La presse libre et indépendante algérienne perd l’une de ses figures. Le journaliste opposant au régime Khaled Drareni a été condamné ce lundi à trois ans de prison ferme en première instance.
Incarcéré depuis le 29 mars près d’Alger, le directeur du site d’information en ligne Casbah Tribune, qui est aussi correspondant en Algérie pour la chaîne de télévision française Tv5 Monde et pour l’ONG Reporters sans frontières (RSF), était accusé « d’incitation à attroupement non armé » et « d’atteinte à l’unité nationale ». « C’est un verdict très lourd. On est surpris. Le dossier est vide », a déclaré Me Nouredine Benissad, un avocat de son collectif de défense qui a l’intention de faire appel.
Cette condamnation symbolise le maintien voire le durcissement des atteintes à la liberté de la presse dans certaines parties du monde, alors qu’au même moment, ce lundi, le patron pro-démocratie de médias hongkongais a été arrêté.
Draneni, amaigri, a invoqué « le droit à informer »
Âgé de 40 ans, Khaled Drareni couvrait depuis le début le « Hirak », ce soulèvement populaire qui a secoué l’Algérie pendant plus d’un an jusqu’à sa suspension il y a quelques mois en raison de la pandémie de Covid-19. Lors de l’audience par visioconférence, au cours de laquelle il est apparu amaigri, Khaled Drareni a rejeté les accusations. Il a assuré n’avoir fait que son « travail en tant que journaliste indépendant » et avoir exercé « son droit à informer ».
Au cours du procès, il lui a été reproché d’avoir critiqué sur Facebook le système politique et d’avoir publié le communiqué d’une coalition de partis politiques en faveur d’une grève générale, selon RSF. En novembre 2019, le reporter indiquait déjà au Parisien être victime de pressions. « La liberté des Algériens s’est considérablement élargie depuis le 16 février. Mais la courbe de la liberté de la presse a pris le chemin inverse », s’indignait-il.
« Dérive autoritaire »
Les appels à libérer le journaliste se sont multipliés ces dernières semaines. « Les autorités algériennes doivent relâcher immédiatement et sans condition Khaled Drareni, d’autant qu’il n’existe aucune preuve qu’il ait fait autre chose que son métier de journaliste », a plaidé dans un communiqué le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), ONG basée aux Etats-Unis.
Pour RSF, qui mène une campagne internationale en sa faveur, cette condamnation « soulève le cœur et l’esprit par son caractère arbitraire, absurde et violent ». « Une justice aux ordres vient de faire de Khaled Drareni un symbole qui va susciter une indignation et une mobilisation mondiales », a promis sur Twitter le patron de RSF Christophe Deloire.
La justice algérienne a multiplié les poursuites judiciaires et les condamnations de militants du « Hirak », d’opposants politiques, de journalistes et de blogueurs. Certains journalistes ont été accusés de semer la discorde, de menacer l’intérêt national et d’être à la solde de « parties étrangères ». Plusieurs sont en prison et des procès sont en cours.
Un autre journaliste proche, Ali Djamel Toubal, correspondant du groupe de médias privé Ennahar, a lui été condamné le 14 juillet à 15 mois de prison ferme par la cour d’appel de Mascara (nord-ouest) pour avoir notamment diffusé des images montrant des policiers malmener des manifestants antirégime.
Pour rappel, l’Algérie figure à la 146e place (sur 180) du classement mondial de la liberté de la presse 2020 établi par RSF. Elle a perdu cinq places par rapport à 2019 (141e) et 27 par rapport à 2015 (119e).
Par Le Parisien