Partisans du régime de Paul Biya, comparez la crise sécessionniste anglophone à celle du Sud Soudan, mais nullement à la revendication d’indépendance des Catalans.
Non seulement les régimes politiques camerounais et espagnols ne sont pas les mêmes. Mais personne n’a vu les soldats espagnols tirer indistinctement sur les manifestants catalans et tuer en toute impunité les partisans de l’indépendance.
Alors Mesdames et Messieurs Gardez Paul Biya à la tête du Cameroun aussi longtemps que vous le voudrez, puisque certains d’entre-vous semblent particulièrement se complaire dans sa tyrannie. Mais n’imaginez pas que tous les camerounais, notamment anglophones devront ou voudront s’y résigner à perpétuité.
Le droit international permet sur ce plan à un peuple qui remplit des conditions requises comme la minorité anglophone soumise à une véritable répression d’État de prendre son autodétermination. Les morts d’aujourd’hui et vraisemblablement de demain n’allongeront ainsi qu’une longue liste de martyrs de cette cause qui trouvera sur cette lancée négationniste et répressive un dénouement international indéniable.
Le Sud Soudan devrait davantage vous parler, plus que la Catalogne. Ce d’autant que nombre des donneurs d’ordre des massacres des populations civiles anglophones seront vraisemblablement bientôt traînés devant la CPI comme El Béchir.
La suite est aussi bien connue…Hélas!
Joël Didier Engo, Président du CL2P
Cameroun : à Bamenda, des sécessionnistes ont bravé les balles pour proclamer leur « indépendance »
Aux premières heures du dimanche 1er octobre, Bamenda était en état de siège et le Cameroun retenait son souffle. Les rues de la grande ville anglophone, où des sécessionnistes ont annoncé vouloir déclarer l’indépendance de leurs deux provinces, le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, ont été quadrillées depuis vendredi de camions anti-émeutes. Aucun taxi, aucune moto, pas un bruit de voix. Des pick-up d’hommes cagoulés, armés jusqu’aux dents, circulent à vive allure. On observe aussi des éléments du Bataillon d’intervention rapide (BIR), unité d’élite de l’armée camerounaise en première ligne au nord dans la lutte contre le groupe terroriste Boko Haram. Les boutiques et les bars sont fermés, la connexion Internet ne fonctionne presque plus, les réseaux sociaux sont inaccessibles.
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Seules quelques silhouettes furtives de fidèles se glissent dans les artères de la ville fantôme. « Si le juste se détourne de sa justice et commet l’iniquité et meurt pour cela, il meurt à cause de l’iniquité qu’il a commise. » A la cathédrale St. Joseph de Mankon, le père Roland Ayissi a choisi son homélie avec soin : Ezéchiel chapitre 18, versets 25 à 28. A cette messe de 8 heures, où ils sont d’habitude un demi-millier, moins d’une centaine de fidèles ont bravé la peur pour venir prier. Ils ont parfaitement compris l’allusion au régime de Youndé, qu’ils accusent de traiter les anglophones camerounais en citoyens de seconde zone. Depuis l’automne 2016 se succèdent manifestations pacifiques, grèves, opérations « ville morte » et arrestations. La répression s’est intensifiée au fil des mois. Puis une cinquantaine de prisonniers ont été libérés début septembre, suite à un décret du président Paul Biya signé le 30 août, mais le procès d’autres anglophones se poursuit devant la justice militaire de Yaoundé. Certains risquent la peine de mort.
« La seule solution »
« Avec tout ce qui nous arrive, je ne pouvais pas rester à la maison, soupire Elias, 46 ans, barbe grisonnante et bible à la main. Comme Ezéchiel, nous avons besoin de Dieu pour nous dire quelle voie emprunter et éviter d’autres morts. » Ce catholique pratiquant pense que « l’indépendance » est la seule solution, « l’unique voie qui arrêtera le sang qui coule depuis des mois ». Evariste, jeune homme d’affaires de 29 ans, partage son avis. « Je n’ai pas peur car je ne suis pas un criminel. Nous combattons pour notre droit, vu la manière donc ce gouvernement nous traite. Je suis pour l’indépendance », lance-t-il avec colère à la fin du culte.
