En Algérie, le président fait son retour et une série d’annonces
À quelques jours de l’anniversaire du Hirak et après trois mois d’hospitalisation à l’étranger, le président algérien Abdelmadjid Tebboune fait son retour et une série d’annonces dans l’espoir de résoudre un mille-feuille de crises et de se racheter une crédibilité. Plusieurs détenus d’opinion ont été libérés dont le journaliste Khaled Drareni, emblème des voix étouffées en Algérie.
Le président algérien Abdelmadjid Tebboune est de retour. Au pays et sur le front. Tel est le message de son « discours à la nation », diffusé jeudi 18 février à la télévision nationale, pas n’importe quel jour, le jour où l’Algérie célèbre ses martyrs de la guerre d’indépendance qui ont donné leur vie pour libérer le pays du joug colonial français.
Disparu à l’étranger, en Allemagne, pendant trois mois pour se soigner d’une forme grave du Covid-19, Abdelmadjid Tebboune tente de reprendre la main sur sa destinée présidentielle percutée de plein fouet par la pandémie.
À quelques jours du deuxième anniversaire du Hirak, le soulèvement populaire et pacifique qui a chassé son prédécesseur Abdelaziz Bouteflika au pouvoir pendant vingt ans, Abdelmadjid Tebboune a annoncé plusieurs mesures qui avaient commencé à fuiter ces derniers jours.
Parmi celles-ci : la dissolution de l’Assemblée populaire nationale et l’appel à des élections législatives anticipées, un remaniement gouvernemental ainsi que la libération de prisonniers politiques. Objectif : apaiser un climat politique tendu, empêcher la reprise du Hirak, la hantise du pouvoir algérien, et sortir d’une impasse de plus en plus critique.
Un an après son élection contestée, Abdelmadjid Tebboune se débat avec une impopularité maximale, mais aussi avec le Covid-19 car il été personnellement durement frappé par le virus qui bouleverse le monde entier. Rentré en Algérie, après plus de deux mois d’hospitalisation en Allemagne, le président algérien a dû retourner se faire soigner à Berlin, le 10 janvier, pour une complication au pied. Un mois plus tard, le 12 février, il a regagné le pays.
Sa maladie, sa convalescence, son absence du pays durant plus de trois mois en pleine pandémie ravivent les souvenirs humiliants de vacance du pouvoir qui ont marqué la fin de règne de l’ancien président déchu, qui était cloué à un fauteuil roulant. Comme si l’Algérie était aux prises d’une malédiction qui s’ajoute à un mille-feuille de crises, dont les conséquences économiques et sociales dévastatrices de la pandémie et de sa gestion par le pouvoir.
Le président algérien, qui défend son bilan et sa stratégie de lutte contre le Covid-19, a commencé par annoncer la dissolution de l’Assemblée populaire nationale (APN) et la tenue d’élections législatives anticipées. Celles-ci – prévues en 2022 – devraient avoir lieu d’ici la fin de l’année « à l’abri de l’argent sale ou non », a-t-il précisé. Abdelmadjid Tebboune a promis d’ouvrir le Parlement à la jeunesse : « Les jeunes doivent intégrer les institutions politiques, et nous allons les aider, en prenant en charge une grande partie de la campagne électorale. »
Il a ensuite annoncé un remaniement ministériel « dans les 48 heures au maximum ». « Ce remaniement concernera des secteurs qui enregistrent des déficits dans leur gestion ressentis par les citoyens et nous-mêmes », a-t-il insisté mais sans donner de détails. « J’écoute les critiques des citoyens […] et j’ai entendu votre appel », a-t-il assuré.
À l’heure des commémorations célébrant le Hirak qui ont fait sortir des milliers de personnes dans les rues notamment en Kabylie comme à Kherrata, berceau du mouvement, mais aussi de multiples manifestations à travers le pays contre la dégradation des conditions de vie et les mesures imposées par la crise sanitaire, le pouvoir algérien espère par ses annonces contenir des colères multiples.
Autre signal fort : la grâce de plusieurs détenus du Hirak, déjà condamnés, et d’autres détenus dont les dossiers sont en cours d’instruction. « J’ai signé un décret présidentiel pour gracier un groupe de détenus, environ 30 personnes, qui ont été condamnés définitivement, et d’autres personnes, qui n’ont pas été condamnées. Au total, entre 55 et 60 personnes qui rejoindront leurs familles, à partir de cette nuit ou demain », a-t-il précisé. Cette annonce, applaudie, ne signifie pas que la machine répressive va s’enrayer.
