Le procès du putsch manqué de septembre 2015 au Burkina Faso a été suspendu, mardi 27 février dans l’après-midi, après le retrait de tous les avocats de la défense, a constaté un journaliste de l’AFP. Au total, 84 accusés étaient jugés par un tribunal militaire à Ouagadougou, dont les généraux Gilbert Diendéré et Djibrill Bassolé, cerveaux présumés du coup d’Etat manqué qui avait fait quatorze morts et 270 blessés.
« Compte tenu de l’absence des avocats, l’audience est suspendue », a déclaré le président du tribunal, Seydou Ouedraogo, un magistrat professionnel. Selon des informations recueillies par Le Monde Afrique auprès du parquet militaire, le procès devrait reprendre dans deux semaines.
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Les avocats de la défense se sont retirés parce qu’ils contestent la légalité du tribunal militaire, composé de deux magistrats professionnels et de trois militaires ayant rôle d’assesseurs. « Nous nous retirons parce que la juridiction devant juger cette affaire n’est pas légale », a argumenté Michel Traoré, avocat de l’ancien chef d’état-major Boureima Kéré. Une position reprise par Mathieu Somé, avocat du général Diendéré.
Guy-Hervé Kam, un des avocats des parties civiles, a dénoncé une « manœuvre dilatoire ». « Le retrait des avocats montre simplement la volonté des accusés de ne pas être jugés. Ils vont utiliser les moyens les plus hasardeux pour faire durer le procès », a-t-il déclaré. « L’intention est claire, ils ne veulent pas aller à un jugement », a également estimé le président de l’Association des blessés de l’insurrection populaire du Burkina Faso (ABIP-BF), Franck Sia.
« Un test grandeur nature »
Le 16 septembre 2015, des soldats du Régiment de sécurité présidentielle (RSP), l’ancienne garde prétorienne de Blaise Compaoré, avaient tenté en vain de renverser le gouvernement de transition mis en place après la chute de M. Compaoré, chassé le 31 octobre 2014 par la rue après vingt-sept ans au pouvoir.
Le général Diendéré, qui avait pris la tête du coup d’Etat, et les autres personnes poursuivies sont notamment accusés d’attentat à la sûreté de l’Etat, meurtres, coups et blessures volontaires. Le général Djibrill Bassolé, ancien chef de la diplomatie, est quant à lui poursuivi pour « trahison » sur la base de l’enregistrement d’une conversation téléphonique qu’il aurait eue avec le président de l’Assemblée nationale ivoirienne, Guillaume Soro, dans laquelle celui-ci semble affirmer son soutien au putsch de septembre 2015.
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Pour l’Association des blessés du coup d’Etat du 16 septembre 2015 (ABCE), le procès « donne l’espoir de panser les blessures et d’envisager une réconciliation ». Ce procès devra être l’opportunité pour les accusés de « reconnaître leurs torts et demander pardon au peuple », estime le secrétaire général adjoint de l’ABCE, Christophe Lompo. « Nous attendons que la lumière soit faite, que la vérité soit dite et que les réparations et indemnisations aux parents des martyrs et aux blessés soient faites », espère le président de l’ABCE, Honoré Sawadogo.
« Au-delà des ayants droit des victimes et des blessés, ce procès interpelle l’ensemble des démocrates, patriotes et révolutionnaires et appelle à la plus grande vigilance », a jugé le président du Mouvement burkinabé des droits de l’homme et des peuples (MBDHP), Chrysogone Zougmoré, qui apporte une assistance judiciaire aux victimes. Selon le MBDHP, ce procès est un « test grandeur nature de la crédibilité de la justice burkinabé », accusée très souvent d’être aux ordres du pouvoir.
« Prêt pour un grand déballage »
Pour sa part, la Nouvelle Alliance pour le Faso (NAFA), le parti de Djibrill Bassolé, a dénoncé la « mainmise de l’exécutif sur le tribunal militaire ». « Trop de décisions iniques et arbitraires ont été prises à mon encontre, en violation flagrante de mes droits, pour que je fasse confiance à la justice militaire », avait confié Djibrill Bassolé, le 20 février, dans un entretien au quotidien privé Le Pays.
Le général Gilbert Diendéré, principal accusé, ancien chef d’état-major particulier de Blaise Compaoré, s’est attaché les services de cinq avocats pour ce procès, a confié l’un de ses proches, sous couvert de l’anonymat. « Il est prêt pour ce procès, prêt pour un grand déballage, a-t-il assuré. C’est un procès d’essai pour le Burkina Faso, parce qu’il y a beaucoup de dossiers pendants. C’est à travers celui-là que le peuple va tester notre justice. »
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Selon des sources judiciaires, le général Diendéré a demandé que des hauts responsables de l’armée puissent comparaître comme témoins, de même que l’actuel président, Roch Marc Christian Kaboré, et l’ancien président de la transition, Michel Kafando.
Pour certains analystes, le procès du putsch de 2015 pourrait apporter des éclaircissements sur des affaires non résolues, comme les assassinats du président Thomas Sankara en 1987 et du journaliste Norbert Zongo en 1998, dans lesquelles les noms du général Diendéré et du RSP sont souvent cités.
Le Monde.fr avec AFP