Au Mali, le pire serait qu’un pouvoir militaire vienne s’enkyster sur les difficultés inhérentes à un système politique fragile et instable, exposé aux pressions étrangères et aux soulèvements populaires.
C’est pourquoi il faut encourager, malgré la méfiance compréhensible, une transition conduite au plus vite par des acteurs de consensus issus de la société civile.
JDE
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Au Mali, la junte dévoile sa «charte» pour la transition
Fruit d’un compromis avec les partis et la société civile, ce document prévoit de nommer un président pour dix-huit mois.
La stratégie n’a connu qu’un succès relatif, alors que le contenu exact des discussions restait mardi encore flou. Les chefs d’État se seraient montrés agacés, notamment par la possibilité, incluse dans la charte, que la présidence revienne à un militaire. L’étape ne serait donc pas totalement franchie.
Le coup d’État conduit par une poignée d’officiers a certes balayé un régime à bout de souffle, mais il a laissé un vide abyssal et dangereux.
Au sortir du Centre international des conférences de Bamako, samedi, les visages étaient pourtant souriants. Sur les marches de marbre blanc, les conférenciers s’interpellaient, soulagés d’avoir ébauché un début de solution pour sortir le Mali de la crise. Le coup d’État conduit par une poignée d’officiers a certes balayé un régime à bout de souffle, mais il a laissé un vide abyssal et dangereux. Les trois «journées de concertation nationale», qui en fin de semaine dernière ont regroupé autour de la junte des partis politiques et des acteurs de la société civile, ont donc permis de dessiner un nouveau pouvoir acceptable au moins théoriquement pour une époque qui n’est plus celle des dictateurs galonnés. Pendant des heures, les délégués ont pu étaler les nombreux maux dont souffre le pays, les dérives d’un pouvoir corrompu et une administration peu efficace.
Au final, militaires et civils ont fini par s’entendre sur une charte. Pour une durée de 18 mois, elle confie le pouvoir à un président civil ou militaire, qui nommera un premier ministre et un gouvernement de 25 ministres. Un Conseil national de transition, sorte d’Assemblée nationale de 121 membres, est instauré. Mais la charte crée aussi des postes plus inattendus, comme un vice-président chargé des secteurs «de la Défense, de la Sécurité et de la Réforme de l’État», qui semble taillé sur mesure pour un militaire, ainsi qu’un vice-premier ministre. «C’est un document acceptable, une bonne base de travail. Nous avions conseillé aux militaires de se mettre en retrait et cela semble le cas», analyse un diplomate de haut rang. Restait à faire accepter cette architecture à la Cédéao.
Compromis qui ne satisfait pas tout monde
Les observateurs sont loin d’être totalement rassurés. D’abord parce que ce document est le fruit d’un compromis qui ne satisfait pas tout monde. Reprendre les discussions pourrait être ardu. Le Mouvement du 5 juin (M5), qui pendant trois mois a mené des manifestations pour obtenir la chute d’IBK, s’estimait le mieux placé pour dicter les conditions de la future transition. Le CNSP aussi. «Ce sont deux légitimités qui s’affrontent», résume un autre diplomate. Pour obtenir des résultats, les militaires n’ont pas hésité à jouer sur les divisions qui animent le M5, groupe hétéroclite tenu par le seul objectif de faire tomber IBK. Très vite, le M5 a publié un communiqué pour «se démarquer» de la charte, s’offusquant, comme la Cédéao, d’une possible présidence militaire et des pouvoirs larges dévolus au vice-président. «Cette charte ne prend pas du tout en compte le contenu des discussions que nous avons eues», assure Mountaga Tall, un des hommes politiques du M5. Les membres de ce mouvement issus de la société civile semblent, eux, plus enthousiastes. «C’est un bon document qui permet d’avancer», explique Clément Dembélé, en fustigeant au passage «la vieille classe politique». L’imam Dicko, puissante personnalité religieuse qui passe pour le guide spirituel et politique d’une bonne partie du M5, dit «pouvoir s’en accommoder», tout en émettant des réserves.
L’homme, fin négociateur, sait que les difficultés iront croissantes avec les nominations effectives à ces postes très convoités, à commencer par la présidence. Trouver le nom d’une personnalité honnête et expérimentée qui fera consensus dans un pays où la classe politique est largement discréditée est délicat. D’autant que les militaires, s’ils donnent une impression d’unité, sont plus divisés. La tentation de profiter de la bonne image de l’armée dans le pays – 63 % des Maliens souhaiteraient la voir conserver le pouvoir selon un sondage réalisé par Tuwindi – pour garder la main sur une partie du pouvoir est réelle. «Il faut faire attention de n’humilier personne. Sinon, les choses peuvent mal tourner», assure un observateur.
Par Tanguy Berthemet