Faut-il s’inquiéter d’un durcissement sécuritaire, voire de l’installation d’un autoritarisme militariste, dans l’Algérie de l’après-Bouteflika ? L’arrestation, le 9 mai dernier, de Louisa Hanoune, secrétaire générale du Parti des travailleurs, sur ordre de la justice militaire, plonge l’opinion dans l’inquiétude. Convoquée par le tribunal militaire, cette leader politique aurait été accusée de complicité avec le « complot » dont sont accusés les ex-patrons des services secrets, Mohamed Médiène et Athmane Tartag, ainsi que le frère du président déchu, Saïd Bouteflika, incarcérés dans la prison militaire de Blida depuis le 5 mai. Ces derniers sont officiellement accusés par le parquet militaire de « complot contre l’État » et d’« atteinte à l’autorité de l’armée ».
Le Parti des travailleurs a dénoncé l’incarcération de sa dirigeante historique, parlant de « dérive gravissime, un acte de criminalisation de l’action politique indépendante et l’expression d’une volonté de mise au pas des militants et activistes par le pouvoir de fait ». Le Rassemblement pour la culture et la démocratie, par la voix de son président Mohcine Belabbas, ne cache pas son inquiétude : « Les caractéristiques du coup militaire apparaissent jour après jour par le contrôle militaire de la décision politique et l’exercice de la justice par des ordres. » Une ligne partagée par d’autres partis de l’opposition, comme le FFS ou Jil Jadid, ce dernier craint que « ce dernier acte [fasse] peser de lourdes présomptions sur l’orientation que prend le cours des événements ».
Le président du parti islamiste MSP, Abderrezak Makri, a considéré, pour sa part, que « si les autorités judiciaires et militaires ont la preuve d’infractions à la loi et afin de préserver la crédibilité des institutions de l’État et de sensibiliser tout le monde, l’opinion publique doit être éclairée sur la question à travers les données ».
Une détention « inacceptable »
Pour la Ligue algérienne des droits de l’homme (LADDH), « un autre pas est franchi : une femme politique, chef d’un parti, est arrêtée après sa comparution en tant que témoin devant le tribunal militaire, ouvrant par-là la voie à tous les scénarios et à toutes les dérives ». Et d’appuyer : « Cette affaire de conspiration contre l’armée ne sera-t-elle pas un bon alibi pour faire taire toutes les voix discordantes contre la feuille de route politique que le général Gaïd [chef d’état-major] veut imposer au peuple ? » Plus direct, le journaliste et patron de médias électroniques El Kadi Ihsane tweette : « Ahmed Gaïd Salah, hors limite, continue de régler ses comptes personnels en prenant prétexte de la revendication populaire de changement. Louisa Hanoune a dénoncé l’affairisme du clan Gaïd à Annaba [ville de l’est du pays]. Elle est en détention à la prison militaire de Blida. Inacceptable. »
Cette arrestation inédite a provoqué un climat de peur dans la rue algérienne et chez les élites politiques, sans pour autant dissuader les manifestants sortis nombreux vendredi dernier pour les premières marches du mois de ramadan. Du point de vue juridique, le journaliste Yassine Temlali estime, dans une analyse, que l’infraction d’« atteinte à l’autorité de l’armée » n’existe nulle part dans le Code pénal ou le Code de justice militaire ! « Il n’est pas illégitime de penser que l’implication de la justice militaire dans cette affaire vise à empêcher que l’éventuel procès des accusés ne révèle sur le fonctionnement du régime d’Abdelaziz Bouteflika des éléments trop embarrassants pour le régime de facto en place depuis sa destitution », écrit Temlali.
Hier, dimanche, c’était autour du général à la retraite Hocine Benhadid d’être placé en détention provisoire pour avoir, selon le quotidien El Watan, adressé une lettre publique au patron de l’armée, Ahmed Gaïd Salah. Il serait accusé de « porter atteinte au moral de l’Armée » et « d’atteinte à la sécurité de l’État ». L’ancien haut gradé avait déjà été arrêté en septembre 2015 à la suite de déclarations médiatiques hostiles au chef d’état-major, avant d’être libéré pour raison de santé en juillet 2016.
Selon l’opinion publique, tout ce qui ne cadre pas avec la feuille de route du système qui se résume à l’organisation d’une présidentielle le 4 juillet est jugé par les autorités comme une volonté néfaste. Les termes employés dans l’éditorial du quotidien gouvernemental El Moudjahid, samedi dernier, ont choqué plus d’un : « À l’heure actuelle, figure aussi, dans l’agenda du gouvernement, un certain nombre de dossiers susceptibles de moraliser la vie politique. C’est le cas pour la poursuite de la lutte contre la corruption et la dilapidation de deniers publics ou encore la quête de mettre hors d’état de nuire tous ceux et toutes celles qui entravent l’aboutissement du processus légal, passant nécessairement par la tenue d’une présidentielle. »
Or, cette présidentielle semble, selon plusieurs critères, quasi impossibles à tenir dans les délais. Le délai de dépôt des candidatures expire dans une semaine, alors qu’aucune candidature de poids n’a été enregistrée ; et les manifestants ne cessent de refuser catégoriquement cette présidentielle organisée par les « résidus » du système Bouteflika. Une situation de tension intenable : un système qui traque les opposants à une solution impossible à réaliser ! Le 20 mai prochain, le tribunal militaire examinera la demande de liberté provisoire des quatre prévenus Médiène, Tartag, le frère de Bouteflika et Louisa Hanoune.
Par Adlène Meddi, à Alger | Le Point.fr