« Burundi : la communauté internationale doit agir »
Après l’échec (provisoire ?) du coup d’État du général Godefroid Niyombare, chacun comprend que le Burundi s’enfonce dans des violences politiques pouvant conduire à un chaos régional. À l’origine de la crise qui a jeté des milliers de manifestants dans les rues de Bujumbura, la capitale, puis le putsch tenté par l’ancien chef d’état-major, on trouve l’obstination du président Pierre Nkurunziza à briguer un troisième mandat le 26 juin prochain, en violation des accords d’Arusha d’août 2000, fondement du consensus politique de ces dernières années.
Il avait fallu l’obstination et parfois les menaces des anciens présidents Nelson Mandela, Julius Nyerere et Jimmy Carter pour faire s’asseoir à une même table de négociations les chefs des différentes factions qui entretenaient depuis vingt ans la guerre civile et auraient préféré continuer à en découdre. Les accords arrachés par la communauté internationale ont suscité des critiques, notamment par l’institutionnalisation de quotas ethniques à tous les niveaux de l’administration et de l’État. Traduits dans la Constitution, ces accords ont depuis lors démontré leur efficience. Après les massacres et contre massacres qui ont jalonné l’histoire du Burundi depuis 1965, la communauté tutsie avait enfin trouvé la garantie de sa survie, et donc accepté des concessions. La société civile a été irriguée par le consensus institutionnel, au point d’apparaître comme une alternative acceptable aux carences de l’État.
L’ingénieriede la paix, enrayée
Autrefois facteur d’instabilité, la nouvelle armée burundaise, issue de l’amalgame des anciennes forces d’État et des différentes rébellions, s’était dépolitisée et professionnalisée grâce à Godefroid Niyombare, lui-même chef rebelle ayant sincèrement adhéré au processus de paix. Ces dernières années, les militaires burundais étaient appréciés pour leur contribution aux forces internationales de maintien de la paix sur différents théâtres en Afrique. « L’ingénierie de la paix » déployée au Burundi serait apparue comme un modèle du genre, si le chef du CNDD-FDD, le plus populaire parti politique issu de la rébellion, s’était mis au diapason.
Élu président de la République en 2005 par le Parlement, réélu en 2010 au suffrage universel au terme d’un scrutin boudé par l’opposition, Pierre Nkurunziza n’a pas mis à profit ces dix dernières années pour entrer dans des habits un peu grands pour lui. Il prétend que le premier mandat ne compte pas dans le dispositif constitutionnel, qui limite à deux le nombre de mandats « au suffrage universel ». Une argumentation qui ne mérite que le terme de divagations. Le féroce guerrier connu pour ses mises en scène macabres (il avait été condamné à mort pour ses attaques aveugles contre des civils) est à présent un autocrate obtus et corrompu, « born again » partageant l’essentiel de son temps entre ses deux passions, la prière et le football.
Son « coup d’État institutionnel » avait été avalisé par une Cour constitutionnelle tétanisée par les menaces de mort mais reste contesté par la rue et la fraction modérée du parti CNDD-FDD dont le général Godefroid Niyombare est le représentant le plus visible. L’intimidation est l’une des armes de prédilection de l’ancien rebelle, le seul domaine où il excelle. Au Burundi, on appelle « nyakurisation » la désintégration programmée de l’opposition politique et des « tièdes » par le harcèlement judiciaire ou policier, la corruption, et parfois des meurtres ciblés. Depuis que le parti CNDD-FDD a investi son candidat président pour un troisième mandat, la société civile a réagi en tentant d’occuper la rue et en négociant en coulisse avec les modérés du parti présidentiel sous l’égide de la conférence des évêques du Burundi.
Le coup d’État du général Godefroid Niyombare s’inscrivait dans ce processus. Les images de manifestants pacifiques contre lesquels la police tire à balles réelles sans sommation ont alerté l’opinion publique partout dans le monde, au point de laisser imaginer que les événements de ces dernières semaines étaient improvisés. Or la « nyakurisation » et la répression sanglante des manifestations de rue ne sont que la partie observable de l’agenda présidentiel. Le Conseil de sécurité des Nations unies dispose depuis plusieurs semaines d’un rapport qui décrit la transformation – depuis 2013 – de la ligue des jeunes du CNDD-FDD, les « Imbonerakure » en armée privée du président et des oligarques qui l’entourent. Date des livraisons massives d’armes à feu, nature de celles-ci, nom des organisateurs du trafic, lieux de stockage, structure locale et régionale de la milice, tout est documenté. Il apparaît que le scénario du coup d’Etat constitutionnel s’accompagnait d’une préparation méticuleuse de la terreur de masse et d’une éventuelle guerre civile. Nous y sommes.
Le rapport secret documente également la perspective d’une alliance des Imbonerakure avec les FDLR, le reliquat des anciennes forces armées rwandaises génocidaires qui tiennent le maquis au Kivu, dans le but d’organiser une attaque du Rwanda depuis le forêt de Nyungwe, limitrophe du Burundi et du Rwanda. Dans la capitale du Burundi où les diplomates et les ONG sont des témoins embarrassants, les Imbonerakure se font jusqu’à présent discrets. Mais ils ont commencé à s’en prendre à la population dans des régions moins observables. Plus de 50 000 Burundais se sont déjà réfugiés dans les pays voisins, principalement au Rwanda, livrant les premiers récits d’atrocités commis par « les jeunes ».
L’International Crisis Group, une ONG qui suit de près l’évolution politique au Burundi, a tiré la sonnette d’alarme : « Les élections qui doivent avoir lieu de la fin mai à août 2015 vont être décisives pour l’avenir du Burundi [et la remise en cause] de l’accord d’Arusha comme fondation de la paix aurait des implications régionales déstabilisatrices. » Quelle que soit l’issue de la tentative de coup d’Etat du général Godefroid Niyombare, l’enjeu est le consensus politique autour de la « paix d’Arusha » et aussi le développement du Burundi. Les derniers événements traduisent la désespérance sociale dans un pays classé parmi les deux plus pauvres au monde (0,9 euro par jour et par habitant), victime d’une des pires gouvernances de la planète.
Si l’incertitude sur le coup d’Etat et les combats entre les deux factions de l’armée burundaise devait perdurer, le pays s’installerait durablement dans la guerre civile avec des conséquences humaines qu’on n’ose chiffrer. Il est temps que la communauté internationale adresse un signal décisif aux Burundais : qu’elle arrache au président sortant sa démission et, s’il refuse, qu’il soit décrété d’arrestation.
Par Jean-François Dupaquier, journaliste et écrivain
Jean-François Dupaquier, vient de publier Politiques, militaires et mercenaires français au Rwanda. Chronique d’une désinformation, Ed. Karthala, 2014.
Source : Le Monde.fr
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