Le 23 août, Diomède Nzobambona, un Canadien âgé de 62 ans, est mort des suites de blessures reçues la veille au cours d’une « agression » à Bamenda. Ce collaborateur du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) se trouvait dans la capitale régionale camerounaise du Nord-Ouest « pour fournir une assistance humanitaire aux communautés affectées par les violences armées », selon un communiqué de l’ONG.
Si les circonstances restent encore à élucider, le décès de ce spécialiste des questions d’eau et d’assainissement a choqué les humanitaires travaillant dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, les deux régions anglophones du pays plongées depuis 2017 dans une guerre civile opposant l’armée camerounaise et des séparatistes.
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« Les travailleurs humanitaires subissent de plus en plus d’attaques directes qui, pour un grand nombre, ont entraîné des décès, des blessures, des enlèvements, des détournements de véhicules de fonction et des retards dans les opérations d’assistance », explique Carla Martinez, cheffe du Bureau de coordination des affaires humanitaires (OCHA) au Cameroun. Selon ses indications, quatre employés d’organisations ont été tués depuis 2019, tandis que plus de 19 autres ont été enlevés au cours de ces seize derniers mois dans les deux régions.
Les humanitaires sont nombreux à alerter sur l’« extrême » difficulté à mener leur mission dans ces régions où ils se retrouvent « pris au piège » entre le gouvernement et les sécessionnistes qui les accusent chacun de travailler pour l’autre camp. Début août, Médecins sans frontières (MSF) a été contrainte de retirer ses équipes dans le Nord-Ouest après huit mois de suspension par les autorités camerounaises qui accusaient l’ONG de soutenir les groupes armés, ce qu’elle dément « catégoriquement ».
« Grande vulnérabilité »
En 2020, jusqu’à l’interruption de ses opérations le 8 décembre, MSF offrait « le seul service d’ambulance gratuit vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept » dans la zone et dit avoir transporté 4 407 patients, dont plus de 1 000 femmes sur le point d’accoucher. Son départ prive ainsi des « milliers de personnes de soins vitaux » dans un contexte déjà éprouvant pour les populations.
Médecins sans frontières n’est pas la seule organisation non gouvernementale d’envergure internationale dans le viseur de Yaoundé. Dans un communiqué publié le 26 août, le ministre de l’administration territoriale, Paul Atanga Nji, a donné un mois aux organisations étrangères travaillant dans le pays pour déposer la liste complète de leurs employés qu’ils s’agissent de Camerounais ou expatriés, leurs contrats de travail, leurs programmes d’activités…
Une demande dénoncée par la société civile. « Nous voulons juste nous assurer qu’elles utilisent un personnel intègre » et ne sont pas, pour ce qui concerne les ONG opérant au Cameroun anglophone, en « collusion avec les séparatistes, ces terroristes », assure une source gouvernementale qui souhaite garder l’anonymat.
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Mais, dans le même temps, de nombreux employés de ces organisations sont régulièrement kidnappés par des « Ambaboys » − surnom des sécessionnistes qui ont nommé leur « pays » Ambazonie. « Le problème est que certains travailleurs humanitaires se sont aventurés sur notre territoire sans nous demander le droit de passage. Ils ont été arrêtés puis relâchés après des enquêtes menées pour vérifier leur identité et leur mission », justifie Daniel Capo, chef adjoint de l’armée de l’Ambazonia Governing Council, l’un des groupes sécessionnistes, qui affirme entretenir « une bonne relation avec les travailleurs » suivant les « protocoles ».
Les humanitaires exhortent les deux parties épinglées pour de nombreuses violations de droits humains à respecter leur « neutralité » et à faciliter leur travail face aux immenses besoins des civils pris entre deux feux. « Ils manquent de nourriture, de produits de santé, de protection… Avec le Covid-19, les fonds ont encore été plus réduits. Les populations sont dans une grande vulnérabilité », déplore Esther Omam, la directrice exécutive de l’ONG camerounaise Reach Out.
« Le plus gros obstacle »
Quatre années de conflit au Cameroun anglophone ont déjà fait plus de 3 500 morts et forcé plus de 700 000 habitants à fuir leur domicile. Sur le terrain, les combats continuent. Selon Carla Martinez d’OCHA, pas moins de 1,15 million de personnes sont aujourd’hui en situation d’« insécurité alimentaire sévère » dans ces deux régions.
« Le gouvernement ne parvient pas à apporter de l’aide à tous ceux qui en ont besoin. Pourtant, ceux qui l’épaulent dans ce travail en fournissant de la nourriture, des vêtements, des soins… sont interdits », s’offusque Ayah Ayah Abine, président de la fondation Ayah. Cette organisation camerounaise, engagée auprès des déplacés anglophones et des réfugiés partis au Nigeria voisin, a été accusée « par les alliés du gouvernement » de ravitailler les « Ambaboys » en armes « sans qu’il y ait un semblant de preuve », clame l’homme d’affaires.
Fils de Paul Ayah Abine, un ancien député du parti au pouvoir et avocat général près la Cour suprême du Cameroun, passé dans l’opposition et un temps emprisonné, Ayah Ayah Abine dénonce un réglement de comptes politique. Depuis janvier 2020, son compte bancaire personnel ainsi que ceux de la fondation et de son père ont été gelés par Yaoundé et l’ONG a perdu ses nombreux mécènes et partenaires au Cameroun ainsi qu’au sein de la diaspora.
Pourtant, « nous avons soutenu des milliers de déplacés. Nous avons fait onze voyages au Nigeria. Nous avons des images, des factures », insiste Ayah Ayah Abine, qui conclut : « Le gouvernement est le plus gros obstacle pour tous ceux qui font de l’humanitaire dans les régions anglophones. »
« Le gouvernement n’empêche pas les ONG de circuler partout », défend la source gouvernementale déjà citée. Selon cet officiel, les autorités prennent des mesures uniquement contre les organisations qui « transportent des armes » mais aussi qui « reçoivent et soignent des blessés par balles sans les signaler ». Mais sur le terrain, de nombreuses associations camerounaises, qui préfèrent s’exprimer de manière anonyme, disent subir la pression des autorités lorsqu’elles s’investissent auprès des victimes de la crise anglophone.