Affaire Nganang, L’arbre qui cache la forêt au Cameroun: Le despotisme légal et son deux poids deux mesures
Il est très intéressant de noter que l’enlèvement puis la séquestration du Dr Nganang coïncident avec deux autres événements marquants de la vie politique camerounaise. Tout d’abord, lorsque le Dr Nganang a été kidnappé, l’honorable Samuel Obam Assam s’est levé au milieu du sénat et a demandé aux forces armées camerounaises, y compris à son propre fils colonel, de se livrer au nettoyage ethnique dans les régions anglophones.
Maintenant que le Dr. Nganang a été libéré suite aux pressions diplomatiques des représentations étrangères et des organisations de défense des droits humains, comme le CL2P, M. Laurent Esso, ministre de la Justice de Biya, vient de signer une circulaire autorisant les services secrets camerounais et les cabinets noirs de la république à engager une guerre sans merci contre la propagation de « fausses nouvelles » sur internet.
Ce nouveau mémo illustre une sorte de pouvoir extra-légale dans lequel le régime de Biya s’est habitué et nous a habitué depuis 35 ans. En effet ce n’est pas un pouvoir exercé par la loi mais par d’autres moyens, par le simple commandement d’une présidence dotée d’un «pouvoir exécutif renforcé» qui, de facto, gouverne par des décrets sans éprouver le besoin de passer par les pouvoirs législatif et judiciaire du pays. Ainsi donc essentiellement l’état administratif joue à la fois le juge, le jury, le bourreau, et le législateur, tous en même temps. Il y a clairement des problèmes de séparation des pouvoirs, et toutes sortes d’autres problèmes relatifs notamment à la procédure, auxquels le gouvernement n’accordent pour ainsi dire le moindre intérêt.
En évaluant l’état administratif au Cameroun depuis 35 ans, le CL2P a noté une forme d’état administratif inefficace et gaspillé, plombé par tous les défauts imaginables et persistants, dont un manque d’éthique et de moralité. Nous avons un État administratif qui ne se soucie pas de l’économie, de l’éducation, de la santé, etc., mais qui est obsédé uniquement à combattre toute forme «d’opposition » qu’il définit comme bon lui semble.
La réalité est que l’état administratif n’est pas notre système légitime de gouvernement au Cameroun. Les Camerounais ordinaires n’ont jamais voté pour une dictature qui constitue une menace constante pour les libertés civiles dans le pays. En fait, le pouvoir administratif élargi du président phagocyte constamment la plupart des droits procéduraux de la Constitution et de nombreuses autres libertés établies par celle-ci. Le CL2P a soutenu pendant des décennies que ce gouvernement est la plus grande menace aux libertés civiles et politiques de notre temps.
L’arbre qui cache la forêt: le despotisme légal et son système de deux poids deux mesures
Bien que la libération du Dr Nganang soit attendue depuis longtemps, elle s’inscrit dans un schéma établi selon lequel les autorités abusives au Cameroun libèrent des individus spécifiques – en particulier après une pression internationale concertée. Ces libérations mettent l’accent sur un double standard juridique, où des individus en possession d’une double nationalité sont plus susceptibles d’être libérés alors que ceux qui ne l’ont pas , comme le ministre d’État Marafa Hamidou Yaya et d’autres prisonniers politiques reconnus par le CL2P continuent parfois des années durant d’être maintenus arbitrairement en détention (malgré les demandes des mêmes partenaires bilatéraux et les résolutions des organisations internationales). Trois raisons expliquent cette prévalence du deux poids deux mesures au Cameroun:
1) Le régime de Yaoundé a besoin en permanence d’un bouc émissaire pour masquer ses propres manquements à ses obligations et responsabilités. Aussi pour apaiser une population dominée et masochiste, le gouvernement sert régulièrement ces boucs émissaires nationaux au public pour assouvir son désir de «punition exemplaire». Curieusement cette une punition ne doit en aucune manière jamais être transposée dans les urnes dans une démocratie qui se veut apaisée, et dont les élections sont systématiquement truquées.
2) Ces rituels de punition et de représailles contre la dissidence politique visant les Camerounais ordinaires qui exercent leurs droits souverains sont en réalité le véritable outrage, pas les insultes envers un président omnipotent. Ils montrent un régime autocratique et gérontocratique qui attend une loyauté aveugle et un asservissement total de tous, autant de caractéristiques que l’on retrouve habituellement chez les autocrates narcissiques et rancuniers comme Biya.
3) La relâche du Dr. Nganang démontre aussi l’hypocrisie du régime derrière son argument de «neutralité » juridique. En fait la libération du Dr. Nganang expose l’arbre qui cache la forêt au grand jour: un despotisme légal à deux visages. C’est précisément cela la farce entretenue par le régime de Yaoundé qui prétend respecter la division du pouvoir et l’indépendance de l’institution judiciaire. Car ce régime a juste une fois de plus fait tomber son masque et devient davantage ridicule en brandissant l’argument de la neutralité. Il est clair qu’il a plus peur des ambassades des pays puissants que de son propre peuple. C’est l’exemple type du «Kiss up and Kick down,» un néologisme anglais utilisé pour décrire la situation où les employés de niveau intermédiaire dans une organisation sociale sont polis et flatteurs vis-à-vis de leurs supérieurs, mais abusifs voire tyranniques envers leurs subalternes.
