Dans son édition du 11 juin dernier, le quotidien gouvernemental, tout en tronquant les faits, tend à accorder une légitimité à une véritable forfaiture judiciaire, passant outre toutes les violations des droits de l’avocate franco-camerounaise.
Pour Cameroon Tribune, Me Lydienne Eyoum mérite le sort qui est le sien. C’est du moins ce qui transparait dans un article publié le 11 juin dernier intitulé Affaire Annette Lydienne Yen Eyoum, le poids des faits, au lendemain de la nouvelle condamnation de l’avocate franco-camerounaise à 25 ans de prison prononcée par la Cour suprême. Tant pis si le 8 janvier 2010, sur la base d’une simple lettre de cachet de la présidence de la République, elle a été interpellée sans motif et sans mandat par la police. Peu importe pour Cameroon Tribune (CT) si l’avocate a passé plus de 4 ans en détention provisoire sans jugement à la prison centrale de Kondengui alors que la loi camerounaise prévoit un délai maximum de 18 mois de détention. A en croire le quotidien d’Etat, Lydienne Eyoum a « volé » l’argent du contribuable camerounais, un point c’est tout.
Seulement, la démonstration que fait Cameroon Tribune pose problème aux lecteurs mieux au fait de cette affaire qui date de 1994. Dans son exposé des faits, Cameroon Tribune indique que « Des négociations sont engagées entre les différentes parties qui aboutissent au versement de la somme de 3 61 772 800 au Trésor public et le MINEFI d’alors, Edouard Akame Mfoumou, donne main levée de cette saisie le 3 avril 2001 ». Ce que le quotidien gouvernemental omet de dire est que cet arrangement à l’amiable entre le ministre des Finances de l’époque et la Société générale de banque au Cameroun s’est opérée en secret, sans que Me Eyoum, dûment constituée par l’Etat du Cameroun, y ait été associée. Bien plus encore, cet arrangement à l’amiable n’était pas accompagné d’un protocole d’accord homologué par un juge. D’où la seconde saisie-attribution du 15 juillet 2004.
Pouvoir spécial
Mais CT, fort de ses convictions, n’en a cure et poursuit : « Nonobstant cet arrangement, Me Annette Lydienne Yen Eyoum, à l’initiative du secrétaire général du MINEFI de l’époque, Henri Engoulou, fait rouvrir le procès pourtant définitivement clos en faisant pratiquer le 15 juillet 2004, une autre saisie-attribution de créances par le même huissier, sur les avoirs de la SGBC à la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC) à hauteur de 2 155 971 808 F. Le 14 décembre 2004, le président du Tribunal de première instance de Douala-Bonanjo ordonne le reversement de cette somme à l’Etat ».Ce bout de l’article du journal porte en lui-même une contradiction qui suscite quelques interrogations qui ont sans doute échappé à CT : si le contentieux a été réglé à l’amiable quelques années plutôt, qu’est ce qui justifie donc la décision du TPI de Douala-Bonanjo du 14 décembre 2004 ? Pourquoi l’Etat qui était partie à ce procès devrait continuer de se prévaloir de quelques fonds que ce soit dans une affaire définitivement close ? Une réponse à laquelle le quotidien gouvernemental ne répondra jamais.
Ensuite, CT écrit : « Le 16 décembre 2004, alors que la décision n’est pas encore définitive, le ministre de l’Economie et des Finances, Polycarpe Abah Abah a donné un « pouvoir spécial » à l’avocate Annette Lydienne Yen Eyoum de « recouvrer et recevoir au nom de l’Etat les causes de la saisie ». Pourtant, la décision du TPI de Bonanjo du 14 décembre 2004 était « exécutoire sur minute nonobstant appel », d’après les réquisitions du parquet dudit tribunal présenté quelques semaines plutôt. D’où le pouvoir spécial accordé à Me Lydienne Eyoum pour recouvrer ces fonds. « Ce qu’elle fait en transférant les fonds concernés dans son compte personnel domicilié à la Standard Chartered Bank. Le ministre délégué aux Finances, chargé du Budget, Henri Engoulou ordonne à l’avocate de reverser la moitié de la somme recouvrée au Trésor public et s’approprie le reste », fait remarquer Cameroon Tribune qui a sans doute oublié que dans la décision du TPI de Bonanjo, il était prévu un montant en principal et intérêt pour l’État (le « Trésor public donc ») et des frais dévolus aux auxiliaires de justice (dont l’avocate).
« Me Lydienne Eyoum, assia », semble dire CT
D’après l’article de CT, Me Eyoum a effectué toutes ces opérations « en dépit des instructions de la présidence de la République qui demandait de rétablir la SGBC dans ses droits par le remboursement des sommes indûment saisies ». CT semble vouloir faire là une révélation de taille-de manière inconsciente sans doute- qui est que la même SGBC, perdante à tous les degrés de juridiction, du TGI du Wouri (Douala) jusqu’à la Cour suprême, a dû recourir à la présidence de la République pour « se faire rétablir dans ses droits ». Pourquoi donc parler de deniers publics alors que l’argent que Me Eyoum a gardé dans son compte était un « droit » de la SGBC, si l’on en croit CT ? Qu vient donc chercher l’État dans une affaire qui concerne Me Eyoum et la banque ?
« Me Yen Eyoum refusera donc de restituer la somme indûment retenue, privant ainsi les caisses de l’État de 1 077 985 904 F. Malgré une somme de plus de 360 millions de F déjà perçue au titre d’honoraires », poursuit CT qui feint d’ignorer que non seulement ces 360 millions de F Cfa d’honoraires ont été payés dans le cadre d’une autre procédure mais aussi qu’il n’est pas question d’honoraires dans la somme conservée par Me Eyoum, mais de dépens (frais dévolus aux auxiliaires de justice) supportés par la SGBC qui a perdu le procès.
Mais l’image d’une Me Lydienne Eyoum « voleuse » de deniers publics est déjà véhiculée au sein de l’opinion publique, nonobstant les faits qui sont connus de tous et qui mettent à nu les manigances de certains pontes du régime camerounais en faveur d’une banque récalcitrante et de sinistre réputation. Et Me Eyoum peut continuer à croupir en prison sans que cela n’émeuve le journal situé à la rue de l’ancien aéroport à Yaoundé. D’ailleurs, un éditorialiste de CT ne lui a-t-il pas fait cette jolie fleur en titrant « Dure est la loi »? Comme pour vouloir lui dire dans un terme usité dans le langage camerounais, « Assia » (patience, ma chère!) ?