures avant son placement en détention. Une bataille s’annonce, mais les avocats du maire de Dakar, notamment Clédor Ly, estiment qu’un accord politique pourrait être trouvé dans le dossier Khalifa Sall. « En matière politique, il faut se battre simplement. Nous, nous sommes des avocats, nous ne sommes pas des politiciens et souvent ça se règle aussi sur le terrain politique. »
L’inculpation de Khalifa Sall a en tout cas accentué la volonté de l’opposition de créer une grande coalition. « L’affaire Khalifa Sall va accentuer cette exigence d’aller ensemble et même si Khalifa Sall doit rester en prison pour les élections législatives ici à Dakar, de toute façon il les remporte », estime Babacar Gueye, le porte-parole du PDS.
Les autorités revendiquent la démocratie, le respect de la justice. Pour le porte-parole du gouvernement, le fait que Khalifa Sall soit en prison n’est pas un problème si le maire de Dakar se déclare candidat à la députation. « On a connu des candidats sur des listes qui étaient en prison, rappelle Seydou Gueye. Avons-nous les moyens de faire triompher le droit ? Oui, je le crois. »
Les listes pour les législatives doivent être présentées d’ici fin mars. Au même moment, le juge sera en pleine instruction du dossier judiciaire de Khalifa Sall.
Par
– RFI[spacer style="1"]
Cheikh Guèye, premier adjoint au maire de Dakar: c’est «un règlement de comptes»
Le maire de Dakar en prison… la nouvelle fait sensation. Depuis plus de 25 ans, Khalifa Sall est un poids lourd de la politique sénégalaise. Et depuis mardi 7 mars, il est inculpé et écroué pour détournement présumé de fonds publics. Y a-t-il un rapport avec sa décision de faire cavalier seul aux législatives de cette année et, qui sait, à la présidentielle de 2019 ? Cheikh Guèye est le premier adjoint au maire de Dakar et le maire de la commune de Dieuppeul-Derklé. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
« Ce chapelet de charges est bâti sur un tissu politique. Je considère tout cela comme un prétexte fallacieux pour mettre la main sur quelqu’un, dont l’esprit de transparence est connu de tous. […] Il s’agit d’un règlement de comptes. »
Les maires du Sénégal et de la Francophonie solidaires de Khalifa Sall, écroué à Dakar
L’incarcération du maire de Dakar en pleine nuit provoque un mouvement de solidarité parmi ses confrères nationaux et francophones, dont Anne Hidalgo à Paris.
Les maires du Sénégal et de la Francophonie ont exprimé leur solidarité avec Khalifa Sall, leur collègue de Dakar, inculpé de détournement de fonds publics et placé sous mandat de dépôt dans la nuit de mardi 7 au mercredi 8 mars.
Lire aussi : La longue nuit du maire de Dakar, inculpé de « détournements de fonds » et écroué
La justice sénégalaise reproche à Khalifa Sall, maire de la capitale sénégalaise depuis 2009 et probable candidat à l’élection présidentielle de 2019 contre le chef de l’Etat Macky Sall, des dépenses « non justifiées » de plus de 2,7 millions d’euros prélevés, selon elle, dans les caisses de sa mairie, ce qu’il nie.
« C’est trop ! »
« Khalifa Sall est une personnalité dans ce pays. Vouloir le jeter en pâture comme ça, en le mettant en prison alors que le dossier est en instruction, c’est trop, a déclaré mercredi le secrétaire général de l’Association des maires du Sénégal (AMS), Mbaye Dione. On pouvait continuer l’instruction et (le) mettre sous contrôle judiciaire », a poursuivi sur la radio privée Futurs médias (RFM) le responsable de l’AMS, présidée par Aliou Sall, frère du chef de l’Etat.
Lire aussi : Le maire de Dakar entendu par la justice pour des soupçons de détournement de fonds publics
De leur côté, les membres de l’Association internationale des maires francophones (AIMF) déclarent dans un communiqué « réaffirmer leur plein soutien, leur amitié et leur solidarité à l’égard d’un grand maire qui demeure un modèle pour les élus locaux du continent africain ».
L’AIMF, dont Khalifa Sall est le secrétaire général, fait « appel aux autorités sénégalaises pour que cette affaire soit traitée selon les règles internationalement reconnues de l’Etat de droit. » Ils parlent d’un « grand maire qui demeure un modèle pour les élus locaux du continent africain. » La présidente de l’AIMF est Anne Hidalgo, maire de Paris. Dans un communiqué commun avec Metropolis (l’association mondiale des grandes métropoles) et Cités et gouvernements locaux unis (CGLU), elle exprime sa « préoccupation » et appelle les autorités sénégalaises à « soutenir l’Etat de droit. »
Lire aussi : Pourquoi le Maroc domine le classement des 100 villes africaines où il fait bon vivre
Khalifa Sall, dissident au sein du Parti socialiste (PS) et de la coalition au pouvoir, a présenté à Dakar une liste dissidente victorieuse aux élections locales de 2014. Il a ensuite multiplié les critiques contre la coalition présidentielle, appelant notamment à voter non au référendum constitutionnel du 20 mars 2016. Récemment, il a annoncé une liste distincte de celle de la majorité aux élections législatives prévues le 30 juillet, ce qui lui a valu les foudres du pouvoir.