Le Directeur du bureau Afrique centrale et de l’Ouest d’Amnesty International revient sur la réaction du gouvernement camerounais suite à la publication le 20 juillet dernier d’un rapport sur les violations par l’armée camerounaise des droits humains dans le cadre de la lutte contre Boko Haram.
Quel sentiment vous inspire la réaction du gouvernement camerounais suite à la publication du dernier rapport d’Amnesty International intitulé « Chambres de torture secrètes au Cameroun : Violations des droits humains et crimes de guerre dans la lutte contre Boko Haram » ?
Je m’attendais à une réaction dans laquelle le gouvernement camerounais tenterait de réfuter les résultats de la recherche menée par Amnesty International sur la base de contre-arguments sérieux et de preuves solides et concrètes. Malheureusement cela n’a pas été le cas. J’ajoute qu’Amnesty International a plusieurs fois donné l’occasion au gouvernement de répondre à ses allégations. Mais les autorités n’ont jamais réagi. Donc j’aurai davantage été satisfait si le gouvernement avait effectivement et en temps réel réagi à nos interpellations pourtant envoyées bien avant la parution de ce rapport, et qu’il essaie aujourd’hui de récuser en bloc sans argument. Il est important que l’opinion publique camerounaise comprenne que c’est au mois d’avril, soit trois mois avant la publication du rapport, que nous avions écrit aux autorités pour leur présenter un résumé de nos constatations et solliciter une réaction de leur part. Mais nous n’avons jamais reçu de réponse.
Je m’attendais à une réaction dans laquelle le gouvernement camerounais tenterait de réfuter les résultats de la recherche menée par Amnesty International sur la base de contre-arguments sérieux et de preuves solides et concrètes. Malheureusement cela n’a pas été le cas. J’ajoute qu’Amnesty International a plusieurs fois donné l’occasion au gouvernement de répondre à ses allégations. Mais les autorités n’ont jamais réagi.
Ensuite, du 20 au 26 mai 2017, j’ai moi-même conduit une délégation d’Amnesty International à Yaoundé pour recueillir le sentiment des pouvoirs publics concernant les conclusions de nos recherches qui, je le répète, n’étaient pas encore publiées. Mais aucun membre du gouvernement n’a accepté de nous rencontrer malgré les multiples demandes d’audience envoyées avant notre déplacement. Pire, les autorités ont interdit une conférence de presse prévue par Amnesty International à Yaoundé le 24 mai dernier, au cours de laquelle nous avions l’intention de présenter des lettres et des pétitions adressées par plus de 310 000 signataires du monde entier, demandant au président Paul Biya de libérer trois étudiants condamnés à 10 ans de prison, uniquement pour avoir échangé une plaisanterie sur Boko Haram par SMS. Tout au long de notre travail de recherche, nous avons demandé à rencontrer le président de la République, le ministre de la Défense, le ministre de la Justice, le ministre de la Communication, le ministre des Relations extérieures et des membres des forces de sécurité. Seuls le ministre de la Communication et le secrétaire général du ministère de la Défense ont accepté de nous recevoir, en février 2017. Confronté à une description détaillée des pratiques de torture en question, le représentant du ministère de la Défense a affirmé qu’elles ne relevaient pas de la torture, mais simplement d’une « exploitation approfondie ».
Nous ne sommes pas là pour démoraliser l’armée camerounaise. Les faits documentés par Amnesty International devraient plutôt engendrer des actions allant dans le sens d’améliorer le fonctionnement de l’armée. Une armée qui torture n’est pas une bonne armée.
En définitive, Amnesty International n’est pas dans une logique de diabolisation des autorités ni des forces de sécurité. Dans notre rapport, nous avons recueilli des informations sur 101 cas de personnes qui ont été détenues au secret et torturées, parfois à mort, par les forces de sécurité et les autorités camerounaises entre mars 2013 et mars 2017. Ces personnes, des civils, étaient souvent accusées, sans preuve ou sur la foi d’éléments peu concluants, d’avoir apporté leur soutien à Boko Haram. Le rapport montre que le recours à la torture dans le cadre de la lutte contre Boko Haram au Cameroun est aujourd’hui habituel et généralisé. Et cela nous le maintenons. Nous ne sommes pas là pour démoraliser l’armée camerounaise. Les faits documentés par Amnesty International devraient plutôt engendrer des actions allant dans le sens d’améliorer le fonctionnement de l’armée. Une armée qui torture n’est pas une bonne armée. Si les allégations de torture ne sont pas prises en considération, cela risque de pourrir l’armée en son sein, de ternir l’image du Cameroun, et de maintenir un climat d’impunité, totalement contre-productif lorsqu’il s’agit de lutte anti-terroriste.
