Les conseils de l’avocate Franco-camerounaise Lydienne Yen Eyoum ont en effet reçu une citation à comparaître le jeudi 28 mai 2015 devant la cour suprême du Cameroun, afin de statuer sur son recours en cassation introduit à la suite de sa condamnation inique à 25 années de prison ferme par le Tribunal Criminel Spécial de Yaoundé vendredi 26 septembre 2014.
À SUIVRE.
Le Comité de Libération des Prisonniers Politiques au Cameroun (CL2P)
Pour comprendre les différents ressorts de ce contentieux, lire notamment le droit de réponse de Lydienne Yen Eyoum à M. Issa Tchiroma Bakary, ministre camerounais de la communication:
En PDF droit de réponse de Lydienne Yen Eyoum à M. Issa Tchiroma Bakary
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AU CAMEROUN, DU BARREAU AUX BARREAUX,
Pourquoi diable la réplique camerounaise du glaive de Thémis s’est-elle abattue sur Lydienne Eyoum?
Un an après son arrestation par une escouade d’hommes en armes, celle-ci a été inculpée de détournement de deniers publics. Les faits incriminés datent de 2004: alors avocate de l’État camerounais, l’intéressée se serait indûment appropriée, à la faveur d’une opération de recouvrement auprès de la Société Générale de Banque du Cameroun, et par le jeu d’honoraires prohibitifs, un coquet pactole. Paradoxalement, le sévère contentieux qui opposait les autorités à la filiale de la banque française aboutira d’ailleurs à un arrangement à l’amiable. Nul doute qu’à l’instar de Michel Atangana, dont j’ai évoqué l’interminable épreuve dans les colonnes de L’Express, Me Eyoum paye avant tout sa proximité avec l’une des bêtes noires du système Biya. En l’occurrence l’ancien ministre Polycarpe Abah Abah. «L’Épervier», nom de code de la rafle anti-corruption amorcée dès 2006, a décidément les serres bien sélectives.
Sur le fond, on s’abstiendra ici de juger de la validité des griefs retenus contre la juriste embastillée. Mais comment taire les bizarreries qui entachent la procédure? En vertu de la loi camerounaise, la période de détention provisoire – dix-huit (18) mois maximum – expirait le 8 juillet 2011. Depuis cette date, le maintien de Lydienne Eyoum derrière les barreaux est donc illégal. Argument martelé bien entendu par ses avocats, Caroline Wassermann et Christian Charrière-Bournazel, notamment dans la tribune qu’a publiée Libération le 18 mai.
En réponse à ce texte, un certain Martin Belinga Eboutou a jugé bon d’adresser voilà peu au quotidien français un «droit de réponse». Indigné à l’évidence par le manque de déférence du tandem envers Paul Biya, il y détaille un argumentaire «d’ordre juridique» et invoque la «séparation des pouvoirs dans les démocraties comme celle du Cameroun». L’ennui, c’est que l’auteur n’est autre que… le directeur du cabinet civil de la présidence. Au mieux, une grossière maladresse ; au pire, un aveu. Un autre passage de la riposte laisse songeur: le plaideur zélé du palais d’Etoudi assimile le mariage de Lydienne avec le Français Michel Loyse, en septembre 2010, à une manœuvre dilatoire. À l’en croire, l’union, qui confère à l’avocate la citoyenneté française, atteste que cette dernière «entend user tous les subterfuges pour échapper à la justice camerounaise». Mauvaise pioche au demeurant: les alliances ont été échangées le 25 août 2006, et c’est en vertu d’une règle bien de chez nous que la captive a acquis quatre ans plus tard la nationalité de son époux.
Voilà qui nous conduit tout droit à une autre étrangeté, très bleu-blanc-rouge celle-là. Après le dépôt, en août 2011 d’une plainte pour «détention arbitraire et actes de torture et de barbarie», Sylvia Zimmermann, doyenne des juges instruction, a estimé par une ordonnance en date du 15 septembre de la même année qu’ « il y a lieu d’instruire pour vérifier la réalité des faits dénoncés ». Cinq jours plus tard, le Parquet, que l’on sait soumis en France au pouvoir politique, interjetait appel de cette décision. S’agissant du sort d’une compatriote, l’argument avancé par le procureur de la République vaut le détour : une telle initiative, lit-on, s’apparenterait à une «immixtion dans un pouvoir régalien [on ne saurait mieux dire] relevant de la souveraineté d’un Etat étranger». Dans sa grande sagesse, la Cour de cassation tranchera…
Avant de s’épancher dans Libé, les avocats de Lydienne Eyoum avaient déjà beaucoup écrit. À Paul Biya soi-même, à son chef de gouvernement, à son ministre de la Justice, aux magistrats camerounais. En vain. Mais les démarches entreprises à Paris n’ont pas eu davantage d’écho. Voilà pourquoi ils ont repris la plume pour alerter Laurent Fabius, successeur d’Alain Juppé au Quai d’Orsay, comme la nouvelle Garde des Sceaux Christiane Taubira. Ils auraient pu joindre à leur missive la question adressée en octobre 2011 au ministre de la Justice de l’époque par leur collègue Arnaud Montebourg, alors député de Saône-et-Loire. Avocat de formation, le titulaire du portefeuille du Redressement productif s’y interrogeait sur les motifs d’une éventuelle obstruction de Paris. Si d’aventure ses craintes étaient fondées, le moment serait venu de démontrer par les actes que « le changement, c’est maintenant ».
Par Vincent Hugeux, Hebdomadaire l’Express,