« De Lomé à Kampala et de Kinshasa à Luanda, des manifestants pacifiques ont été arrêtés en nombre, roués de coups et parfois tués », se scandalise l’ONG Amnesty International dans son rapport annuel pour les années 2017 et 2018. Le Sénégalais Alioune Tine est le directeur régional d’Amnesty international pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre revient sur ce rapport.
RFI: Alioune Tine, quel est le fait marquant depuis un an ?
Alioune Tine : Depuis un an c’est surtout la restriction comme peau de chagrin des libertés fondamentales, de l’espace civique, la répression des manifestations, souvent avec un usage excessif de la force. On l’a remarqué au Cameroun où il y a eu dans la zone anglophone des manifestations. Les répressions ont fait plus de 20 morts ! Au Togo également, où les manifestations ont fait plus de 20 morts, dont trois enfants et deux militaires. En Sierra Leone, où la police a tiré sur des étudiants qui étaient en grève.
Et vous pointez aussi les manifestations réprimées au Tchad et au Congo Kinshasa.
Oui, les manifestations ont été réprimées au Tchad violemment. Beaucoup de militants des droits de l’homme ont été arrêtés, détenus. Les manifestations ont été réprimées également – violemment réprimées – en RDC, où il y a eu mort d’hommes.
Autres faits graves – dites-vous -, les attaques qui visent les défenseurs des droits de l’homme et les journalistes.
Exactement. C’est le cas en Mauritanie, avec les militants anti-esclavagistes. C’est le cas en Côte d’Ivoire, c’est le cas au Burundi, c’est le cas au Togo, en Guinée Équatoriale, au Tchad. Des militants de la société civile ont été attaqués au Gabon, d’éminents soutiens de l’opposition ont été également attaqués. Si bien qu’on peut parler de décrue des libertés fondamentales et des droits humains un peu partout en Afrique.
Et vous soulignez le fait que dans certains pays l’accès à Internet peut être bloqué.
On a beaucoup bloqué Internet au Cameroun, au Togo, on a bloqué Internet au Gabon… Dès qu’il y a des manifestations de l’opposition, on a remarqué effectivement que les cibles c’est surtout les blogueurs, surtout pendant la période électorale – jusqu’à Kenya -, pour museler les dissidents, museler l’opposition, museler les jeunes qui, effectivement, résistent à toutes les violations des droits de l’homme.
Vous parlez du Kenya. Est-ce que l’année 2017 n’a pas été marquée, justement, par des violences électorales dans plusieurs pays du continent ?
Pratiquement dans tous les pays du continent – à l’exception peut-être du Ghana –, nous avons eu des violences cette année. C’est le fait de faire sauter les verrous concernant la limitation de mandats ou également la limitation d’âge. C’est le cas, par exemple, chez Museveni. Toutes ces occasions sont des occasions où il y beaucoup de conflits et beaucoup de violence. Récemment c’était en Guinée Conakry avec les élections locales, où il y a eu des morts. On n’a jamais vu ça, des élections locales qui donnent lieu à des violences qui aboutissent à des morts aussi.
Dans votre rapport vous soulignez que la présidentielle kényane de l’année dernière a été marquée par la peur et les manœuvres d’intimidation ; au moins 33 personnes tuées par la police. Vous pointez aussi la présidentielle rwandaise du mois d’août dernier et vous écrivez : « L’élection s’est déroulée dans un climat de peur engendrée par vingt années d’attaques contre l’opposition politique et les médias indépendants ».
Absolument. Ce qui s’est passé cette année pendant les élections au Rwanda – on peut dire que c’est tout, sauf des élections – avec surtout les attaques et le dénigrement abject, dont une des leaders de l’opposition Diane Rwiagara a été l’objet, parce que ça circulait dans tout Internet. La plupart des Africains disent : “Tiens Kagame dans le domaine de la gouvernance c’est bien, mais quand même, dans le domaine des libertés fondamentales, du respect des droits humains, notre préoccupation est profonde par rapport aux pratiques de Kagame”. Et ça s’est manifesté pendant ces élections, qui étaient des élections du système de parti unique.
Vous dénoncez, bien entendu, le climat d’impunité qui règne sur le continent, mais vous remarquez tout de même un progrès. C’est en République centrafricaine où a été mise en place la Cour pénale spéciale.
Bien sûr. Ce qui est bien, effectivement, c’est le fait, par exemple, dans le domaine de l’impunité, qu’Hissène Habré ait été jugé. C’est une très bonne chose. C’est très bien également que la Gambie revienne sur sa décision de se retirer de la Cour pénale internationale et ait libéré quand même beaucoup de prisonniers politiques. Ce sont des nouvelles réjouissances. Mais, il faut dire que l’impunité reste quand même un cancer.
Il y a la responsabilité des Etats, il y a aussi celle des entreprises. Vous pointez notamment le groupe minier Lonmin, qui exploite le platine en Afrique du Sud.
Exactement. Il y a le groupe Lonmin, il y a Shell au Nigeria. Il y a également Probo Koala, Trafigura, aussi, en Côte d’Ivoire. Partout, effectivement, nous voyons que les crimes qui sont commis par les entreprises restent encore impunis en Afrique.
Et vous dites qu’à Marikana, en Afrique du Sud, les employés du groupe minier Lonmin vivent dans des conditions sordides.
Dans des conditions sordides, c’est les droits économiques, sociaux et culturels. Il me semble que c’est un des points faibles de l’actuel président de l’Afrique du Sud, Cyril Ramaphosa. C’est une des critiques les plus dures qu’on lui adresse par rapport à ce qui est arrivé à Marikana : la manière dont les ouvriers ont été traités là-bas. Donc, Amnesty international s’occupe de plus en plus des questions sur les droits économiques, sociaux et culturels des personnes. Les droits humains sont interdépendants. C’est pour cela que de plus en plus de questions comme celle de Marikana, la question de la responsabilité sociétale des entreprises, est de plus en plus abordée et documentée par Amnesty international.