L’Organisation Non-Gouvernementale (ONG) Amnesty international a récemment publié un rapport qui pourrait être intitulé «Les bases secrètes de tortures du Cameroun», si l’on en croit Le Quotidien de l’Economie de ce 19 juillet. «L’ONG, décrit dans le document de 76 pages en anglais, comment l’armée camerounaise, dans le cadre de la lutte contre Boko Haram, dans l’Extrême-Nord, aurait procédé aux arrestations, détentions arbitraires, tortures à Salak, à Maroua, près d’un camp du Bataillon d’intervention rapide (BIR), Mora, Kolofata, Fotokol, Waza et Ngaoundere et au lieudit «Lac» (Direction générale des renseignements) à Yaoundé. Au total, 10 victimes disent avoir été témoins de tortures», indique le journal.
«Les détails des techniques de torture sont effrayants», écrit Amnesty. Les personnes jetées dans les cellules de torture, sont mises dans une position appelée «la chèvre »: les bras du détenu et ses jambes sont liés ensemble derrière son dos, et il est jeté sur le sol et battu. Une autre technique de torture s’appelle «balançoire». Les bras de la victime et ses jambes sont de nouveau liés derrière son dos, avant qu’il ne soit soulevé et suspendu sur une barre adaptée entre deux poteaux ou trépieds et battu plus tard, indique Le Quotidien de l’Economie.
A peu près dans les mêmes termes que ceux du rapport 2016-2017, publié en février dernier, les conditions carcérales demeuraient désastreuses : surpopulation chronique, nourriture insuffisante, soins médicaux limités, et conditions sanitaires et d’hygiène déplorables. La prison de Maroua abritait 1 400 détenus, soit plus de trois fois la capacité prévue. La population de la prison centrale de Yaoundé était d’environ 4 000 détenus, alors que sa capacité maximale est de 2 000. Dans cet établissement, la majorité des détenus soupçonnés d’appartenir à Boko Haram ont été enchaînés en permanence.
Selon le journal, Amnesty parle encore, des personnes accusées de soutenir Boko Haram qui ont été condamnées à mort à l’issue de procès inéquitables devant des tribunaux militaires, mais aucune n’a été exécutée. Dans la grande majorité des cas, peut-on lire, les poursuites ont été engagées au titre de la loi antiterroriste extrêmement partiale adoptée en décembre 2014. «Des dizaines d’hommes, de femmes et d’enfants accusés de soutenir Boko Haram ont été torturés par des membres de la Brigade d’intervention rapide, une unité d’élite de l’armée, sur la base militaire appelée Salak, non loin de Maroua, ainsi que par des agents de la Direction générale de la recherche extérieure (Dgre), un service de renseignement, à Yaoundé, la capitale. Certains ont succombé à ces tortures; d’autres ont disparu», écrit Amnesty.
Lire aussi : La réaction du RDPC, parti-État du dictateur camerounais, au rapport d’Amnesty International
[spacer style="1"]
Cameroun : Amnesty International dénonce la banalisation de la torture dans la lutte contre Boko Haram
Au moins 130 hommes et jeunes hommes sont portés disparus depuis 2014 et au moins une centaine ont été tenus au secret et torturés en toute impunité.
Boko Haram n’est pas vaincu. Que ce soit dans le nord du Nigeria, leur fief historique, ou dans les pays voisins qui leur ont déclaré la guerre, les djihadistes, qui ont prêté allégeance à l’organisation Etat islamique (EI), continuent de semer la mort, le plus souvent en envoyant des bombes humaines se faire exploser dans des lieux publics. Au Cameroun, dans la région de l’Extrême-Nord, au moins 23 attaques-suicides ont été comptabilisées depuis avril. Lors des quatre dernières années, Boko Haram porte la responsabilité de la mort d’au moins 1 500 civils dans cette région, selon Amnesty International (AI).
Lire aussi : Un double attentat fait au moins 12 morts au Cameroun
Immanquablement, semble-t-il, la lutte antiterroriste s’accompagne de crimes et d’abus qui ne font qu’augmenter à mesure que le combat se prolonge. Après avoir déjà pointé en 2015 puis 2016 « les fréquents manquements des autorités et des forces de sécurité camerounaises au regard de ces obligations », l’organisation de défense des droits de l’homme démontre, dans un rapport publié jeudi 20 juillet et intitulé « Chambres de torture secrètes au Cameroun », que « le recours à la torture par des agents de l’Etat dans le cadre de la lutte contre Boko Haram est aujourd’hui (…) banalisé, et ce en toute impunité ».
