Combien d’années encore Paul Biya sera-t-il président du Cameroun ? Qui pour lui succéder ? Dans ce pays d’Afrique centrale, ces questions ne divisent pas, parce que personne n’ose les poser ouvertement. Intimidations, accroissement des arrestations, nervosité évidente du pouvoir.
Début novembre, alors que les thuriféraires du régime et les militants du parti présidentiel célébraient dans un grand tapage médiatique les trente-trois ans de règne de Paul Biya, seules quelques « têtes brûlées » ont accepté d’évoquer la répression en cours et les conditions d’une alternance politique. Têtes brûlées, ou plutôt « ampoules grillées », comme se désignent eux-mêmes une poignée d’intellectuels et d’activistes issus de la société civile qui disent ainsi « ne pas craindre de court-circuit ».
« Nous assistons aux dérives d’un groupe de vieillards ayant pris le pays en otage. » Le militant Cabral Libii, par ailleurs enseignant en droit à l’Université de Yaoundé II, tient le chef de l’Etat, bientôt âgé de 83 ans, pour seul responsable de la situation délétère du Cameroun. Le pays a vu la pauvreté s’accroître fortement : un quart des 25 millions d’habitants vit désormais avec moins d’un euro par jour. « C’est la conséquence de l’usure et d’une présidence qui n’a jamais eu de cap, regrette Cabral Libii. Mais c’est surtout le signe que le système est en train de s’effondrer. »
Arrestations répétées
En ce mois de novembre, aux abords de plusieurs artères de Yaoundé, se dressent d’immenses affiches de Paul Biya le représentant jeune et triomphant dans les premières années qui ont suivi son arrivée au pouvoir, en 1982. « Aujourd’hui, son âge avancé est un signe avant-coureur de fin de règne, avance le militant Bernard Njonga, fondateur du parti Croire au Cameroun (CRAC). Ajoutez à cela des incohérences et des disputes au sein de l’appareil d’État. » Pour ce militant prodémocratie qui se bat depuis une vingtaine d’années, la communication qui a entouré l’anniversaire de l’accession de Paul Biya à la présidence cache mal la tournure autocratique prise par un régime qui avait pourtant promis « progrès et démocratie » à ses débuts.
En réalité, plus le régime de M. Biya s’éternise, moins il semble possible d’évoquer une alternance politique. La moindre velléité de contestation est aussitôt étouffée par les autorités. Des élections générales sont théoriquement prévues en 2018, mais « tenter de briser le tabou de l’après-Biya peut valoir d’être aussitôt broyé par le système », souligne Jean-Bosco Talla, initiateur de la Grande Palabre, une plate-forme de débats citoyens dont les réunions sont systématiquement interdites depuis un an.
Une réunion publique du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), un parti d’opposition créé par l’ancien ministre Maurice Kamto après sa démission en 2011, s’est finalement tenue samedi 21 novembre à Bafoussam (ouest) avec un important déploiement des forces de l’ordre après avoir été menacée d’interdiction.
Le 16 novembre, Thierry Batoum, président de l’Association pour la défense des droits des étudiants du Cameroun (Addec), le principal mouvement estudiantin du pays, est interpellé dans le campus de Yaoundé alors qu’il prépare une marche silencieuse pour protester contre l’augmentation des droits universitaires. Toujours en détention, il attend d’être jugé pour « trouble à l’ordre public et incitation à la révolte ».
Climat de suspicion et de peur
La suspicion qui règne dans tout le pays, et la peur de s’exprimer librement qu’elle entraîne, s’est accentuée depuis l’adoption, en décembre 2014, d’une loi « antiterroriste ». Cet arsenal législatif, censé contrer les exactions de la secte islamiste nigériane Boko Haram en territoire camerounais, est aussi un moyen de museler l’opposition.
La loi punit de la peine de mort « celui qui, à titre personnel, en complicité ou en co-action, commet tout acte ou menace d’acte susceptible de causer la mort (…), de perturber le fonctionnement normal des services publics (…), de créer une situation de crise au sein des populations (…), de créer une insurrection générale dans le pays ». Les autorités peuvent interpréter à leur guise cette disposition et donc assimiler à des actes de terrorisme tout regroupement public, même pacifique. Les étudiants qui manifestaient contre l’augmentation des frais universitaires ont ainsi été interpellés au nom de cette loi « antiterroriste ».
A la mi-septembre, neuf personnes ont été arrêtées au motif d’une réunion publique non déclarée. Il s’agissait d’un colloque initié par un collectif d’ONG sur le thème de la gouvernance électorale et de l’alternance démocratique. Les organisateurs sont poursuivis pour « désobéissance aux autorités administratives et policières et rébellion ».
Issa Tchiroma, le ministre de la communication, porte-parole du gouvernement, estime cependant que les libertés sont parfaitement garanties. « Le Cameroun respecte la liberté d’expression tant que la loi est respectée », tranche sans rire ce ministre de 68 ans entré au gouvernement en 1992. « Nous sommes un État de droit », ajoute M. Tchiroma qui fait partie, malgré son âge, des plus jeunes de la caste au pouvoir dont la moyenne d’âge est de 77 ans, d’après un calcul effectué en 2014 par Libre Afrique.
Le président Paul Biya n’a encore rien laissé transparaître de ses intentions quant à une candidature à un septième mandat de sept années. Mais, depuis la modification constitutionnelle de 2009, rien ne l’en empêche. Et le Code électoral, taillé sur mesure, lui garantit la victoire. Conséquence, la résignation est générale. « La vérité, regrette Cabral Libii, c’est qu’on en est à attendre que le système se désagrège tout seul. »
Par Raoul Mbog (Yaoundé, envoyé spécial)
Source : LE MONDE