Tribune. L’élection présidentielle du 7 octobre au Cameroun a été l’occasion de prolonger et de consolider le malaise camerounais. Alors même qu’elle a capté l’essentiel de l’attention publique ces dernières semaines, elle se clôt sur un résultat sans surprise. Paul Biya reconduit à la tête de l’État, c’est le signe que le pays sera maintenu dans un état de tension sociale et politique permanente. Ceci d’autant plus que l’âge avancé du président pose avec acuité la question de l’inévitable succession à la tête de l’État.
Durant ses trente-six années de règne, les conditions de vie des Camerounais se sont dégradées avec une constance inquiétante. L’accès à l’eau, à l’électricité, à la santé ou encore à l’éducation reste un défi dans les zones urbaines comme rurales. Et sur les plans politique et sécuritaire, la stabilité du pays est plutôt précaire du fait de la lutte contre les incursions de Boko Haram dans le Nord et encore plus de la guerre qui sévit depuis plusieurs mois dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Le bilan de ce régime est désastreux, nous sommes au bord de l’implosion.
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Pourtant, le débat n’a quasiment pas eu lieu durant la campagne électorale. Exit l’examen méticuleux des défaillances endémiques de l’Etat ! Afin de dissimuler trente-six ans d’incurie, l’oligarchie en place a eu recours à l’intimidation, mais également à la construction de boucs émissaires, en pointant notamment un groupe social, les Bamiléké, et en diffusant ad nauseam des discours haineux incitant au repli identitaire. Elle réactive ainsi une des matrices de la gestion coloniale des populations africaines. Cette stratégie a également permis d’occulter l’exclusion de l’élection des Camerounais résidant dans les régions anglophones, représentant environ 20 % de la population, ainsi que la marginalisation des femmes de l’espace politique.
La cohésion nationale est mise en péril avec la complicité d’une partie de l’intelligentsia locale et de la diaspora, qui profite d’une visibilité médiatique et/ou sur les réseaux sociaux pour diffuser et infuser la haine de l’autre dans l’imaginaire populaire.
Fin de règne
Le résultat de la présidentielle du 7 octobre est irrémédiablement une « fausse victoire ». Nous ne sommes pas dupes. Nous avons pleinement conscience que le contexte actuel de fin de règne, adossé à l’exacerbation des tensions sociales et politiques, est un ferment de l’embrasement. Afin d’assumer notre responsabilité de jeunes universitaires et actrices de la société civile, nous proposons de mener un travail intellectuel et pratique consistant à :
- Décoloniser impérativement notre pensée et désethniciser l’État. La diversité culturelle fonde notre identité, mais l’« ethnie » ne doit en aucun cas être une ressource politique, sous peine de conforter le régime actuel, perpétuer une mémoire coloniale détestable, faire offense à la mémoire nationaliste et insulter toutes celles et ceux qui ont fait le sacrifice de leur vie pour que le rêve Cameroun se matérialise.
- Reconnaître que la solution aux tensions sociales est politique. Il est urgent de redéfinir les contours de la relation entre l’Etat et ses représentants d’une part, les citoyens d’autre part. Afin de résoudre le contentieux historique autour de sa formation, il faut mener une réflexion sans tabous sur la forme de l’Etat. A cet égard, une autonomie régionale, voire le fédéralisme, avec l’élection de dirigeants et d’assemblées à l’échelle locale, est une des pistes souhaitables.
- Admettre l’impossibilité d’obtenir une transition ou, a minima, une alternance effective par les institutions et le processus électoral actuels, dont la dimension antidémocratique a été confirmée. L’intimidation, la manipulation et la fraude ont caractérisé les périodes électorale et post-électorale, sans jamais être remises en cause par les instances chargées de superviser et de valider les élections. Et bien qu’ils aient, le temps d’une élection, ravivé la ferveur populaire à l’égard de la politique, ceux qu’on découvre opposants farouches à ces institutions ne sont malheureusement pas toujours exempts des mêmes soupçons.
- Poser les jalons d’une citoyenneté alternative et réellement inclusive. Cette élection a démontré que le peuple camerounais reste mobilisé et déterminé à prendre part à l’édification de notre jeune nation. Si les mobilisations observées semblent trancher avec celles attendues dans le cadre de l’inscription sur les listes électorales, c’est qu’elles rendent compte d’une réalité : la citoyenneté est partielle lorsqu’elle n’exprime qu’une dimension institutionnelle. Il est donc indispensable d’élaborer une citoyenneté qui couvre l’ensemble du corps social., notamment les catégories réduites au statut de subalternes (jeunes, femmes, classes populaires, militants de l’opposition…), à qui l’on doit l’indépendance du territoire, sa réunification et l’ouverture bien qu’imparfaite de l’espace politique.
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Larissa Kojoué, politiste à l’université d’Aix-Marseille, Rose Ndengue, politiste et historienne à l’université Paris 7-Diderot, Félicité Djokoue, fondatrice et directrice exécutive de l’Association des acteurs de développement, à Yaoundé, Brenda Ngum, doctorante en sociologie à l’université Paris 7-Diderot.