D’après le porte-parole du gouvernement camerounais, Amnesty International est une organisation au service des intérêts de Boko Haram dans l’objectif de déstabiliser le Cameroun, que répondez-vous à cela ?
Vous savez, le porte-parole du gouvernement est dans son rôle d’essayer de réfuter les allégations d’Amnesty International. Rares sont les Etats qui reconnaissent l’existence de violations que nous documentons. Mais accuser Amnesty International de servir les intérêts d’une organisation terroriste, dont nous avons constamment dénoncé les crimes, est non seulement une contre-vérité, mais également une accusation extrêmement grave, portée sans un soupçon d’élément de preuve. L’adage dit « Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose ». C’est malheureusement je crois l’effet recherché, et cela n’est pas une réponse digne ni de l’enjeu, ni de la gravité des faits que nous avons rendu publics.
Le porte-parole du gouvernement est dans son rôle d’essayer de réfuter les allégations d’Amnesty International. Rares sont les États qui reconnaissent l’existence de violations que nous documentons. Mais accuser Amnesty International de servir les intérêts d’une organisation terroriste, dont nous avons constamment dénoncé les crimes, est non seulement une contre-vérité, mais également une accusation extrêmement grave, portée sans un soupçon d’élément de preuve. L’adage dit « Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose »
Nous sommes un mouvement de plus de 7 millions de personnes qui se battent chaque jour et partout dans le monde pour promouvoir et faire respecter l’ensemble des droits humains inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Amnesty International a dénoncé à plusieurs reprises les attaques de Boko Haram et sa brutalité sur des citoyens camerounais. Néanmoins, nous continuons de rappeler au Cameroun son obligation de faire respecter les droits humains dans la lutte légitime contre Boko Haram. Aux termes du droit international, les autorités camerounaises sont tenues de diligenter une enquête rapide, impartiale, indépendante et approfondie sur toutes les violations des droits humains. Elles doivent amener les auteurs présumés à rendre des comptes et, si les éléments de preuve recevables sont suffisants, les faire juger dans le cadre de procès équitables, sans que la peine de mort ne puisse être requise contre eux. Notre mouvement est indépendant de tout gouvernement, de toute tendance politique, de tout intérêt économique et de toute croyance religieuse. Nous ne sollicitons aucune subvention des Etats, des partis politiques ou des entreprises et nous finançons nos actions essentiellement grâce au soutien de nos membres et de nos donateurs.Notre indépendance nous permet d’agir en toute liberté partout dans le monde pour prévenir et faire cesser les atteintes graves aux droits humains.
Tout de même, est ce que la remarque du gouvernement camerounais sur la part belle que le rapport réserve aux victimes de l’armée camerounaise n’est pas pertinente ? Pourquoi les victimes de Boko Haram ne témoignent pas eux aussi dans ce rapport ?
Boko Haram est responsable de crimes de guerre et d’autres infractions au droit international. Et nous avons, à Amnesty International, toujours condamné sans équivoque, dans nos rapports et nos communiqués publics, les attaques lancées par des membres de Boko Haram contre des civils. Nous continuons de recueillir des informations sur les atrocités commises par ce groupe et de les dénoncer, y compris lorsque ses insurgés tuent ou enlèvent des centaines de civils, attaquent et incendient des villes et des villages, pillent et détruisent des maisons et d’autres bâtiments. L’organisation a conscience des difficultés rencontrées par les forces de sécurité camerounaises dans la lutte contre un groupe armé tel que Boko Haram mais exhorte les autorités camerounaises à utiliser tous les moyens légaux pour protéger les civils. Ce que nous disons c’est que les populations qui sont les premières victimes des incursions et attaques de Boko Haram, ne sauraient en aucun cas être par ailleurs les premières cibles des représailles des forces de sécurité. La lutte contre Boko Haram doit se faire contre les insurgés, et non pas contre les citoyens ordinaires de l’Extrême Nord. Ce que nous dénonçons dans notre rapport ce sont des actes de torture commis sur des civils, arrêtés dans leur maison, sans preuve, suite à une dénonciation anonyme, détenus au secret durant des mois, sans contact avec l’extérieur, puis jugés devant un Tribunal militaire qui ne peut produire aucun élément à charge, et finalement relâchés après des années de calvaire. Ces personnes, comme vous et moi, n’ont aucun lien avec Boko Haram, et le rôle des autorités et des forces de sécurité camerounaises est précisément de les protéger.