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Deux jours plus tôt, les autorités avaient annoncé la fermeture des frontières terrestres et maritimes pour les deux provinces anglophones du pays et l’interdiction de mobilité des hommes et des véhicules. Elles avaient instauré un couvre-feu, en vigueur jusqu’à lundi. Près d’un millier de policiers, de gendarmes et de militaires supplémentaires ont été déployés dans la région. L’accès à Bamenda, samedi, était rendu quasiment impossible par un triple barrage. A l’entrée de la ville, à Santa, aucun car de transport en commun n’était autorisé à entrer. Seuls passent les véhicules munis d’une autorisation spéciale ou appartenant au corps administratif et aux forces de l’ordre. Le deuxième barrage est le plus difficile. Des militaires, armes au poing, gilets pare-balles, l’air nerveux, refoulent les hommes, femmes et enfants qui les supplient. Un conducteur de « porte-tout », trop têtu, a été giflé. De rares chanceux franchissent le passage pour tomber sur le troisième barrage tenu à la fois par des policiers et des soldats et derrière lequel attendent quelques taxis, qui ont doublé leurs tarifs pour l’occasion. « Demain, ils verront, lâche le passager d’un de ces taxis. Les balles ne me font plus peur. »
Demain, dimanche 1er octobre. Une date qui n’a pas été choisie par hasard par les sécessionnistes. Depuis 1961, le 1er octobre est l’anniversaire de la naissance de la République fédérale du Cameroun après la réunification du Cameroun français et du Southern Cameroon britannique, hérités de la première guerre mondiale. Un Etat fédéral qui avait été abandonné en 1972 au profit de l’unité et de la centralisation.
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Les séparatistes avaient donc décidé de hisser leur drapeau dans les villes du Nord-Ouest et Sud-Ouest, qui représentent environ 20 % de la population et de proclamer « l’indépendance » d’Ambazonia en chantant l’hymne de l’Etat imaginaire dans lequel ils rêvent de vivre sans « marginalisation » : le respect de la Common Law spécifique aux deux régions anglophones, des enseignants et magistrats qui maîtrisent l’anglais dans les écoles et tribunaux, des routes sans nids-de-poule, des dirigeants « soucieux de leur bien être et incorruptibles »…
Premiers coups de feu
Vers 10 heures du matin, la tension monte. Des regroupements de jeunes, sifflets aux lèvres, arbres de la paix entre les mains pour certains et drapeaux d’Ambazonia pour d’autres, sont annoncés dans quelques quartiers de Bamenda : Travellers, Nkwen… Un homme qui se rendait à l’aéroport, escorté de deux policiers armés, a rebroussé chemin sur ordre des forces de l’ordre. « La situation n’est pas bonne », lui a-t-on dit.
La matinée avance et des coups de feu retentissent. Un hélicoptère militaire patrouille dans le ciel alors que, sur terre, policiers et militaires s’activent. Soudain, on annonce un rassemblement à Liberty Square, lieu mythique où six militants du Social Democrati Front (SDF), principal parti d’opposition, avaient été tués le 26 mai 1990 lors d’une marche historique.
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Dans le quartier Old Town, des habitants sont assis sur le pas de leur porte. Certains discutent. D’autres regardent, inquiets, la rue déserte. Il n’y a pas âme qui vive en direction de la Commercial Avenue. Les banques, stations-service et autres grands complexes commerciaux sont gardés par des vigiles et par la police anti-émeute. Deux de leurs camions sont stationnés à Liberty Square. L’hélicoptère survole la zone.
Autour de 13 heures, un témoin annonce par téléphone deux blessés graves par balles à Travellers. « Les militaires et policiers sont toujours là. Ils lancent des bombes lacrymogènes et tirent sur nous », raconte-t-il affolé. Durant la conversation, on entend des bruits de balles et le sifflement des gaz lacrymogènes.
