Du Congo-Brazzaville de Sassou Nguesso au Rwanda de Paul Kagame…l’Afrique équatoriale reste ainsi la région la plus obscurantiste du monde, où des satrapes s’abritent derrières des valeurs dites bantous pour se pérenniser indéfiniment au pouvoir.
Il n’en reste pas moins que Bantou ou non, grand bâtisseur ou non, aucun Homme ne doit s’estimer si indispensable, si irremplaçable pour prendre un peuple en otage des décennies durant. C’est faire injure à l’intelligence humaine et à tout progrès.
Le Comité de Libération des Prisonniers Politiques (CL2P)
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«Sassou», maître du Congo jusqu’en 2031?
Internet et certains téléphones coupés, interdiction de manifester, maintien à résidence de figures de l’opposition, déploiement militaire d’ampleur : Denis Sassou-Nguesso a une fois de plus usé de la force pour faire adopter par référendum une nouvelle Constitution taillée sur mesure.
Selon les résultats officiels, annoncés mardi 27 octobre et contestés par l’opposition, 92,96 % des votants ont approuvé le changement de la Loi fondamentale. Certes, celle-ci modernise la gouvernance et les institutions congolaises. Mais elle permettrait aussi à Denis Sassou-Nguesso, qui cumule déjà trente années au pouvoir, de rester à la tête de l’État jusqu’en… 2031, au terme de trois nouveaux mandats si, comme personne n’en doute, il se représente en 2016.
Le pouvoir fait fi de l’exaspération d’une partie de la population
Denis Sassou-Nguesso, l’ex-agent de renseignement devenu général puis président passé par un marxisme tropical et brutal, vient en effet de démontrer sa mainmise absolue sur ce riche pays pétrolier dont près de la moitié des 4,4 millions d’habitants vit sous le seuil de pauvreté. A la tête d’un système clanique et opaque, le pouvoir fait fi de l’exaspération d’une partie de la population.
Sur un continent où les exemples de transitions démocratiques se multiplient, Denis Sassou-Nguesso perpétue donc une tradition d’un autre âge. A l’image de cette région d’Afrique centrale, « la dernière d’Afrique [avec quelques cas comme l’Erythrée, la Gambie, l’Algérie ou le Zimbabwe] où des vieux dictateurs corrompus s’accrochent au pouvoir et malmènent la démocratie », comme l’observe le sénateur congolais Nicéphore Fylla Saint-Eudes.
Dans cette région riche en ressources naturelles et en proie à l’instabilité, les chefs d’État s’entraident pour la préservation du pouvoir. Ainsi José Eduardo Dos Santos, 73 ans, qui dirige l’Angola depuis 1979, a soutenu militairement Denis Sassou-Nguesso, et aidé financièrement et diplomatiquement le président burundais, Pierre Nkurunziza, réélu cet été dans un climat de terreur pour un troisième mandat. Au Cameroun, Paul Biya, 82 ans, affiche trente-trois ans de pouvoir, un record égalé par son cadet, le président équato-guinéen, Teodoro Obiang Nguema.
Instrumentalisation du traumatisme de la guerre
Certains de ces États, parmi les plus corrompus de la planète, ont aussi en commun des années de conflits armés qui ont bouleversé la région dans la seconde moitié du XXe siècle. Ce sombre passé est aujourd’hui transformé en atout par ces présidents qui n’hésitent pas à instrumentaliser le traumatisme de la guerre pour justifier la répression et leur maintien au pouvoir.
Quitte, comme Denis Sassou-Nguesso, également médiateur de la crise en République centrafricaine, à adopter une posture de vieux sage garant de la paix et de la stabilité régionale.
Mais les temps ont changé. Désormais, plus de 70 % de la population a moins de 25 ans et n’a connu qu’un seul et unique président. Ces jeunes ont suivi en direct les renversements par la foule de dictateurs d’Afrique du Nord en 2011 et, trois ans plus tard, du président burkinabé Blaise Compaoré, un proche de Denis Sassou-Nguesso.
«Déphasage complet»
« C’est un terrible aveu de faiblesse que de dire “Sans moi, le système s’effondre et la guerre reprendra”, car la longévité au pouvoir est incontestablement un facteur d’instabilité en Afrique, explique un diplomate africain en poste dans la région. Ces pouvoirs d’Afrique centrale, en déphasage complet avec les attentes de leurs peuples et du reste du continent, ne vont pas tenir, même avec des changements de Constitution. Et le pire est à craindre s’ils imposent leurs enfants pour leur succéder. »
Ces tentatives de changements constitutionnels dans la région alimentent le risque de crises politiques, voire militaires. Elles se conjuguent à une pénurie de personnalités politiques capables de succéder à ces dinosaures qui ont écrasé leurs oppositions et asphyxié toute ambition dans leur propre camp.
Non sans une certaine paranoïa, ces chefs d’État ne s’entourent plus que des membres de leur famille ou de leur ethnie. Au Congo, en Guinée équatoriale, en Angola, les enfants de présidents ont vu leur influence politique et économique décupler, au point d’incarner le visage de la réussite entrepreneuriale africaine, à l’instar de l’Angolaise Isabelle Dos Santos.
Certains, comme le pétrolier controversé Denis-Christel Sassou-Nguesso, se verraient bien succéder un jour à leur père, comme l’a fait Joseph Kabila qui règne sans gouverner en République démocratique du Congo depuis la mort de son père, Laurent Désiré Kabila, assassiné en 2001.
La « tragédie dynastique », selon les mots d’un diplomate occidental, est également à l’œuvre au Gabon, où Ali Bongo a succédé à son père, Omar Bongo, décédé en 2009, après quarante et un ans à la tête de l’État.
Condamnation des États-Unis
Le changement constitutionnel au Congo est suivi de près par ses homologues de la région, mais aussi par les partis d’opposition et la société civile. Face aux tergiversations de la France qui a fini par ne pas reconnaître les résultats du référendum, les oppositions et les activistes savent désormais qu’ils peuvent davantage compter sur l’inflexibilité des États-Unis qui condamnent sans louvoyer tout changement de Constitution.
Au sein des majorités au pouvoir, comme dans les rangs de l’opposition, reste à penser et préparer l’après, à faire émerger de nouveaux leaders capables d’affronter les héritages de ces vieux chefs d’État qui légueront à leurs peuples des institutions fragiles et une gouvernance parmi les plus mauvaises de la planète.
Joan Tilouine (Brazzaville, envoyé spécial) – Journaliste au Monde
Source : LE MONDE