Quand les fossoyeurs de la démocratie prennent prétexte de l’exclusion de quelques-uns des leurs du jeu démocratique, pour s’inventer une virginité politique et perpétrer un coup d’État.
Antony Lattier : Comment expliquer ce coup de massue que constitue, pour l’Afrique, l’interruption brutale de la transition démocratique au Burkina ? Comment comprendre les explications que donnent les putschistes, pour justifier ce coup d’Etat ?
Jean-Baptiste Placca : Avant de s’en aller perdre pied dans le bourbier de ces explications et argumentations scabreuses, il est utile de rappeler quelques réalités, quelques faits et chiffres simples : le RSP, la garde prétorienne de Blaise Compaoré – puisqu’il faut bien appeler la chose par son nom – est composée, (n’est composée que) de quelque 1 300 éléments, au sein d’une armée d’environ 13 000 soldats. Ce régiment représente, donc, un dixième à peine, des effectifs de l’armée nationale. Mais ils sont mieux équipés, mieux entraînés et mieux payés que leurs camarades des autres corps.
Et ce régiment est réputé être un corps d’élite.
Sauf que leurs faits de guerre n’ont rien à voir avec ce que l’on attendrait d’une élite.
Parce qu’ils constituaient la garde prétorienne du président déchu, ils étaient plus lourdement armés, ce qui leur permet, aujourd’hui, de tenir en joug tout le peuple burkinabè, le reste des forces armées y compris.
Face à de telles réalités, on ne parle plus, l’on ne peut plus parler de corps d’élite, car leurs méthodes s’apparentent à du gangstérisme. Et d’ailleurs, dans la nuit du 18 au 19 septembre, ils ont encore foncé, avec leurs chars, sur les domiciles de certains des leaders politiques de l’opposition. Et, comme par hasard, ce sont ceux que le président déchu a, dans les premières déclarations après sa chute, en octobre 2014, indexés comme responsables de ses malheurs. En l’occurrence, il s’agit de ses anciens compagnons politiques qui, lassés de lui déconseiller un tripatouillage de la Constitution pour s’éterniser, ont finalement été les premiers à le quitter.
Vous soulevez, là, la question de l’implication ou non de Blaise Compaoré dans ce putsch. Le général Diendéré affirme n’avoir aucun contact avec lui…
Figurez-vous qu’on le croit ! Il faut juste, dans ce cas, considérer que cet officier est tellement synchronisé avec son ancien patron qu’il en est à devancer, anticiper le moindre de ses désirs.
Toutes les tentatives de déculpabilisation initiées, la main sur le cœur, par le général, laissent penser que son camp n’a toujours pas compris et accepté le fait que l’insurrection d’octobre 2014 est une conséquence de l’acharnement du président de Blaise Compaoré et de son camp à créer les conditions d’une confiscation du pouvoir par eux, et pour une durée illimitée. Et lui, Diendéré, fait partie intégrante de ce camp. D’ailleurs, il dit clairement que c’est, entre autres, pour réparer l’exclusion, qu’il considère comme une injustice faite à certains candidats de leur camp, qu’il a perpétré son coup d’État.
Cette injustice n’est-elle pas une réalité?
En réalité, une insurrection aboutie est incompatible avec les bonnes mœurs démocratiques. A part quelques maisons de dignitaires du régime Compaoré pillées et incendiées par des manifestants en colère, le mouvement insurrectionnel n’a commis aucun crime contre les perdants. Au contraire, il n’a fait que subir, et a ensuite oublié de demander aux donneurs d’ordre de rendre des comptes. Personne, dans le camp Compaoré, n’a été invité à répondre des assassinats et autres tirs à balles réelles sur les manifestants aux mains nues.
Les perdants d’hier ont beau jeu, dans un tel contexte, de venir claironner que personne, dans leur camp, n’a été condamné. Et que donc, l’on ne devrait pas leur dénier le droit de prendre part au banquet de la démocratie.
Tous des innocents ! Donc, rien à se reprocher…
En février 1986, en Haïti, une insurrection du genre de celle qu’a connue le Burkina a eu raison du régime des Duvalier, une des dictatures les plus féroces du XXe siècle. Après le père, François Duvalier, de 1957 à 1971, le fils, Jean-Claude, a poursuivi l’œuvre dictatoriale de son père jusqu’à sa chute. Les Haïtiens se sont alors mis à nettoyer le sol, à déraciner toutes les boutures, les racines, bourgeons et autres racines de cette dictature, dans l’espoir que, plus jamais, tyrannie ne poussera dans le sol de leur île. Les personnes, les biens, tout y passait. Cela s’appelait le « déchoucage ». C’était violent, anarchique, parfois aveugle et injuste. Le Burkina n’a pas connu cela, et c’est tant mieux. Mais ceux qui ont échappé au déchoucage savent rester discrets, au moins dans l’immédiate après-dictature. Au Burkina, non seulement tous s’en sortent sans égratignure, mais certains peuvent, moins d’un an après, se fonder sur des injustices hypothétiques, pour perpétrer un coup d’État.
Réhabiliter la dictature.
Par Jean-Baptiste Placca Radio France Internationale (RFI)