Le président de la transition Michel Kafando est revenu à son poste à Ouagadougou. L’échec des putschistes devrait être un avertissement à tous ceux tentés de faire la même chose dans la région, militaires rétifs ou chefs d’État désireux de prolonger leur mandat.
Le président (de transition) du Burkina Faso a certes perdu son siège pendant quelques jours mais pas son éloquence. En retrouvant ses fonctions mercredi 23 septembre 2015 après la conclusion d’un accord avec les putschistes emmené par le général Gilbert Diendéré, Michel Kafando s’est fendu d’une belle déclaration : « Dans le malheur nous avons lutté ensemble, dans la liberté nous triomphons ensemble. À présent, libre de mes mouvements, je reprends du service. Et par là même, je m’affirme en la légitimité nationale. La transition est ainsi de retour et reprend à la minute même l’exercice du pouvoir d’État. L’a-t-elle d’ailleurs jamais perdu ? Non, vu la clameur nationale contre les usurpateurs, vu la réprobation internationale contre l’imposture, c’est l’aveu même que le gouvernement de transition que vous avez librement choisi, et en qui vous avez totalement mis votre confiance, est resté le seul à incarner la volonté du peuple souverain » .
Le coup d’État du Régiment de sécurité présidentiel (RSP), que l’on soupçonnait de vouloir réinstaller l’ancien président déchu Blaise Compaoré, aura donc duré moins d’une semaine (causant tout de même la mort de dix personnes). Même s’il eût mieux valu qu’il ne se produise jamais, il s’avère néanmoins riche d’enseignements pour les mois à venir en Afrique, où doivent se dérouler plusieurs élections et/ou réformes constitutionnelles qui s’annoncent délicates du point de vue des normes démocratiques.
La première leçon que l’on peut tirer de cette tentative de coup d’État avorté est la tolérance de plus en plus faibles des citoyens pour ce genre d’opération. Blaise Compaoré avait été chassé par la rue à l’automne 2014 alors qu’il tentait de manipuler la Constitution pour se faire réélire une nouvelle fois après 27 années de pouvoir. Les Burkinabè ont de nouveau manifesté leur réprobation dès qu’ils ont appris qu’un militaire tentait d’écarter les autorités de transition pour confisquer le pouvoir à son profit ou à celui de son ancien patron. En cela, ils ont réussi (par deux fois) là où les Burundais ont échoué malgré des mois d’insurrection pour mettre un terme au putsch constitutionnel de Pierre Nkurunziza à l’été 2015. Il n’empêche, l’acharnement des Burundais a marqué les esprits. Même s’ils n’ont pas réussi à écarter Nkurunziza, ils ont contraint celui-ci à marcher sur des cadavres et à s’aliéner une partie de la communauté internationale (dont de nombreux autres pays africains) pour obtenir son troisième mandat à la tête du pays.
Ces précédents sont désormais dans tous les esprits, en particulier ceux des dirigeants dont les mandats de chefs d’État arrivent bientôt à expiration et qui n’ont pas explicitement renoncé à leur prolongation : Joseph Kabila en République démocratique du Congo (deux septennats), Paul Kagamé au Rwanda (deux septennats plus 9 années de facto auparavant), Denis Sassou Nguesso au Congo-Brazzaville (deux septennats plus 18 ans auparavant). Dans les conditions actuelles, ces trois présidents iront-ils jusqu’au bout de leurs projets, ou seront-ils contraints d’y renoncer (comme le président béninois Thomas Boni Yayi qui a abandonné récemment son ambition de réformer la Constitution qui le limitait à deux quinquennats) ?
Cette interrogation nous amène à la deuxième leçon du Burkina Faso, qui est plutôt cynique. On peut parier que le prochain militaire qui voudra s’emparer du pouvoir ou le prochain président qui tentera de prolonger son mandat essaiera de s’y prendre avec plus d’habileté ou plus de force. Le général Diendéré, qui était pourtant considéré comme un des militaires les plus expérimentés et les mieux informés du pays n’avait visiblement pas anticipé que les Burkinabè ne voudraient majoritairement pas de lui et que l’armée régulière viendrait au secours des autorités légales. Son coup de force est apparu improvisé et hésitant. Les suivants, au Burkina ou ailleurs, seront sans doute mieux préparés.