Le ministre de la Communication a annoncé une plainte contre Amnesty International pour avoir annexé au rapport des images satellitaires dévoilant certaines positions de la Direction générale de la recherche extérieure (services secrets), comment comptez-vous vous défendre au cas où la menace est mise à exécution ?
Nous attendons de voir la plainte, étant entendu que le fait de publier une image satellite à laquelle tout le monde peut accéder ne saurait constituer un délit.
Le département d’État américain dément avoir corroboré les allégations de violations des droits humains par l’armée camerounaise mais aussi dit n’avoir pas suspendu sa coopération militaire avec le BIR conformément au Leahy Law, que répondez-vous à cela?
Amnesty International n’a jamais prétendu que les États-Unis avaient suspendu leur coopération militaire avec le BIR donc nous n’avons rien à répondre à cela. En revanche, il conviendrait de repréciser le débat sur ce point. Dans le rapport, nous décrivons en détail les éléments indiquant que, pendant la période où il a été établi que la torture avait été pratiquée à une échelle importante, des militaires américains étaient présents régulièrement sur la base de Salak pour dispenser des formations et prêter une assistance, et qu’un certain nombre d’entre eux avaient même dormi sur place. Des détenus ont indiqué avoir vu des militaires qu’ils ont identifiés comme étant américains depuis leur cellule ; en outre, des photos et des vidéos obtenues sur les réseaux sociaux et analysés au moyen de méthodes scientifiques confirment leur présence à de multiples endroits de la base, y compris dans certaines des zones où les recherches indiquent que des personnes étaient détenues et que des actes de torture étaient perpétrés. Par ailleurs, du matériel militaire américain fourni au BIR est entreposé sur place.
Nos chercheurs ont vu des militaires français en uniforme sur la base mais rien ne nous permet d’affirmer qu’ils se trouvent en permanence sur le site. Si le personnel militaire des partenaires internationaux du Cameroun était au courant de la pratique de la torture et de la détention illégale à Salak, les États concernés sont tenus d’en aviser les autorités camerounaises afin que ces agissements cessent et que les responsables présumés fassent l’objet d’une enquête et soient sanctionnés.
Encore une fois, nous ne prétendons pas que les forces internationales ont participé directement à des actes de torture mais nous appelons les autorités américaines et françaises à diligenter une enquête en vue de déterminer dans quelle mesure leur personnel a pu avoir connaissance de la détention au secret et de la torture pratiquées sur la base du BIR à Salak et s’il en a informé sa hiérarchie et les autorités camerounaises. Nos chercheurs ont vu des militaires français en uniforme sur la base mais rien ne nous permet d’affirmer qu’ils se trouvent en permanence sur le site. Si le personnel militaire des partenaires internationaux du Cameroun était au courant de la pratique de la torture et de la détention illégale à Salak, les États concernés sont tenus d’en aviser les autorités camerounaises afin que ces agissements cessent et que les responsables présumés fassent l’objet d’une enquête et soient sanctionnés. En outre, Amnesty International demande à ces États de mener des investigations afin de savoir si l’aide militaire apportée au Cameroun a contribué à la commission de ces infractions et violations. Le 23 juin 2017, l’organisation a écrit à l’ambassade des États-Unis et à l’ambassade de France au Cameroun pour solliciter des informations complémentaires sur la présence de ces deux pays à Salak et leur demander si des enquêtes avaient été ouvertes sur des allégations de détention au secret et de torture. Les États-Unis ont répondu le 11 juillet 2017. La France, ne l’a fait que le 19 juillet, veille de la publication du rapport.
Propos recueillis par Michel Biem Tong