En décembre 2019, lors de son élection contestée sur fond d’abstention record, Abdelmajid Tebboune avait déjà promis de tendre la main au Hirak « béni et original », d’ouvrir « le dialogue » et d’être le garant de « la démocratie, l’état de droit et le respect des droits humains ». La réalité a été tout autre. Sa première grâce de détenus du Hirak, en janvier 2020, n’a pas empêché une année noire en termes d’arrestations et d’emprisonnements arbitraires.
Selon le Comité national pour la libération des détenus (CNLD), un groupe de surveillance local, au moins 2 500 manifestants, journalistes et militants ont été arrêtés pour leur activisme pacifique depuis l’éclosion du Hirak. Au moins 350 ont été détenus pendant une semaine ou plus. Au moins 76 sont toujours détenus pour avoir exprimé leurs opinions ou pour avoir manifesté pacifiquement. Depuis des mois, des ONG locales et étrangères dénoncent une répression qui ne cesse de s’accentuer.
« L’Algérie nouvelle », vantée par le nouveau président algérien Abdelmadjid Tebboune, s’accompagne d’une violente répression dans la rue et sur Internet, très loin des promesses de démocratie au lendemain de son élection et dans une quasi-indifférence internationale.
Grâce à un arsenal répressif renforcé par de nouvelles lois votées en catimini au début de la pandémie et instrumentalisées, tel l’amendement au Code pénal criminalisant la diffusion de fausses nouvelles, on ne compte plus les victimes de la restriction des libertés en Algérie, les voix étouffées, bâillonnées, traumatisées.
En témoignent ces quatre emblèmes, malgré elles, des dérives du régime algérien.
Khaled Drareni, 40 ans, a écopé de trois ans de prison ferme en première instance, peine ramenée à deux ans de prison ferme en appel pour avoir fait son métier de journaliste et couvert le Hirak. Soit la plus lourde peine jamais prononcée contre un journaliste depuis l’indépendance du pays en 1962.
Vendredi 19 février, au lendemain du discours présidentiel et après plus de dix mois de détention, il a recouvert sa liberté et fait partie des premiers prisonniers d’opinion à être libéré. Pourra-t-il continuer à exercer son métier de journaliste sans entraves ? Le 25 février, la Cour suprême devait examiner son pourvoi en cassation dans une Algérie classée 146e sur 180 en matière de liberté de la presse par Reporters sans frontières, où au moins seize sites d’information indépendants connus pour leur attitude critique envers les autorités sont actuellement bloqués, dont l’un des plus suivis, TSA, Tout sur l’Algérie.
« Légalement, seuls les gens condamnés définitivement peuvent bénéficier d’une grâce présidentielle, expliquait à TV5 Monde l’un de ses avocats, la figure de la défense des droits humains Mustapha Bouchachi. Le président n’a pas le droit d’intervenir lorsqu’une affaire est en cours devant les tribunaux algériens. Or dans l’affaire de Khaled Drareni, jeudi 25 février, la Cour suprême va se prononcer sur le pourvoi en cassation. Mais en Algérie, la justice n’a jamais été indépendante. L’an passé, on a eu l’expérience d’une libération de détenus à la suite de l’intervention du président de la République : le 2 juillet 2020, Karim Tabbou et Samir Belarbi ont été libérés bien que leurs affaires soient pendantes devant la justice. Si Khaled Drareni est libéré, ce ne sera pas sous la forme d’une grâce présidentielle, mais parce que que l’exécutif ou le président va ordonner sa libération. »
Dans un communiqué publié sur Facebook, le ministère de la justice a annoncé vendredi la libération de 33 détenus dont 21 condamnés définitivement.
Parmi eux, l’homme politique et d’affaires Rachid Nekkaz, 49 ans, ancien candidat à la présidentielle, incarcéré depuis le 4 décembre 2019 après la diffusion d’une vidéo sur les réseaux sociaux dans laquelle il appelait les Algériens à s’en prendre aux députés qui s’apprêtaient alors à voter la loi sur les hydrocarbures. Il était en attente de son procès et avait récemment entamé une grève de la faim pour dénoncer ses conditions de détention et l’injustice subie pour avoir réclamé un changement pacifique en Algérie. Il comparait sa prison à celle de Guantanamo.
