Au Bénin, les procès d’opposants s’enchaînent et les verdicts sont lourds. Quatre jours après la condamnation du professeur de droit Joël Aïvo à dix ans de détention, l’ancienne ministre Reckya Madougou, dont la candidature à l’élection présidentielle du 11 avril avait également été rejetée, a été condamnée samedi 11 décembre à vingt années de réclusion criminelle et 50 millions de francs CFA (76 200 euros) d’amende par la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet) pour « complicité d’actes terroristes ». Quatre autres prévenus jugés dans cette affaire ont été sanctionnés de la même peine, un autre a été acquitté.
« Monsieur le Président, tout le monde aura compris que je ne suis pas une terroriste mais que je reste une brave militante qui depuis une vingtaine d’années, s’investit dans l’éducation citoyenne des jeunes, le leadership et l’autonomisation des femmes », a déclaré à la barre Reckya Madougou, qui se présente comme une farouche défenseure de la démocratie dans son pays.
Lire aussi Bénin : la chute de l’ambitieuse Reckya Madougou, figure de l’opposition
La veille de son procès, elle avait été extraite au lever du soleil de la maison d’arrêt d’Akpro-Missérété, à la périphérie de Porto-Novo, capitale du Bénin, où elle était détenue depuis neuf mois. Conduite à l’intérieur d’une fourgonnette de l’administration pénitentiaire, elle est arrivée peu après au tribunal où l’attendaient des supporteurs vêtus de t-shirt à son effigie.
Femme d’influence en Afrique de l’Ouest
L’audience s’est ensuite déroulée dans un climat houleux. En milieu de matinée, Antoine Vey, l’un des avocats français de Reckya Madougou, a quitté la salle d’audience. « La Criet n’est pas une juridiction impartiale et indépendante », s’est-il emporté lors d’une conférence de presse improvisée à l’extérieur du tribunal, dénonçant la mainmise du pouvoir exécutif sur les juges. « Le scénario de ce procès est écrit à l’avance », a-t-il conclu.
Agée de 47 ans, deux fois ministre dans son pays, Reckya Madougou est une femme d’influence en Afrique de l’Ouest. Entre 2016 et 2020, elle a ainsi été la conseillère spéciale du chef de l’Etat togolais Faure Gnassingbé et a supervisé, à ce titre, la mise en place d’un mécanisme de financement agricole. On la dit proche aussi du Sénégalais Macky Sall.
Brillante et déterminée, elle a reçu de nombreuses distinctions comme le prix international Femme de courage du département d’Etat américain ainsi que les félicitations du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) pour ses efforts en faveur de l’autonomisation des femmes et des jeunes. Elle s’est lancée dans la course à la présidentielle en début d’année, après avoir été investie par le parti « Les Démocrates » de l’ancien président de la République Thomas Boni Yayi (2006-2016), dont elle fut notamment garde des sceaux.
Meurtre de deux personnalités politiques
L’opposante a été arrêtée le 3 mars 2021 alors qu’elle rentrait d’un meeting politique à Porto-Novo, la capitale béninoise. Des policiers avaient alors stoppé le véhicule dans lequel elle se trouvait avant de la conduire dans les locaux de la Criet, où elle avait dû répondre de l’accusation de « financement de terrorisme ». Il lui était reproché d’avoir commandité le meurtre de deux personnalités politiques dans sa ville natale, Parakou, dans le but, selon le procureur, « de provoquer la terreur, le chaos et parvenir à faire suspendre le processus électoral ».
Reckya Madougou avait nié connaître le colonel Touré, un gendarme à la retraite présenté comme celui qui devait être le bras armé de ce projet criminel présumé. Elle avait toutefois reconnu avoir mis à la disposition de Georges Sacca, un militant de son parti, 15 millions de francs CFA (22 860 euros) pour mobiliser des sympathisants dans la perspective de l’élection présidentielle, finalement remportée à 86 % des voix par le président sortant, Patrice Talon, face à deux adversaires considérés par les opposants comme de simples figurants.
Depuis l’accession au pouvoir en 2016 de M. Talon, homme d’affaires ayant fait fortune dans le coton, le Bénin est régulièrement pointé du doigt par les organisations de droits humains. Autrefois réputé pour sa stabilité et sa vigueur démocratique, l’ancien « Quartier latin d’Afrique de l’Ouest » a été suspendu depuis le 5 novembre 2019 de la liste des « pays d’origine sûrs » établie par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra).
Jean-Yves Le Drian alerté
Dans une lettre datée du 1er décembre, le député français Hubert Julien-Laferrière, membre de la commission des affaires étrangères, a alerté le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian sur la situation de l’opposante béninoise. « Les accusations de terrorisme qui visent Madame Reckya Madougou servent simplement à réduire à son plus strict minimum la liberté d’expression au Bénin, écrit-il. Notre pays ne peut-il faire entendre sa voix pour que le Bénin puisse mettre en place un traitement équitable de ses prisonniers politiques et rester l’Etat démocratique qu’il est depuis de nombres années ? » « Dix jours après, nous attendons toujours une réponse officielle du Quai d’Orsay », assure Mario Stasi, également avocat de Reckya Madougou.
« Le Bénin a violé le droit à la vie, le droit de ne pas être soumis à la torture et le droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine », a indiqué, pour sa part, la Cour africaine des droits de l’homme (Cadhp) en 2020. La juridiction, qui siège à Arusha (Tanzanie), a aussi stigmatisé le manque de « garantie d’indépendance du pouvoir judiciaire » à cause, notamment, de la Criet, « une juridiction d’exception » selon les avocats de Reckya Madougou et Joël Aivo.
Mardi 7 décembre, cette cour avait condamné ce dernier opposant, surnommé « le Professeur », à dix ans de prison pour « complot contre l’autorité de l’Etat » et « blanchiment de capitaux ». En 2018, c’est Sébastien Ajavon, arrivé troisième lors de l’élection présidentielle de 2016, qui avait été condamné à une peine de 20 ans de réclusion pour trafic de drogue, puis à une deuxième peine de cinq ans pour « faux, usage de faux et escroquerie ». Il vit désormais en exil.
« Le juge que je suis n’est pas indépendant »
Le manque d’indépendance de la Criet a même été dénoncé de l’intérieur par Essowé Batamoussi, juge de la chambre des libertés. Dans un entretien diffusé par Radio France internationale en avril, le magistrat avait évoqué une « manipulation politique » dans l’affaire Reckya Madougou, avant de s’exiler. « Le juge que je suis n’est pas indépendant, avait-il confié. Toutes les décisions que nous avons été amenés à prendre l’ont été sur pression. Dans le dossier [Madougou], nous avons été sollicités par la chancellerie car le dossier ne comportait aucun élément qui pouvait nous décider à la mettre en détention. »
« Je m’offre à la démocratie de mon pays si mon sacrifice peut rendre à votre cour son indépendance », a déclaré Reckya Madougou à la barre. Après le verdict, elle a été reconduite dans sa cellule au petit matin. Ses avocats ont déjà alerté sur les conditions de détention « très difficiles » de leur cliente, qui s’est vue interdire tout contact avec l’extérieur hormis avec son équipe juridique et sa mère. Privée de promenade, elle doit partager une pièce insalubre de huit mètres carrés avec une dizaine d’autres détenues.
Pierre Lepidi et Francis Kpatindé