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Présidentielle au Cameroun : et à la fin, c’est encore Biya qui gagne
Le président sortant, 85 ans dont près de trente-six au pouvoir, a été reconduit pour un mandat de sept ans avec 71,28 % des suffrages.
L’élection présidentielle au Cameroun obéit à une scénographie bien réglée. Le contexte et le déroulement du vote, le casting des rôles secondaires varient selon les époques, mais la conclusion demeure immanquablement la même.
La campagne peut offrir une apparence de vitalité démocratique, les opposants clamer leur certitude de victoire dans les urnes, les contestations légales être bien argumentées, l’attente du résultat contenir juste ce qu’il faut de faux suspense ; à la fin, un même visage émerge, seulement marqué de quelques rides supplémentaires.
Lundi 22 octobre, au terme des quinze jours légaux qui leur étaient offerts après le vote, perruqués, les épaules couvertes d’hermine, les onze membres du Conseil constitutionnel, tous nommés par Paul Biya, ont proclamé la victoire définitive et sans appel du même Paul Biya à l’élection présidentielle. Un septième mandat obtenu officiellement avec 71,28 % des suffrages pour un homme de 85 ans qui a déjà occupé pendant près de trente-six ans la plus haute fonction de l’Etat.
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Que peut-il encore promettre que le temps ne lui a pas permis de réaliser ? Pour sa réélection, le président sortant n’a pas eu besoin de faire campagne ni de faire miroiter de nouvelles opportunités à son peuple. Son slogan, qui tapissait ces dernières semaines tout ce que le Cameroun compte de murs, s’est limité à une formule : « la force de l’expérience », qui ne l’engage en rien auprès de ses concitoyens. Il aurait aussi pu choisir « le poids des habitudes ».
Maurice Kamto, premier opposant
Une élection pour rien, pourrait-on dire alors ? Peut-être pas, car de l’avis de tous les observateurs de la vie locale, ce scrutin présidentiel a redonné un certain intérêt pour la politique à nombre de Camerounais jusque-là désabusés par la sclérose du débat public.
Retransmis à la télévision nationale et repris sur les réseaux sociaux, les trois jours d’audience devant le Conseil constitutionnel ont offert un spectacle inédit et largement suivi : celui de la mise en accusation des pratiques électorales du régime devant un tribunal.
Devant cette instance, chargée pour la première fois, vingt-deux ans après sa création, de se prononcer sur les recours déposés lors d’une élection à la fonction suprême, le candidat Maurice Kamto, qui demandait l’annulation du vote dans sept des dix régions du pays, estimant notamment que 1,327 million de voix ont été frauduleusement octroyées à Paul Biya, s’est fait le héraut d’un « Cameroun aplati, qui depuis les origines cherche à se redresser » face au « Cameroun de l’arrogance régnante, méprisante, sûre de son fait ».
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Sans surprise, les membres du Conseil constitutionnel ne lui ont pas donné satisfaction – pas plus qu’aux deux autres candidats, Joshua Osih et Cabral Libii, qui réclamaient l’annulation complète du scrutin du 7 octobre –, mais Maurice Kamto (14,23 % des suffrages) a montré lors de cette élection qu’il pouvait désormais endosser la tenue de premier opposant à Paul Biya. Un pari sur l’avenir, en somme, sachant que la présidence Biya est entrée dans une ère crépusculaire et que personne ne sait comment les ténors du parti au pouvoir géreront l’inéluctable succession du « Sphinx d’Etoudi ».
Le pays n’a jamais paru aussi morcelé
Dans cette première élection organisée à l’ère des réseaux sociaux, propices à la diffusion d’informations rarement vérifiées, et des groupes WhatsApp permettant le rassemblement de tous ceux qui partagent un même avis, le Cameroun aura aussi montré un visage inquiétant.
« On a pu voir un ethnofascisme se développer contre les Bamiléké. Il faut pour cela regarder certaines chaînes de télévision soutenues par le pouvoir », indique Stéphane Akoa, politologue à la Fondation Paul Ango Ela. En effet, que ce soit dans les groupes de discussions ou dans certains médias, la campagne contre Maurice Kamto a été menée bien davantage contre la communauté à laquelle il appartient que contre le programme défendu par cet ancien ministre (2004-2011) à la personnalité policée et aux manières de technocrate.
Pour Paul Biya, tout le défi de son nouveau mandat de sept ans sera de préserver l’unité d’un pays qui n’a jamais paru aussi morcelé. Dans les provinces septentrionales, le combat contre les islamistes de Boko Haram, qui a permis à Yaoundé de se replacer sur l’échiquier international comme l’un des rouages de la lutte contre le djihadisme, n’est pas achevé. « Ils ont récupéré beaucoup d’armes lors de deux attaques sur des bases militaires au Nigeria. Dès la saison sèche, ils vont relancer des attaques », s’inquiète un officier de haut rang.
Dans les deux régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, les autorités camerounaises mènent en revanche depuis un an une guerre sans appui extérieur et sans regard étranger contre les rebelles indépendantistes anglophones. Nul n’est en mesure de savoir si, dans un avenir proche, Paul Biya privilégiera le dialogue, comme l’y incitent diplomates et leaders de la société civile, ou poursuivra la répression à huis clos.
Par Cyril Bensimon – LE MONDE Le 22.10.2018