Walid Kechida, 25 ans, activiste, a passé, lui, neuf mois dans les geôles du régime pour des mèmes moquant le pouvoir et la religion. Condamné à trois ans de prison ferme, il vient de recouvrer la liberté, sa peine a été réduite en appel à un an dont six mois fermes.
Dalila Touat, 45 ans, enseignante en physique, découvre, elle, la détention. Début janvier, dix-huit mois de prison ferme lui ont été infligés pour des publications sur Facebook, dont une questionnant « Où est le président Tebboune ? », qui se trouvait absent du pays depuis plusieurs semaines après avoir contracté le coronavirus. La justice lui reproche aussi un post où elle s’interroge sur les circonstances du décès d’un homme dans un commissariat d’Oran, ainsi que d’avoir encouragé à ne pas voter pour le référendum sur une nouvelle Constitution, véritable camouflet pour le pouvoir qui s’est soldé le 1er novembre dernier par une abstention record et un échec. Dalila Touat a commencé une grève de la faim pour alerter sur l’injustice et les mauvais traitements qu’elle subit.
Walid Nekiche, 25 ans, étudiant en pêche et aquaculture, est resté quatorze mois derrière les barreaux. Son histoire bouleverse le pays tout entier et au-delà des frontières, la diaspora algérienne ayant manifesté sa colère comme récemment à Paris. En révélant le 2 février devant le tribunal criminel d’Alger comment il a été torturé, abusé sexuellement et violé par des membres des services de sécurité, le jeune homme a courageusement brisé l’omerta et peut-être marqué un tournant tant le tabou des violences sexuelles pèse en Algérie et contraint au silence.
Arrêté le 26 novembre 2019 à Alger lors d’une marche hebdomadaire des étudiants du Hirak, Walid Nekiche a disparu pendant une quinzaine de jours puis a fini dans une cellule surpeuplée en prison pour « complot contre l’État », « atteinte à l’intégrité du territoire national » et « incitation de la population à prendre les armes ».
Lors de son procès, le parquet a requis contre lui la perpétuité. Il a finalement été condamné à six mois de prison ferme pour « distribution et possession de tracts pour porter atteinte à l’intérêt du pays ».
C’est lors de l’enquête préliminaire, des interrogatoires en garde à vue dans deux commissariats puis dans une caserne rattachée à la puissante DRS (direction des renseignements et de la sécurité) que Walid Nekiche a enduré torture et sévices sexuels. Son témoignage glace et indigne l’Algérie tant elle ravive le traumatisme de la guerre d’indépendance où les violations intimes étaient une arme des colons.
Déflagrantes, ses révélations ont forcé les autorités à réagir. Cinq jours plus tard, le 7 février, le parquet de la Cour d’Alger annonçait l’ouverture d’une enquête sur les sévices qu’il a subis.
Dans un rapport à paraître lundi 22 février, consulté par Mediapart, l’ONG Amnesty International alerte sur le système répressif à l’œuvre. Elle documente 73 cas de détenus du Hirak dont, pour la première fois, des cas de torture, et appelle l’Algérie « à ouvrir rapidement des enquêtes indépendantes, impartiales et efficaces en vertu du droit national et international, y compris la Convention des Nations unies contre la torture ».
Amnesty International s’attarde sur les cas de torture de trois militants arrêtés et détenus pour avoir exprimé leurs opinions ou pour avoir manifesté pacifiquement dont celui de Walid Nekiche. Elle dissèque aussi la répression féroce qui s’abat sur Internet, le réseau social Facebook étant devenu l’un des derniers espaces de liberté pour les voix dissidentes en Algérie. Dans un cas, les autorités sont allées jusqu’à poursuivre un activiste pour avoir écrit « non à la dictature »…
« Au lieu de faire prévaloir l’intérêt de la société et du pays en répondant de manière globale par le dialogue et la concertation à cette exigence de changement, les tenants du pouvoir ont reconduit les vieilles pratiques de la répression et du verrouillage des espaces du libre débat », déplore la Ligue algérienne de la défense des droits de l’homme (LADDH) qui s’alarme aussi de « l’extension de la pauvreté, du chômage et de l’aggravation de la situation des plus vulnérables ».