Au Congo, Sassou Nguesso, 72 ans, entend s’y prendre en douceur : il a annoncé mardi 22 septembre qu’il allait organiser un référendum pour soumettre au peuple un projet de nouvelle Constitution. La manœuvre, qui vise avant tout à faire sauter les deux verrous qu’il avait lui-même imposés dans la précédente loi fondamentale (limite à deux mandats et âge maximum de 70 ans), est cousue de fil blanc mais elle pourrait bien fonctionner sachant que l’opposition congolaise est complètement morcelée.
La société civile, en particulier la jeunesse urbaine, ne courbe plus l’échine
Au Rwanda, Paul Kagamé, dont le mandat arrive à terme en 2017, n’a pas encore fait connaître ses intentions, mais il sait qu’il a beaucoup à perdre s’il tente une telle manœuvre, notamment son image internationale de bon élève de l’Afrique du XXIe siècle. Quant à Joseph Kabila en RDC, il semble toujours hésitant sur la voie à suivre. Mais le sujet est épineux en RDC, comme l’a montré l’arrestation au printemps 2015 de plusieurs militants du mouvement citoyen Filimbi, en compagnie de leurs homologues des organisations « Y’en a marre » du Sénégal et « Le Balai citoyen », en visite à Kinshasa.
C’est donc la troisième leçon de l’échec des putschistes de Diendéré : la société civile, en particulier la jeunesse urbaine, ne courbe plus l’échine. Elle se mobilise grâce à internet et aux téléphones portables, et elle descend dans la rue, en dehors du cadre des partis politiques ou de leurs relais associatifs. Elle est en prise avec le reste du monde via les réseaux sociaux : elle sait ce qui se passe dans les autres pays confrontés au même type de problèmes et elle se sait observée (et souvent soutenue) par des citoyens concernés aux quatre coins de la planète.
Conséquence de ces évolutions : cette jeune société civile est informée – et souvent mieux éduquée que les générations précédentes. Elle est consciente de l’état endémique de pauvreté dans lequel elle se trouve (Burundi, RDC, RCA, Rwanda, Burkina Faso, Mali, Bénin, Guinée-Équatoriale… sont parmi les 20 pays les moins riches en PIB par habitant), et de la responsabilité de ses élites prédatrices. Les affaires des « biens mal acquis », les dépenses somptuaires des dirigeants à l’étranger, les tours de passe-passe avec les constitutions… ne se produisent plus isolément dans chaque pays. Ces nouvelles sont diffusées et commentées au sein des sociétés civiles lasses des anciennes pratiques.
La démocratie en Occident s’est développée en s’appuyant sur la bourgeoisie qui aspirait à la stabilité et à l’égalité des chances. En Afrique, elle est aujourd’hui une exigence des classes populaires, des chômeurs et des sans-grades qui, justement, n’entendent plus voir le pouvoir confisqué par une bourgeoisie et une classe moyenne émergente qui s’accommodent aisément du clientélisme des gouvernements en place, qui leur profite au détriment du reste de la population.
Quatrième et dernière leçon : la condamnation du coup d’État de Diendéré par la communauté internationale a été quasi unanime. Les putschistes se sont trouvés immédiatement isolés et menacés de sanctions économiques et personnelles dès les premiers jours. Même si la réaction de plusieurs chefs d’État africains a été inexistante dans les premières heures du coup d’État, alors que la France, les États-Unis ou l’ONU donnaient de la voix, ce sont finalement eux qui ont pris les choses en main : deux d’entre eux (Macky Sall et Thomas Boni Yayi) ont mené une médiation et c’est sous l’égide de la conférence des chefs d’État et de gouvernement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qu’un accord a finalement été conclu.
