Présomption d’innocence bafouée, détention arbitraire, violation du droit à l’assistance d’un avocat et à un procès équitable… L’arrêt de la Cour de la Cedeao du 29 juin est devenu l’argument numéro un des avocats de Khalifa Sall à l’ouverture de son procès en appel le 9 juillet – lequel a été reporté au 18 juillet le temps d’examiner une demande de « libération d’office » présentée par la défense du maire. Long de 54 pages, le texte des magistrats d’Abuja décortique minutieusement l’ensemble des griefs présentés par la défense de l’édile. Et les réponses de la Cour sont le plus souvent très critiques à l’égard de l’État du Sénégal.
Petit retour en arrière. Le 2 mars 2017, les limiers de la Division des investigations criminelles (DIC) bouclent leur enquête préliminaire sur des petits arrangements autour d’une caisse d’avance dans les finances de la municipalité. Or, comme le souligne la Cour de la Cedao, le procès-verbal établi par la DIC le 2 mars « ne fait nulle part état de ce que les interpellés ont été assistés durant l’enquête de leurs conseils ou ont été informés de leur droit à en constituer ». Conclusion des juges : « le droit à l’assistance d’un conseil des requérants a été violé et la responsabilité de l’État du Sénégal doit être engagée ».
>>> A LIRE – Sénégal – Ouverture du procès de Khalifa Sall : ce que l’accusation reproche au maire de Dakar
Les propos polémiques du procureur
Le 3 mars 2017, alors que l’enquête de la DIC vient à peine d’être bouclée, le procureur de la République fait mention en conférence de presse « d’un montant d’un milliard huit cent millions qu’on a pris des caisses de la ville de Dakar sur la base de faux documents ». Des déclarations « d’une extrême gravité » selon la Cour de la Cedeao, car ils laissent « implicitement entendre aux yeux du public que Khalifa Sall était coupable de détournement de deniers publics ». Et ce, alors qu’aucune décision de justice n’a encore été rendue. Conclusion : « l’État du Sénégal a failli à son obligation consistant à faire respecter le droit à la présomption d’innocence ».
Le 7 mars 2017, Khalifa Sall et sept de ses collaborateurs sont inculpés pour divers délits. Le début d’une longue bataille judiciaire, qui verra notamment les conseils du maire multiplier les recours pour auditionner des témoins ou réclamer une expertise. Las, alors que les procédures de recours étaient toujours pendantes, le juge d’instruction a rendu, le 7 décembre 2017, une ordonnance de renvoi en correctionnelle. Nouvelle conclusion cinglante de la Cour de la Cedeao : « (Ces éléments) font apparaître des violations graves des droits de l’homme, en particulier du droit à un procès équitable ».
Le 14 août 2017, le Conseil constitutionnel proclame les résultats des élections législatives au Sénégal. Le maire de Dakar, qui a mené campagne depuis sa cellule de prison de Rebeuss, a été élu député. Ses partisans soutiennent alors qu’il jouit désormais de l’immunité parlementaire et qu’il doit être libéré immédiatement. Refus successifs du procureur de Dakar, du doyen des juges d’instruction et de la chambre d’accusation de la cour d’appel, qui estiment que les faits reprochés sont antérieurs à son élection.
Revirement du parquet
Mais, le 26 octobre, le parquet décide finalement de saisir l’Assemblée nationale pour lever l’immunité parlementaire de Khalifa Sall – reconnaissant ainsi que celle-ci s’appliquait bel et bien. « L’État du Sénégal aurait dû, dès l’instant où le détenu Khalifa Ababacar Sall a commencé à bénéficier de la couverture de l’immunité parlementaire, entamer les procédures appropriées pour soit suspendre sa détention, soit obtenir la levée de son immunité parlementaire », écrivent les juges d’Abuja. Lesquels concluent : « Sa détention, pendant la période qui a suivi son élection en qualité de député et s’est écoulée jusqu’à la date de levée de son immunité parlementaire, est arbitraire ».
En revanche, la Cour de la Cedeao donne tort sur plusieurs points à la défense de Khalifa Sall et des autres requérants. C’est le cas notamment d’une présumée violation du droit à l’égalité des citoyens devant la loi et devant la justice, ou encore la violation des droits politiques de Khalifa Sall – il réclamait notamment le droit de pouvoir voter lors de sa détention -, ou encore sur la procédure de levée de son immunité parlementaire.
Du côté de l’État sénégalais, on estime dans un communiqué publié le 29 juin que « la décision de la Cour de justice de la Cedeao […] ne concerne pas le fond de l’affaire et ne remet nullement en cause l’autorité de la chose jugée ». « La Cour […] dans sa jurisprudence constante a toujours admis qu’elle n’est pas une juridiction de troisième degré à même d’apprécier les décisions rendues par les juridictions nationales ». Une interprétation à rebours de celle des avocats de Khalifa Sall, qui exigent « la libération d’office » de leur client. Cette demande doit être examinée le 18 juillet prochain lors de la reprise de son procès en appel.
Jeune Afrique 13 juillet 2018