« Exploitation approfondie »
« Nous avons une multitude de preuves irréfutables, des témoignages, des vidéos, qui montrent que des crimes de guerre ont été commis », affirme Ilaria Allegrozzi, l’auteure de ce rapport qui s’appuie sur les cas de 101 personnes détenues au secret, torturées et, pour certaines d’entre elles, tuées par les forces de sécurité camerounaises entre mars 2013 et mars 2017, dans des centres gérés par l’armée et les services de renseignement.
Lire aussi : Boko Haram, une bombe à fragmentation qui menace toute l’Afrique de l’Ouest
« Ce ne sont pas des combattants arrêtés les armes à la main, mais ce sont pour l’essentiel des personnes qui ont eu la malchance de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment, interpellées sans mandat officiel, ciblées parce qu’elles sont originaires du nord du Cameroun, musulmanes, d’ethnie Kanouri, réfugiées ou faisant des affaires au Nigeria », détaille la chercheuse. Si la majorité des victimes, « souvent dénoncées par des voisins qui cherchaient à régler des contentieux personnels », sont essentiellement des hommes âgés de 18 à 45 ans, des femmes, des mineurs et des handicapés ont également été soumis à des violences destinées à leur extirper des aveux, « mais également pour les punir, les terroriser ou les intimider ». Vingt-quatre méthodes de torture différentes ont été recensées par l’ONG mais, pour Yaoundé, ces pratiques ne relèvent que d’une « exploitation approfondie ».
Lire aussi : Survivre entre Boko Haram et les rives asséchées du lac Tchad
Ces sévices peuvent cependant être mortels. « Sur les 101 victimes interrogées, 32 déclarent avoir vu des individus mourir des suites des actes de torture qui leur avaient été infligés », note AI. Au moins 130 hommes et jeunes garçons sont toujours portés disparus après avoir été raflés par les forces de sécurité camerounaises dans les villages de Madame et de Double, le 28 décembre 2014.
« En comparant plusieurs témoignages, corroborés par des images prises par satellite et d’autres éléments vidéo et photographiques », l’ONG a identifié vingt sites où des détenus ont été maltraités. Deux centres, « où 80 cas de torture et de détention au secret » ont été relevés, retiennent davantage l’attention : l’un connu sous le nom de DGRE « Lac », situé près de l’Assemblée nationale à Yaoundé et administré par la Direction générale de la recherche extérieure (DGRE), l’autre étant le quartier général du Bataillon d’intervention rapide (BIR) à Salak, dans l’Extrême-Nord.
Planche à clou
« A Salak, j’étais enchaîné en permanence, raconte un ancien détenu. Je ne recevais qu’un repas par jour et j’ai été torturé à au moins trois reprises. Les deux premières fois, des hommes en civil m’ont brutalement frappé sur tout le corps à l’aide de câbles électriques, en me demandant en français d’avouer mon appartenance à Boko Haram. La troisième fois, ils ont essayé de me forcer à manger du porc. Comme je suis musulman, j’ai refusé. J’ai alors été torturé. A l’aide d’une chaîne et d’une planche de laquelle dépassait un clou, ils m’ont frappé à plusieurs reprises sur tout le corps, et en particulier sur les jambes et les chevilles. Les coups étaient si nombreux que je me suis évanoui. »
Des soldats américains ou français ont-ils entendu les cris des suppliciés ? Des militaires dépêchés par Washington et Paris, pour appuyer l’effort de guerre camerounais, ont été aperçus sur cette base par des chercheurs d’AI ou par des détenus à travers « les trous qui servaient de fenêtres » à leur cellule. Face à ces allégations, l’ambassade des Etats-Unis à Yaoundé a répondu à l’ONG que certaines unités du BIR, sur lesquelles existent « des informations crédibles de violations massives des droits de l’homme », ne bénéficient plus de l’assistance américaine. L’ambassade de France n’a pas encore donné suite.
L’ambassade de France n’a pas encore donné suite. « Dès qu’il est question de Boko Haram, les chancelleries occidentales et les Nations unies sont très timides sur les principes fondamentaux », constate Ilaria Allegrozzi. Les autorités camerounaises, après s’être montrées dans un premier temps ouvertes aux échanges avec l’organisation de défense des droits de l’homme, semblent désormais rétives à la critique. Fin mai, les délégués d’Amnesty International n’ont pu rencontrer aucun représentant du gouvernement à Yaoundé et leur conférence de presse a été interdite à la dernière minute.