Anthony Lattier : Menaces de retrait de la CPI, refus d’obtempérer aux injonctions à démocratiser émanant de certaines grandes nations et institutions occidentales… D’où vient donc cette impression d’exaspération vis-à-vis de l’Occident, que donnent les dirigeants africains, et qui s’est encore manifestée, cette semaine, à l’Assemblée des Etats parties au Statut de Rome ?
Jean-Baptiste Placca : Elle est juste et fine, votre observation. Il plane, en effet, dans l’air… comme un esprit de révolte, une petite fronde des princes d’Afrique contre la CPI qui, du point de vue de nombreux Africains, poursuivrait d’un zèle imbécile les chefs d’Etat du continent, et se montrerait, de ce fait, comme un instrument dont use et abuse l’Occident contre la seule Afrique. Fronde, aussi, contre les rappels à l’ordre démocratiques que s’autorisent, notamment, le gouvernement français, l’Union Européenne et pour quelques semaines encore l’Administration Obama, à l’endroit de certains dirigeants, suspectés de vouloir s’accrocher au pouvoir, et qui, de fait, s’y accrochent réellement.
L’Afrique est-elle une proie facile pour la CPI ? Oui, pourquoi le nier ! Mais la vraie question, la seule qui vaille, devrait être de savoir si c’est à tort que la CPI s’acharne ainsi sur les dirigeants africains. Il y a bien des crimes de masse, des crimes contre l’humanité, dans la plupart des pays indexés par la CPI. La justice, dans ces Etats, s’empresse peu de rétablir les victimes dans leurs droits. A qui la faute, si les politiciens africains bafouent davantage que d’autres les droits de leurs peuples ? Sur quelle justice pourraient compter, aujourd’hui, les victimes du conflit fratricide au Soudan du Sud, en dehors de la CPI ?
Et pour ce qui est de la démocratie, du respect des Constitutions ?…
Vous savez, autrefois, l’Occident se mêlait tout autant des affaires des nations africaines. Mais c’était pour prendre le parti des dirigeants, des dictateurs contre leurs peuples. Et les opposants politiques qui osaient le déplorer risquaient parfois leur liberté, ou même leurs vies. Aujourd’hui, l’Occident affiche de meilleures dispositions vis-à-vis des populations, et l’on a du mal à s’en plaindre… Mais, là, ce sont, les tenants des régimes autocratiques qui s’offusquent de ce que l’on se mêle, soi-disant, de la souveraineté de leurs Etats. La liberté, l’état de droit, la démocratie sont des aspirations naturelles et légitimes de tous les peuples. Et ceux qui protestent contre les injonctions de l’Occident sont, presque toujours, ceux qui profitent de ces régimes et voudraient ne jamais les voir prendre fin. Il est bien trop facile de dénoncer les ingérences étrangères, lorsque l’on est confortablement installé au bord de la « mangeoire », à se goinfrer aux dépens du plus grand nombre, au mépris des plus démunis. Aucun peuple n’affectionne la dictature ! Aucune nation ne peut être heureuse, à subir une famille, un clan, qui confisquerait l’essentiel de la richesse nationale, pendant vingt, trente, quarante, ou cinquante ans ! Les nations sur lesquelles règne indéfiniment de tels clans finissent par ressembler aux territoires contrôlés par la maffia. La médiocrité, dans ces pays, devient facilement la règle, puisqu’il faut être ou un laudateur obséquieux ou un griot servile, pour accéder aux miettes qui tombent de la table du clan. Les citoyens solides et valables, qui ne savent pas se montrer soumis et courtisans, sont souvent laissés sur le bas-côté de la route.
Un mot, justement, sur ceux que vous appelez les griots serviles. Pour porter le message de la fronde contre l’Occident, les gouvernements s’appuient en général sur des porte-parole qui sont, parfois, franchement dans l’excès…
De tout temps, il y a eu, pour porter le message de ces régimes, des porte-parole plus ou moins singuliers, plus ou moins populaires dans leur camp et, en général, franchement décriés par les opposants. C’est ainsi que l’on a entendu, il n’y a pas si longtemps, un candidat à la présidence traiter un ministre jouant ce rôle de « perroquet » ! Le perroquet, c’est cet oiseau qui imite bêtement, quoique parfois à la perfection, la voix humaine et, en l’occurrence, répète sans cesse ce que dit son maître.
Sous le dictateur d’exception qu’était, au Zaïre, Mobutu Sese Seko, le porte-parole s’appelait Sakombi Inongo. Il aura été une espèce de triste référence du griot servile, souvent imité, mais jamais égalé, depuis.
A l’heure des regrets, Sakombi dira avoir conçu, pour le générique du journal télévisé, une image montrant Mobutu, descendant des nuages, tel un dieu ! Mais, une fois que ce dernier a perdu le pouvoir, c’est le même Sakombi qui portera les témoignages les plus assassins sur ce dictateur qui, de son point de vue, faisait tout pour que tout demeure éternel.