Un premier décompte d’au moins 8 morts
Donatus Njong Fonyuy, le maire de Kumbo, décompte sept morts dans sa localité située à environ 70 km de Bamenda et qualifiée de « rebelle ». « Aux environs de 6 heures du matin, la prison de Kumbo a pris feu, explique l’édile, la voix enrouée. On ne sait pas ce qui a déclenché ce feu mais cinq prisonniers ont été tués par les militaires. Deux autres ont été grièvement blessés. Ils sont à l’hôpital. Un manifestant est tombé sous les balles de militaires. »
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D’après le maire, les habitants de Kumbo sont sortis manifester. Un premier groupe a dressé le drapeau ambazonien et a été dispersé par les militaires. Un autre s’est dirigé vers le palais traditionnel NSO. « Ils ont déclaré leur indépendance. Les militaires ont tiré et un homme est mort, relate avec peine Donatus Njong Fonyuy. Deux autres ont été grièvement blessés. Une jeune femme qui était dans sa cour a été fauchée par une balle. On a donc 7 morts et 4 blessés graves à Kumbo. »
Dans la ville de Bamenda, plusieurs témoins ont affrimé avoir vu « au moins deux morts » dimanche. « Je ne suis au courant de rien », rétorque une source sécuritaire au téléphone avant de raccrocher brutalement. Dans la région Sud-Ouest, un journaliste annonce au moins un mort à Buéa et deux à Kumba, ville sise à une cinquantaine de kilomètres de la capitale de la région.
Lundi matin, les affrontements entre la population et les forces de l’ordre ont repris après une nuit de brève accalmie.
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Décryptage
Nigeria : comment la situation au Biafra s’est sensiblement aggravée
Le Nigeria, ancienne colonie britannique, a célébré, dimanche 1er octobre, sa souveraineté, jour de fête nationale depuis la proclamation de son indépendance en 1960. Les militants sécessionnistes du Biafra, qui interrogent haut et fort la légitimité de l’Etat, ne se sont pas joints aux festivités.
Le président nigérian Muhammadu Buhari a condamné, dimanche, les appels au « démembrement » du Nigeria et appelé à un dialogue « rationnel » après les violences qui ont opposé sécessionnistes pro-Biafra et forces de l’ordre dans le sud-est. « Les récents appels à la restructuration [de l’Etat fédéral], plutôt appropriés dans un débat légitime, ont permis à des groupes hautement irresponsables d’appeler au démembrement du pays », a déclaré le chef de l’Etat nigérian dans son discours.
Le Mouvement indépendantiste pour les peuples indigènes du Biafra (IPOB) réclame la création d’une République indépendante dans le sud-est du Nigeria, à grande majorité igbo, où le sentiment de mise à l’écart par Abuja au profit du nord est de plus en plus fort.
Pourquoi le Biafra veut-il devenir indépendant ?
L’indépendantisme au sud-est, région la plus riche du pays en réserves pétrolières, ne date pas d’aujourd’hui. Les premiers gisements de pétrole ont été découverts au mitan des années 1950 et 1960, dans le delta du fleuve Niger et au large de la côte nigériane. Une première tentative de sécession en 1967 avait été réprimée dans le sang par les autorités. Mais le rêve d’indépendance demeure vif dans l’esprit des Biafrais et refait régulièrement surface avec, en toile de fond, la question de la gestion de la rente pétrolière.
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En octobre 2015, la situation s’est à nouveau tendue avec l’arrestation du leader de l’IPOB, Nnamdi Kanu, poursuivi pour « trahison » et « atteinte à la sécurité de l’Etat ». Malgré sa libération sous caution fin avril 2017 en attendant le début de son procès en novembre, la tension n’est pas vraiment retombée.
Début septembre, l’armée a massivement déployé des troupes dans l’Etat d’Abia, officiellement dans le cadre d’opérations de lutte contre la criminalité, mais l’IPOB y a dénoncé une répression sanglante ciblant ses membres au cours de laquelle plusieurs militants auraient été tués. Des heurts violents ont opposé l’armée et indépendantistes dans l’Etat d’Abia et la ville pétrolière de Port Harcourt, dans l’Etat voisin de Rivers. Ces violences ont ensuite menacé de prendre une dimension interethnique plus large lorsque des troubles ont éclaté dans la ville de Jos, dans le centre du pays.
Pourquoi la situation s’est-elle brusquement dégradée ?
Le leader de l’IPOB Nnamdi Kanu, également fondateur de Radio Biafra, l’antenne indépendantiste, a vu sa popularité fortement grandir durant ses dix-huit mois d’incarcération. Les militants ont vécu son retour à Umuahia, ancienne capitale biafraise, comme un nouveau départ, à point nommé pour commémorer le cinquantenaire du début de la guerre du Biafra (1967-1970).
