L’État du Cameroun entre le marteau de l’Onu et l’enclume des pressions diplomatiques
Le Groupe de travail des Nations Unies vient de demander la libération immédiate et l’indemnisation de Marafa Hamidou Yaya pour plusieurs raisons:
1/ sa détention a été jugée arbitraire.
2/ la saisine du groupe de travail met en doute l’indépendance et l’impartialité du système judiciaire camerounais.
3/ l’état de santé de Marafa est considéré comme « préoccupant » et « les risques qu’il encourt sont très sérieux en raison de leur caractère éventuellement irréversible ».
La récente décision du groupe de travail contre la détention arbitraire demandant la libération immédiate de Marafa Hamidou Yaya «avec la possibilité d’un nouveau procès où tous ses droits devront être entièrement respectés» sera t-elle appliquée au Cameroun?
De quels moyens disposent l’instance internationale pour contraindre la justice camerounaise?
Telles sont les interrogations que l’on a enregistré après la publication par le Messager des conclusions de cet organe spécialisé des Nations-Unies en faveur du célèbre détenu du Sed.
L’ex-minadt condamné à 20 ans de prison pour complicité intellectuelle dans l’affaire de l’avion présidentiel pourrait donc recouvrer sa liberté si l’on prend en compte la reconnaissance par l’État du Cameroun, de fait et de droit, du groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire, placé sous l’autorité du Bureau du Haut-Commissariat aux Nations Unies pour les Droits de l’Homme.
Il y a d’abord les conventions internationales y relatives dont le Cameroun est signataire. En outre, le gouvernement a non seulement déposé devant l’instance mais a même demandé un délai de 60 jours supplémentaires pour préparer sa réplique sur les graves accusations portées contre lui par la défense du ministre d’État. Les mémoires du gouvernement tout comme ceux du plaignant ont été accompagnés par des documents justificatifs. Les deux parties étaient donc soumises aux conclusions du groupe de travail et devraient normalement y faire droit.
Dans un cas similaire s’agissant de Michel Thierry Atangana qui avait purgé 17 ans de prison avant d’être libéré alors qu’il lui restait encore près de …18 ans de taule. En application de la décision des Nations Unies contre sa détention arbitraire, il a fallu l’intervention du Département d’État américain et de nombreuses Ong, dont Amnesty International, pour qu’il soit libéré des geôles camerounaises le 24 février 2014. Il a été reçu peu après à l’Élysée par le Président François Hollande.
Soulignons pour terminer, la volonté manifestée par le Groupe du travail de faire appliquer ses délibérations dans le cas Marafa.
Monica Pinto, la Rapporteuse Spéciale du Conseil des Droits de l’Homme de l’Onu sur l’indépendance des juges et des avocats a été saisi par l’instance pour qu’elle prenne «toute action appropriée» à ce sujet. De lourdes menaces de sanctions multiformes planent dont sur l’État du Cameroun au cas où il n’appliquerait pas la décision de l’instance judiciaire internationale.
Edouard Kingue
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Quand les Droits de l’Homme se heurtent à la souveraineté des États
Mais comment concilier le respect des Droits de l’Homme et celui de la souveraineté des États? Des outils diplomatiques ont été pensés pour mettre fin à la détention arbitraire, qui apparaît de nos jours revêtir un caractère extra-national.
Le 12 avril dernier à Sciences Po Paris, avec la participation de Michel Thierry ATANGANA, des experts se sont penchés sur la question. C’était quelques mois avant la décision du groupe de travail de l’Onu sur le cas Marafa Hamidou Yaya intervenu en juin dernier.
Le panel était composé de Louis JOINET, ancien magistrat français et premier avocat général à la Cour de cassation, fondateur du Groupe de Travail sur la Détention Arbitraire de l’ONU et expert indépendant à l’ONU pendant trente-deux ans. Il s’est exprimé sur la pression politique que peut exercer la société civile dans le but de libérer un détenu arbitraire.
Roland ADJOVI, Vice-président du Groupe de Travail sur la Détention Arbitraire de l’ONU, est revenu sur les moyens et les actions du GTDA (Groupe de Travail sur la Détention Arbitraire) et le suivi de ses décisions.
Me William BOURDON, Avocat au Barreau de Paris et conseiller en Droit international auprès de nombreuses ONG et institutions internationales, a parlé du cadre juridique national, régional et international de la lutte contre la détention arbitraire.
Quant à Me Patrick BAUDOUIN, avocat pénaliste, président d’honneur de la FIDH et responsable du Groupe d’action judiciaire de la FIDH, il s’est penché sur les cas emblématiques de détention arbitraire que la FIDH a accompagné et les moyens engagés pour leur venir en aide, alors qu’Alain WERNER, Avocat au Barreau de Genève et fondateur de Civitas Maximas, a souligné le comportement des gouvernements d’Afrique de l’Ouest face aux décisions de justice internationales. On a encore en mémoire le cas de Karim Wade, libéré à la suite de pressions diplomatiques faisant suite à la décision du groupe de travail de l’Onu qui avait jugé arbitraire sa détention par le gouvernement sénégalais.
Comme on le voit, le cas de détention arbitraire préoccupe de plus en plus la communauté internationale et ne concerne pas l’Afrique seulement, comme certains pourraient le penser, car « Nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu ni exilé» comme consigné dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, dans son article 9.
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