Tribune. Mi-avril, un enregistrement audio a circulé sur les réseaux sociaux burundais. On y entend une personne décrite comme un officier supérieur de la police adresser un message effrayant aux opposants politiques du gouvernement : « Si tu veux perturber la sécurité, je vais en finir avec toi sur place, et si tu es avec ta femme et tes enfants, vous partirez ensemble. » Si elles sont authentiques, ces menaces à l’intention des membres du nouveau parti d’opposition du Burundi, le Congrès national pour la liberté (CNL), démontrent un mépris inquiétant de l’État de droit.
Quatre ans après qu’une crise des droits humains généralisée a démarré au Burundi, cette situation est en train de devenir la norme. Depuis février, quand le CNL a été agréé, nous avons reçu des dizaines d’allégations d’arrestations, de passages à tabac, d’intimidations et de disparitions de membres du nouveau parti, commis par des membres du service national de renseignement, de la police et des Imbonerakure, le mouvement de jeunes associé au parti au pouvoir.
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La crise a commencé le 25 avril 2015. Ce jour-là, le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD, au pouvoir) annonça que, bien qu’arrivant au terme de son deuxième mandat, le président Pierre Nkurunziza serait candidat aux élections de juillet 2015. Cette décision controversée déclencha des manifestations généralisées dans la capitale, Bujumbura. Les autorités répondirent en réprimant les militants, les journalistes et les manifestants, et Pierre Nkurunziza fut réélu pour un troisième mandat, sur fond d’atteintes généralisées aux droits humains et dans un climat de peur.
Depuis lors, la répression menée par les agents du service de renseignement national et les jeunes proches du CNDD-FDD s’est enracinée. Toute personne suspectée d’être opposée au parti au pouvoir est devenue une cible. Quatre ans se sont écoulés et les perspectives sont moroses, alors que l’élection présidentielle de 2020 approche à grands pas. Bien que la répression ne soit pas aussi visible qu’aux premiers jours, elle est aussi brutale et a lieu en toute impunité.
Violences et intimidations
Le leader d’opposition Agathon Rwasa a créé le nouveau parti après un référendum constitutionnel, en mai 2018, qui a permis au président de prolonger son mandat pendant de nombreuses années. Le vote a eu lieu dans un contexte de violences et d’intimidations accrues contre les opposants politiques.
Un agent de police à Bujumbura nous a récemment raconté au téléphone que lorsque les responsables administratifs locaux identifient des partisans du CNL, ceux-ci sont rapidement arrêtés et accusés de participer à des réunions « illégales ». Selon lui, les membres des Imbonerakure orchestrent ces arrestations et « ce sont eux que les autorités judiciaires écoutent ». Les rapports quotidiens publiés par les groupes d’observateurs locaux laissent entendre que c’est une pratique généralisée.
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Les piliers fondamentaux de l’Etat de droit – y compris un système de justice qui peut fonctionner sans interférences politiques – sont gravement menacés au Burundi. Des avocats et des juges ont évoqué à plusieurs reprises l’influence des responsables du CNDD-FDD sur le système judiciaire aux niveaux local, provincial et national. Un juge que nous avons interrogé a indiqué que dans des affaires politiquement sensibles, lorsque les personnes sont accusées d’atteinte à la sûreté de l’Etat, les instructions sont claires : « Il n’y aura jamais d’issue favorable pour le suspect. »
Des défenseurs des droits humains ont fui ou ont subi une forte pression à l’intérieur du pays. Il y a un an, un militant célèbre, Germain Rukuki, a été condamné à trente-deux ans de prison pour « rébellion », entre autres chefs d’inculpation. Il a été jugé en lien avec son travail avec l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT-Burundi), désormais interdite. Son procès en appel, prévu le 25 avril après plusieurs mois de retard, a été reporté indéfiniment. Le militant est donc toujours en détention et son avenir demeure incertain.
Une peur profondément ancrée
Les déclarations que nous recevons de personnes au Burundi reflètent une peur profondément ancrée du parti au pouvoir et des Imbonerakure. Les Burundais expriment une frustration grandissante face au fardeau économique croissant de la crise et aux contributions forcées, collectées notamment pour financer l’élection de 2020. Un an avant le vote, l’impunité est susceptible d’attiser davantage les violences et la répression contre les opposants politiques. Les abus commis au Burundi ont lieu essentiellement dans l’ombre. Le gouvernement fait tout ce qu’il peut pour dissimuler la vérité en faisant taire les dissidents.
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L’Union africaine (UA) doit prendre ses responsabilités pour trouver une solution à la situation des droits humains au Burundi. Ses observateurs sont présents dans le pays depuis 2016, mais leur accord d’intervention n’est pas clair et leurs rapports ne sont pas rendus publics. Alors que le bureau du Haut Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme, la société civile et les médias indépendants ont été écartés, les agents de l’UA constituent la seule mission d’observateurs externes – bien que réduite – ayant accès au Burundi. Face à une intensification de la crise qui se profile à l’horizon, l’UA devrait s’assurer que la vérité sur les violations des droits au Burundi éclate au grand jour et prendre davantage de mesures pour tenter de résoudre la situation avant 2020.
Lewis Mudge est directeur de Human Rights Watch pour l’Afrique centrale.