Ce genre de réprobation concertée et de médiation ne fonctionnent pas toujours, ce qui s’est passé au Burundi ces derniers mois en témoigne, mais il existe désormais un sentiment de responsabilité collective, en Afrique comme en Occident, pour ne plus fermer les yeux sur les atteintes à la démocratie quand elles virent à des opérations armées ou sanglantes. Le vrai test grandeur nature se déroulera l’an prochain avec les élections prévues dans les deux Congo : Sassou Nguesso et Kabila sauront-ils se retirer à temps ou, au contraire, marcheront-ils dans les pas de Mugabe ou de Museveni au risque de se voir, à leur tour, confrontés à des sociétés civiles de plus en plus réactives?
Déclaration de Michel Kafando, qui a repris ses fonctions de président du Burkina Faso mercredi 23 septembre à Ouagadougou :
« Mes chers compatriotes,
Dans le malheur nous avons lutté ensemble, dans la liberté nous triomphons ensemble. A présent, libre de mes mouvements, je reprends du service. Et par là même, je m’affirme en la légitimité nationale. La transition est ainsi de retour et reprend à la minute même l’exercice du pouvoir d’État. L’a-t-elle d’ailleurs jamais perdu ? Non, vu la clameur nationale contre les usurpateurs, vu la réprobation internationale contre l’imposture, c’est l’aveu même que le gouvernement de transition que vous avez librement choisi, et en qui vous avez totalement mis votre confiance, est resté le seul à incarner la volonté du peuple souverain.
Au demeurant, le président du Conseil national de la transition, M. Chérif Sy, agissant en intérimaire du président du Faso, a su garder la flamme intacte. Je lui en suis gré. Je vous invite donc à rester mobilisés autour de la transition, pour qu’ensemble nous continuions ce que nous avons commencé. A savoir, remettre le processus électoral sur les rails, après avoir naturellement pansé les plaies et honoré la mémoire de nos compatriotes injustement tombés pour la défense de la patrie, et dont certains gisent toujours dans les morgues. Je m’incline très respectueusement devant leur mémoire. La nation toute entière leur rend hommage.
En attendant d’examiner la façon dont nous solderons les conséquences de cette funeste barbarie, à toutes les familles éplorées je présente nos sincères condoléances. Nous sommes fiers de la mobilisation et de l’intrépidité du peuple burkinabè, en particulier de sa jeunesse dont la détermination sans faille a permis d’arrêter l’imposture. Tout indique que la conscience aiguë qui a guidé l’insurrection ne s’est guère émoussée, bien au contraire. Je salue notre armée nationale qui, réalisant elle aussi le défi et l’anathème qui lui ont été lancés par cette horde d’insoumis, dans son amour propre a volé au secours du peuple martyrisé.
Je salue tous les hommes de l’extérieur. Je salue la communauté internationale pour avoir rejeté sans équivoque et de façon péremptoire, ce pronunciamento d’une autre époque. Je salue toutes les forces vives du Burkina Faso, les partis politiques, les organisations de la société civile, les syndicats, le monde de la presse, les autorités coutumières et religieuses, pour leur patriotisme, leur bravoure et leur dévouement. Je rends hommage à tous ceux qui, à travers de longues chaînes de prières continues, de suppliques et d’incantations, ont confié la destinée de notre pays à la mansuétude de la providence divine.
A tous, je dis merci et reconnaissance. Dès demain, le gouvernement de la transition se réunira au nom de la continuité de la vie nationale. En ce qui concerne les dernières propositions de la Cédéao pour une sortie de crise, il est évident que nous ne nous engagerons que si elles prennent en compte la volonté du peuple burkinabè, clairement exprimée dans la charte de la transition. Vive le Burkina Faso ! Paix et honneur à nos victimes ! A nos morts ! Que Dieu nous vienne en aide ! Que Dieu bénisse le Burkina Faso ! »
Thomas Cantaloube, Médiapart