Les indépendantistes biafrais ont donc multiplié les manifestations et renforcé leur présence sur Internet, diffusant des messages sécessionnistes virulents et des informations délibérément fausses. De nombreux médias nigérians ont relayé les intox, affolant l’opinion publique. En juin, l’Arewa Youth, un groupe nordiste de jeunes musulmans radicaux, riposte aux provocations en demandant l’expulsion des Igbo chrétiens du nord du pays avant le 1er octobre. L’organisation est depuis revenue sur ses menaces, mais l’ultimatum lancé par les nordistes a mis le feu aux poudres.
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A la mi-septembre, la situation dégénère dans l’Etat d’Abia. L’armée assaille par deux fois le domicile de Nnamdi Kanu à Umuahia et tue une quinzaine de militants ayant tenté de s’interposer en jetant des pierres aux soldats. Selon le Daily Post, le leader indépendantiste aurait été entendu pour la dernière fois le 14 septembre au cours d’une conversation téléphonique avec son avocat, Ifeanyi Ejiofor. Il lui aurait confié que l’armée avait assiégé sa maison familiale et qu’il se trouvait à l’intérieur. Pour Emmanuel Kanu, son frère cadet, le leader indépendantiste a « soit été arrêté, soit été tué par les militaires lorsqu’ils ont attaqué son domicile ». D’autres spéculations le disent en fuite. L’armée, quant à elle, dément formellement détenir Nnamdi Kanu.
La réaction des autorités est-elle disproportionnée ?
Des clashs meurtriers entre soldats et militants de l’IPOB ont été déplorés les jours suivants dans plusieurs villes de l’Etat d’Abia. Une vidéo diffusée le 13 septembre montre des humiliations imposées par les soldats nigérians aux séparatistes. « Celui-là, il est mort », indique la voix hors champ, lorsque la vidéo s’attarde sur un corps inanimé et recouvert de sang. Les autorités de leur côté mettent en garde contre le « bidonnage » et les images « manipulées » que propagerait l’IPOB.
Amnesty International s’est dit « profondément préoccupé » par ces violences ainsi que « les pertes de vie présumées à travers le Nigeria » dont on ne connaît pas encore l’ampleur avec certitude. Reporters sans frontières a par ailleurs dénoncé une violente intrusion militaire au sein du centre de presse de l’Etat d’Abia, le 12 septembre : « Ils ont brutalisé certains des journalistes présents, et confisqué ou détruit leur matériel de reportage. »
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Le 15 septembre, les autorités fédérales ont classé officiellement l’IPOB « organisation terroriste militante » alors que l’armée l’avait déjà qualifiée ainsi, donnant l’impression que la procédure juridique a été précipitée pour donner du crédit aux militaires.
Deux jours plus tard, la police annonce l’arrestation de 59 personnes, dont 14 seraient impliqués dans la mort d’un agent à Aba lors d’un incendie criminel dans un commissariat. Leur procès a été ajourné au 4 octobre.
Le 19 septembre à Abuja, une coalition des organisations de la société civile met en garde contre Nnamdi Kanu et les militants de l’IPOB qu’elle juge « plus dangereux que Boko Haram ». Les parallèles dressés lors de cette conférence de presse entre les peuples autochtones du Biafra et le groupe djihadiste sont largement relayés dans la presse nigériane.
Le conflit peut-il encore dégénérer ?
C’est une première, l’armée de l’air a rallié l’opération « Danse du python ». Sur le papier, l’opération vise les criminels et les réseaux d’enlèvements dans le sud-est. Mais le déploiement d’avions militaires au Biafra suscite de nombreuses interrogations. Les observateurs redoutent que les militants biafrais soient désormais dans le viseur des forces aériennes.
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Par ailleurs, des signes de solidarité avec la cause biafraise ont été émis par un groupe de rebelles du Delta du Niger. Ces derniers auraient appelé le président Buhari à accorder l’indépendance aux Biafrais avant qu’une autre guerre civile n’éclate, comme le rapporte le Daily Post.
Le gouvernement Buhari ne semble pas ouvert au dialogue, malgré de nombreux appels. L’ancien président Olusegun Obasanjo, le président du sénat Bukola Saraki, l’archevêque d’Abuja et des élites intellectuelles telles que le prix Nobel de littérature nigérian Wole Soyinka disent haut et fort leur inquiétude et appellent au dialogue.