Ali Idrissa, coordinateur de l’organisation « Publiez ce que vous payez », a été interpellé à deux reprises les 20 et 22 mai et interrogé par la police sur des soupçons d’incitation au complot visant à renverser le régime.
Relâché, il répond aux questions de Jeune Afrique sur ce qu’il considère comme des dérives d’un « régime répressif ». Interview.
Jeune Afrique : Quels ont été les motifs de vos interpellations ?
Ali Idrissa : Les organisations de la société civile avaient prévu une marche samedi 20 mai et celle-ci, sans aucun motif valable, a été interdite. Ce bâillonnement des libertés est devenu insupportable. Nous avons donc mis en garde le président Mahamadou Issoufou, qui a selon nous mis entre parenthèse la démocratie. Dans un pays doté d’une Constitution et de lois, il ne saurait y avoir des citoyens qui peuvent tout se permettre, alors que d’autres n’ont droit qu’à la police, au procureur et à la prison chaque fois qu’ils expriment leur opinion. La police me reproche d’avoir tenu des propos qui incitent à la révolte. Mais ce n’est pas Ali Idrissa qui créé la révolte, ce sont les actes d’injustice et de rupture d’égalité des citoyens devant la loi ainsi que les abus de toutes sortes.
Combien de fois avez-vous été interrogé ? Sur quoi portez ces interrogatoires ?
J’ai été interrogé trois fois de suite et cela durant des heures durant par les officiers de la police judiciaire de Niamey. Les questions portaient essentiellement sur la manière dont nous voulons restaurer la démocratie, notamment « avec qui ».
En réalité, ils veulent une chose : faire taire tous ceux qui parlent de corruption, de mauvaise gouvernance et de détournements des deniers publics
Vous n’êtes pas le premier à être interrogé sur des motifs d’incitation au complot. Quel est votre sentiment sur ce climat ?
Aujourd’hui, Issoufou et ses amis ont mis entre parenthèse la démocratie au Niger en interdisant toute manifestation de protestation et toutes les opinions divergentes. La tension est telle que notre pays n’a jamais connu un tel régime répressif. Même au sein de la majorité, des personnalités reconnaissent la tension née des frustrations face à des affaires qui défraient la chronique tous les jours.
La situation s’est-elle durcie récemment pour les membres de la société civile ? Pourquoi ?
On a l’impression d’une stratégie d’étouffement des aspirations populaires, qui sont pourtant pacifique et reposent sur le respect de la loi. Quand les enseignants revendiquent leurs droits, ils sont poursuivis au lieu d’être écoutés. Quand un acteur de la société civile devient gênant, on fabrique une affaire pour le jeter en prison. En réalité, ils veulent une chose : faire taire tous ceux qui parlent de corruption, de mauvaise gouvernance et de détournements des deniers publics.
Le pouvoir assimile régulièrement membres de la société civile et opposants. A-t-il complètement tort ?
Ils ont la mémoire courte car nous avions engagé plusieurs combats avec eux contre la mauvaise gouvernance, quand ils étaient dans l’opposition pour revendiquer la démocratie. Ils étaient avec nous pour manifester, sans que les autorités ne l’interdise, comme cela se fait aujourd’hui. À l’époque, notre combat n’était pas tourné contre Mamadou Tandja ou son ministre de l’Intérieur Albadé Abouba, nous nous battions pour des principes démocratiques. Aujourd’hui, c’est la même chose. Nous manifestons pour le respect de ces mêmes principes. Le fait que le président s’appelle Mahamadou Issoufou et son ministre de l’Intérieur Mohamed Bazoum ne change rien.
Par Mathieu Olivier