Crimes contre des journalistes: la mort de Samuel Wazizi au Cameroun, une affaire emblématique
En mémoire de nos deux collègues de RFI, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, assassinés le 2 novembre 2013 au Mali, l’ONU a fixé au 2 novembre la Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre des journalistes. Un thème qui est d’actualité dans un pays comme le Cameroun, où cette année a été marquée par l’annonce, en juin dernier, de la mort du journaliste Samuel Wazizi.
Ce présentateur d’une télévision locale à Buea, dans la région anglophone du Sud-Ouest, avait été arrêté neuf mois plus tôt, le 2 août 2019, accusé de complicité avec les sécessionnistes anglophones. Le 5 juin 2020, le ministère de la Défense reconnaît que Samuel Wazizi est décédé le 17 août 2019, deux semaines après son arrestation. Il serait mort d’une infection généralisée. « Il n’a subi aucun acte de torture ou sévices corporels », assure alors le chef de la communication du ministère qui affirme également que la famille avait été prévenue.
Loin d’apaiser les cœurs, cette annonce a relancé les questionnements et les polémiques. Pourquoi le journaliste était-il gardé au secret en dehors de tout cadre légal ? si la famille était prévenue, pourquoi à 14 reprises, ses avocats ont demandé à la justice sa remise en liberté. Surtout, est-ce que Samuel Wazizi est mort des suites d’une septicémie ou bien a-t-il été torturé ?
« Ce sont des suspicions légitimes », explique un journaliste camerounais, surpris que l’enquête ordonnée par le chef de l’État ne soit pas encore terminée. Une enquête qui n’est « pas indépendante », regrette pour sa part un des avocats de la famille maître Emmanuel Nkea. Jusqu’à ce jour, le corps de Samuel Wazizi n’a pas été rendu à la famille.
On pensait qu’il était en détention au secret quelque part.
Denis Nkwebo, président du syndicat national des journalistes du Cameroun (Snjc)
Carine Frenk
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En effet la représentation diplomatique de la France au Cameroun fait malheureusement “le service minimum” – voire presque rien – pour la protection des journalistes, des leaders d’opinions et autres lanceurs d’alerte, dont certains croupissent dans les mouroirs carcéraux du régime, dans un sentiment de relative indifférence de des représentants de la France au Cameroun.
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Les lauréats de la Bourse Ghislaine Dupont et Claude Verlon 2020
Sept ans après l’assassinat de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, à Kidal dans le nord du Mali, RFI a attribué la bourse portant leurs noms au jeune journaliste camerounais Charles Donatien Abossolo Oba et au technicien burkinabè Romain Bouda.
À situation sanitaire exceptionnelle, remise de prix inédite. C’est par téléphone dans l’émission 7 milliards de voisins, diffusée ce lundi et présentée par Emmanuelle Bastide que les noms des deux lauréats de la septième édition a été annoncé. Du jamais vu depuis la création en 2014 de la bourse hommage aux deux reporters de RFI assassinés le 2 novembre 2013 à Kidal et qui récompense un jeune journaliste radio et un jeune technicien de reportage.
Les deux lauréats ont été choisis à l’issue de trois semaines de formation à distance, dispensée par l’Académie France Médias Monde. Afin de départager les 20 professionnels (10 techniciens et 10 journalistes) venant de 13 pays du continent africain choisis parmi plus de 300 candidatures, il a été demandé aux journalistes de réaliser un reportage sur le thème « dialogue et tolérance », tandis que les techniciens ont préparé un sujet sur le thème « les petits métiers de la rue ».
Qui sont Charles Donatien Abossolo Oba et Romain Bouda ?
Charles Donatien Abossolo Oba, 29 ans, journaliste à la Cameroon Radio Television (CRTV) est ressorti vainqueur dans la catégorie « journaliste ». Ce titulaire d’une licence professionnelle en journalisme de l’École supérieure des sciences et techniques de l’information et de la Communication (ESSTIC) de Yaoundé s’est distingué, par la clarté de son travail, son professionnalisme et la multiplicité et la qualité des témoignages recueillis dans le reportage de 3m30sec qu’il a choisi de focaliser sur la question de la polygamie à Ebolowa (Sud du Cameroun).
Reportage de Charles Donatien Abossolo Oba
Romain Bouda, a quant à lui, remporté le prix dans la section « technicien ». Originaire du Burkina Faso, ce titulaire d’un diplôme de Conseiller en Sciences et Techniques de l’information et de la communication, de 32 ans est actuellement technicien à la Radiodiffusion-Télévision du Burkina (RTB). Le jury a salué à l’unanimité la grande maîtrise technique de son « tout sonore » qui plonge littéralement l’auditeur dans l’ambiance d’un atelier de réparation de motos d’une rue de Ouagadagou.
Reportage de Romain Bouda
Tous deux n’ont pas caché leur émotion, au bout du fil, entourés de leurs proches. Une victoire saluée par les deux lauréats congolais de l’édition précédente, la journaliste Myriam Iragi Maroy et le technicien radio Vital Mugisho. Comme eux, les lauréats de cette septième bourse suivront une formation intensive d’un mois à Paris au cours du premier trimestre 2021. Formation en immersion à RFI et au sein des établissements partenaires de la Bourse : l’École de journalisme de Sciences Po pour Charles Donatien Abossolo Oba, et le centre de formation de l’Institut national de l’audiovisuel (INA) pour Romain Bouda.
« Une méthode de résilience qui honore de façon vivante la mémoire de Ghislaine Dupont et Claude Verlon »
Si cette édition 2020 n’a pas pu se faire dans les conditions habituelles, cette bourse reste « une méthode de résilience qui honore de façon vivante la mémoire de Ghislaine Dupont et Claude Verlon », estime Marie-Christine Saragosse, la présidente de France Médias Monde pour qui il était inenvisageable d’annuler malgré la pandémie de Covid-19. « À la simple idée qu’on n’ait pas pu le faire, toutes les imaginations se sont mises en œuvres », a-t-elle raconté au micro d’Emmanuelle Bastide. « On est frustré de ne pas être physiquement présent (sur le continent, NDLR), mais il y a aussi cette dimension panafricaine qui compense (…) On s’est adressé à 25 pays d’un seul coup ».
Une ouverture exceptionnelle à l’ensemble des pays d’Afrique francophone qui a inspiré les jeunes professionnels. Cette septième bourse a enregistré plus de 300 candidatures. Avec un niveau d’exigence important qui a donné lieu à des débats exceptionnellement longs et parfois houleux pour départager plusieurs reportages de grande qualité dans la catégorie journalistes. L’occasion pour l’éditorialiste Jean-Baptiste Placca de rappeler que le reportage « n’est pas un rapport de gendarmerie (…) Un reportage, c’est amener les auditeurs à vivre un évènement, comme s’ils y étaient. Vous les transposez sur le terrain. »Comme le faisaient, avec passion, Ghislaine Dupont et Claude Verlon.
► À écouter : Émission spéciale de7 milliards de voisins consacrée à la Bourse Ghislaine Dupont et Claude Verlon