Sam Rainsy, en exil en France, a été condamné lundi 1er mars par contumace à 25 ans de prison pour un complot supposé afin de renverser le gouvernement de l’homme fort du pays, Hun Sen. Huit autres figures de l’opposition ont écopé de peines allant de 20 à 25 ans de prison, dont Mu Sochua et Eng Chhai Eang, 22 ans chacun, pour tentatives de « subversion ». Le tribunal de Phnom Penh a privé tous les opposants de se présenter à une élection. Sam Rainsy a répondu aux questions de RFI.
RFI : Comment réagissez-vous à cette décision de la cour municipale de Phnom Penh?
Sam Rainsy : Je suis habitué. J’ai accumulé des condamnations qui se montent à des dizaines d’années, presque cent ans de prison. On m’accuse de sédition, de vouloir renverser le gouvernement de M. Hun Sen, de menaces à l’ordre public, à la sécurité du pays. Vous connaissez ce genre d’accusations de la part des régimes autoritaires. Le but, c’est de m’écarter de la scène politique au Cambodge pour que je ne puisse pas me présenter aux prochaines élections, parce que mon parti, mes collègues et moi-même nous représentons un danger pour le régime de M. Hun Sen. Il a déjà dissous notre parti en 2017, prononcé d’autres condamnations, des interdictions pour mes collègues et moi-même de faire de la politique ; maintenant, c’est encore un renforcement et un alourdissement de ces peines. Cette décision de justice est un aveu de faiblesse de Hun Sen. Pourquoi prend-il toutes ces mesures pour empêcher les dirigeants de l’opposition de rentrer ? Il a peur de nous voir revenir au Cambodge. Un tel régime qui a peur même de l’ombre de l’opposition, c’est intenable.
Après des années de dérive autoritaire, la Commission européenne a adopté l’an dernier des sanctions commerciales, en retirant une partie des préférences tarifaires accordées au Cambodge. Ces sanctions, sont-elles efficaces?
Il y a d’autres mesures, comme celles qui relèvent de la loi Magnitsky. Ce sont des sanctions qui visent à titre personnel les hauts dirigeants du pays qui ont été responsables de violations des droits de l’homme. Ces sanctions visent à geler leurs avoirs à l’étranger et leur interdire de fouler le sol des pays occidentaux et ça marche parce qu’ils y sont très sensibles. Quand il s’agit de faire souffrir la population, ils n’hésitent pas. Mais quand ils risquent de souffrir sur le plan financier ou des voyages, de ne pas pouvoir venir en Occident avec leur famille pour faire du shopping ou se soigner, là, ils sont bien embêtés. Et je pense que l’Occident, l’Europe, les États-Unis sont sur la bonne voie. Il faut bien mesurer ce genre de sanctions personnelles contre les dirigeants des pays où il y a la dictature. L’Australie est en train de considérer l’adoption des lois relevant du Magnitsky Act et pourrait prendre des sanctions à titre personnel contre les hauts dirigeants du Cambodge et contre les hommes d’affaires qui sont le pilier financier du régime. Quant à l’ASEAN, la crise cambodgienne est de plus en plus liée à la crise birmane, car il y a beaucoup de similitudes : l’opposition muselée, les arrestations, les manifestations, la répression. Un régime autocratique comme celui de Hun Sen et un régime dictatorial comme celui de la junte militaire birmane n’hésitent pas à utiliser des moyens brutaux pour se cramponner au pouvoir. Cela n’est pas acceptable même au sein de l’ASEAN.
À Hong Kong, en Thaïlande et aujourd’hui en Birmanie, le mouvement de contestation est largement porté par la jeunesse. Au Cambodge il n’y a pas eu jusqu’à ce jour de mobilisation d’envergure des jeunes contre le régime. À votre avis pourquoi ?
Ça peut changer. Ce qui se passe en Birmanie est un encouragement pour la population cambodgienne qui a beaucoup souffert et qui est traumatisée par le régime khmer rouge (dont Hun Sen a fait partie) et par les dirigeants qui se sont succédé depuis Pol Pot. En Birmanie, il n’y a pas eu de Khmers rouge donc les gens sont plus courageux et entreprenants. Avec autant de mesures répressives, il ne peut pas y avoir de transition en douceur. Hun Sen est donc pris à son propre piège. Il ne peut pas passer le pouvoir à son fils au risque de le perdre lui-même. Pour cela, il faut apaiser la situation. On ne change pas d’attelage au milieu de la rivière. Je pense que 2021 est une année charnière, parce que le mécontentement de la population est à son comble.
Et ce qui se passe en Thaïlande et en Birmanie montre un vent de la liberté et de révolte. Si vous regardez la démographie de ces trois pays, notamment le Cambodge, Hun Sen est au pouvoir depuis 36 ans et 70% de la population cambodgienne a moins de 36 ans, cela signifie que 70% de la population n’a pas connu d’autre dirigeant que Hun Sen. Quand les jeunes comparent le niveau de développement avec les pays voisins, ils se disent qu’il est temps de changer de dirigeant. Avec cette jeunesse au courant de tout ce qui se passe dans la région et qui peut comparer avec les voisins, Hun Sen ne peut pas faire sa propagande comme avant. Ce siècle des technologies et d’information fait que ce mouvement de révolte va se propager et se généraliser. La situation est mûre et ce changement peut arriver plus tôt qu’on ne le pense.
Texte par : Jelena Tomic