Près de 5,5 millions d’électeurs béninois sont appelés aux urnes, dimanche 11 avril, pour élire leur chef d’État, alors que le centre et le nord du pays sont paralysés par des manifestants qui dénoncent la confiscation du scrutin par le président sortant, Patrice Talon.
L’ancien homme d’affaires, qui a fait fortune dans les intrants agricoles puis le coton, a engagé son pays dans un tournant autoritaire. Sa réélection, face à deux candidats quasiment inconnus du public et de la même mouvance que lui – les anciens députés Alassane Soumanou et Corentin Kohoué –, est presque assurée.
Les grandes figures de l’opposition sont en exil ou condamnées à des peines d’inéligibilité. D’autres, comme le professeur d’université Frédéric Joël Aïvo, ont vu leur candidature recalée par la commission électorale car ils ne disposaient pas d’au moins seize parrainages, comme l’exige la Constitution de 2019. Au Bénin, pays autrefois salué pour sa stabilité et sa vigueur démocratique, 154 des 160 élus (maires et députés) appartiennent au camp de Patrice Talon.
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Thomas Boni Yayi, en retrait
Après avoir dirigé l’Etat de 2006 à 2016, Thomas Boni Yayi a quitté en avril 2020 le parti Force cauris pour un Bénin émergent (FCBE), qu’il avait créé. Il a accusé son mouvement d’avoir été infiltré par des proches de Patrice Talon et a interdit le FCBE d’utiliser son « image, [son] nom et [sa] caution sous quelque forme que ce soit ».
Thomas Boni Yayi et Patrice Talon, qui a financé plusieurs campagnes électorales de son prédécesseur, entretiennent des rapports complexes. En octobre 2012, le magnat du coton avait même été accusé d’avoir tenté d’empoisonner son rival. Après la crise politique consécutive aux élections législatives d’avril 2019, le domicile de Thomas Boni Yayi avait été encerclé par la police et de violents affrontements avaient éclaté.
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Après s’être exilé, l’ancien président est rentré au Bénin. Il reste un membre influent de l’opposition, notamment autour de sa commune natale de Tchaourou (centre), ainsi qu’à Savè et Porto-Novo, où sont présents les membres de l’ethnie nagô, dont il est issu.
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Lionel Zinsou, inéligible
Ancien premier ministre de Thomas Boni Yayi, Lionel Zinsou a été battu au second tour de l’élection présidentielle de 2016 par Patrice Talon. Accusé d’être « le candidat de la France », l’économiste, ancien conseiller de Laurent Fabius, s’était incliné avec 34,63 % des voix, contre 65,67 %.
En février 2019, le cofondateur de la banque d’investissement SouthBridge a été condamné par la cour d’appel de Cotonou à quatre ans d’inéligibilité pour « dépassement de frais de campagne électorale ». « C’est une décision de non-droit », a déploré son avocat, Robert Dossou, dans Jeune Afrique : « Les juges ont préféré faire plaisir au pouvoir plutôt que de dire le droit. » L’affaire a été pourvue en cassation.
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Le Franco-Béninois, qui s’est écarté de l’arène politique béninoise, a salué en janvier le caractère « historique » de la double émission d’eurobonds réalisée par son pays. L’actuelle opposition a modérément apprécié.
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Sébastien Ajavon, réfugié en France
Arrivé troisième de l’élection présidentielle de 2016, Sébastien Ajavon vit aujourd’hui en France, où il a obtenu le statut de réfugié politique.
Condamné en 2018 par la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet) à vingt ans de prison pour trafic de drogue, l’ancien milliardaire, surnommé « le roi du poulet », a également été condamné début mars à une peine de cinq ans de prison ferme pour « faux, usage de faux et escroquerie ».
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Ses biens ont été saisis, ses sociétés mises en liquidation. « Parce qu’il est opposant, Sébastien Ajavon est victime d’un acharnement judiciaire », affirment Marc et Julien Bensimhon, ses avocats : « La justice obéit aux ordres, le Bénin a sombré dans la dictature. »
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Komi Koutché, en exil aux Etats-Unis
En avril 2020, la Criet a condamné Komi Koutché, ancien directeur général du Fonds national de microfinance (FNM) et ancien ministre des finances de Thomas Boni Yayi, à vingt ans de réclusion criminelle pour « détournement de deniers publics » et « abus de fonctions ». Ses avoirs en banque et ses biens immobiliers ont été confisqués.
Un mandat d’arrêt international a ensuite été lancé contre lui. Après avoir été interpellé en Espagne, qui a refusé la demande d’extradition, il vit désormais aux Etats-Unis, où il continue son combat « pour le retour de l’ordre démocratique au Bénin ». Il est issu de l’ethnie nagô, comme Thomas Boni Yayi, dont il est un fidèle.
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Lundi 5 avril, dans une vidéo largement diffusée sur les réseaux sociaux, il a appelé les Béninois à manifester pour exiger le départ de Patrice Talon, « conformément au pacte républicain ». Cet appel a déclenché plusieurs manifestations et provoqué de vives tensions dans les fiefs de l’opposition. Un mort par balle et plusieurs blessés ont été constatés à Savè jeudi.
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Reckya Madougou, en prison
La cheffe de file du parti Les Démocrates, dont la candidature à la présidentielle a été rejetée car elle n’a pu obtenir les seize parrainages d’élus nécessaires pour participer au scrutin, a été incarcérée début mars à la prison d’Akpro-Missérété, près de Porto-Novo.
Poursuivie par la Criet pour « association de malfaiteurs et terrorisme », l’ancienne conseillère du président togolais Faure Gnassingbé est accusée d’avoir financé, par l’intermédiaire d’un colonel à la retraite et l’un de ses collaborateurs, la tentative de meurtre de deux personnalités politiques de la ville de Parakou, « afin de provoquer la terreur, le chaos et parvenir ainsi à faire suspendre le processus électoral ».
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Mais dimanche 4 avril, Essowé Batamoussi, ancien juge de la Criet, a dénoncé sur Radio France internationale (RFI) l’influence du pouvoir au sein de cette cour d’exception, notamment dans l’affaire Reckya Madougou, où, selon lui, « nous avons été sollicités par la chancellerie car le dossier ne comportait aucun élément qui pouvait nous décider à la mettre en détention ». Le juge de la Criet a fui le Bénin.
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L’histoire d’un modèle démocratique piégé par un affairiste populiste qui se destine à un avenir de dictateur sanguinaire et inamovible, à l’image de nombre de ses pairs d’Afrique centrale francophone (Biya, Bongo, Déby, Sassou, etc…).
Autant dire que si les Béninois ne mettent pas au plus vite un terme à cette dictature naissante de Patrice Talon, c’est toute la culture d’alternance démocratique acquise laborieusement ces trois dernières décennies qui partira en fumée.