Mais même si la pression extérieure semble particulièrement opérée sur la dictature camerounaise dans des cas bien spécifiques de ressortissants à double nationalité (occidentale et camerounaise), le CL2P croit toujours que les changements significatifs ne viendront que de la pression convergente intérieure et extérieure, exercée sur des systèmes totalitaires qui comme celui-ci, parviennent à se maintenir en emprisonnant des opposants, en prenant en otage des bi-nationaux, puis en relâchant de manière sélective celles et ceux dont ils jugent qu’ils ne représentent plus de menace réelle. Ne perdons jamais de vue que l’objectif pour le régime de Yaoundé c’est la réduction à néant toute dissidence, et l’emprisonnement de toute menace émergente participe de cette stratégie.
La libération de Dr. Nganang devrait certes être célébrée (parce qu’un libre penseur a pu retrouver rapidement sa liberté), mais le régime de Biya ne devrait pas pour autant être félicité. Cette libération ne devrait pas non plus être interprétée comme une preuve concrète de l’affaiblissement d’un régime dans une répression aveugle et sauvage programme déjà sa «victoire» à la prochaine élection présidentielle en 2018.
Il faudra à l’évidence faire bien plus que libérer uniquement le Dr Nganang de la séquestration grâce à la pression internationale, mais aussi tous les autres prisonniers politiques. Parce qu’il y va de la libération du Cameroun entier d’une tyrannie implacable.
Le Comité de Libération des Prisonniers Politiques
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English version
Affair Nganang, The Tree that Hide the Forest in Cameroon: Legal Despotism and its Two-Tier system
It is very interesting to note that Dr. Nganang’s kidnapping and sequestration coincide with two seminal events in Cameroonian politics. First, when Dr. Nganang was kidnapped, the honorable Samuel Obam Assam stood in the middle of the senate and asked the Cameroonian Armed Forces, including his own son, to engage in ethnic cleansing in the Anglophone-speaking regions.
Now that Dr. Nganang has been freed due to diplomatic pressures from foreign embassies and human right organizations, such as the CL2P, Mr. Laurent Esso, Biya’s minister of justice, presenting himself as judge and jury, signed a memo allowing Cameroonian secret services and its deep state to engage in a war against the propagation of “fake news” on the internet. These new memo exemplifies a sort of extra-legal power the Biya’s regime has since habituated into. This is not power exercised through law but through other means, through mere command of a presidency with “reinforced executive power” which claims that he can, de facto, rule by decrees bypassing the legislative and judicial power in the country. So essentially, the administrative state plays judge, jury and executioner, and legislator, all at the same time. So there are separation of powers issues, and there are all sorts of other due process issues, procedural issues that the government does not care about.
In evaluating the administrative state in Cameroon for the past 35 years, the CL2P has noted a form of inefficient and wasteful administrative state contaminated by so many deep flaws and more lack of ethics and morals. We have an administrative state that does not care about the economy, education, health and so on but obsess to fight any forms of “opposition” it defines as it sees fit.
The reality is that the administrative state is not our system of government in Cameroon. Ordinary Cameroonians have never voted for a dictatorship that is a constant threat to civil liberties in the country. In fact, the president’s expanded administrative power constantly eviscerates most of the procedural rights in the Constitution, and many other freedoms established by the Constitution. The CL2P has argued for decades that this government is the greatest civil liberty threat of our time.
The Tree that Hide the Forest: Legal Despotism and its Two-Tier system
While Dr. Nganang’s release is long overdue and ought to be celebrated, it fits into an established pattern in which abusive authorities, in Cameroon, release specific individuals — particularly after concerted international pressure. These releases emphasize a legal double-standard where ordinary Cameroonians in possession of a dual citizenship are more likely to be release while those who did not, such as senior minister Marafa Hamidou Yaya, and others political prisoners recognized by the CL2P are never released for four reasons:
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The regime of Yaoundé needs scapegoat for its own derelictions of duties. Therefore, to appease a dominated and masochistic population, the government regularly serves the public with scapegoat to assuage their desire for punishment. Punishment that can never take place at the ballot boxes since election are rigged in Cameroon.
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These rituals of punishment and retaliation against perceived political dissidence and ordinary Cameroonians that exercise their sovereign rights is the real outrage not insults to the president. It shows an autocratic and gerontocratic regime that expects blind loyalty and subservience from everyone—qualities usually found in narcissistic, vengeful autocrats.
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The treatment of Dr. Nganang also demonstrates the regime’s hypocrisy and pretense of “neutrality.” In fact, the release of Dr. Nganang reveals the forest from the tree- legal despotism with two faces—the regime of Yaoundé claim to respect the division of power and the independence of the judiciary is actually a farce. The regime, in fact, just dropped, one more time, any pretense of neutrality now. In fact, the Yaoundé regime is more afraid of the embassies of powerful countries than of its own people. A true example of « Kiss up and Kick Down, » an English neologism used to describe the situation where mid-level employees of an organization are polite and flattering to superiors, but abusive towards subordinates.
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Thus, while pressure may work in individual cases in Cameroon, the CL2P still believes that meaningful changes can be motivated in systems that have survived by jailing opposition and selectively releasing those who no longer pose a threat and whose release garners the state praise and a momentary release from pressure. It is true that the regime of Yaoundé remains geared toward silencing dissent and jailing any emergent opposition threat. Dr. Nganang’s release should be celebrated, but the Biya’s regime should not be praised for it. Nor should the release of Dr. Nganang to be construed as concrete evidence of softening of a regime which will most assuredly win the presidential election a little more than a year away, will have to do more than the release of Dr Nganang from jail to demonstrate progress.
The Commitee For The Release of Political Prisoners