Le 13 février, Paul Biya soufflera ses 89 bougies. Le chef de l’État camerounais, au pouvoir depuis 1982, fêtera son anniversaire au Palais d’Étoudi pour la quarantième fois. Mais que
se passerait-il si l’indétrônable sphinx n’était plus en capacité de gouverner ? Qui pourrait lui succéder en cas de vacance du pouvoir avant le terme de son septième mandat, en 2025 ?
La question est taboue à Yaoundé. Mais elle est dans tous les esprits. Sur le papier, la Constitution est claire. En cas de décès ou d’empêchement définitif, l’élection du nouveau chef de l’État doit impérativement avoir lieu dans un délai de 120 jours. Pendant ce laps de temps, c’est le président du Sénat – actuellement Marcel Niat Njifenji, 87 ans – qui assure l’intérim. Quatre mois cruciaux, au cours desquels les luttes de pouvoir seraient particulièrement âpres. Dans la série que nous publions cette semaine, nous vous proposons d’explorer les différents scénarios de cette succession à venir.
Il y a d’abord la guerre des clans au sein même des cercles proches de Paul Biya. Depuis des années, il est un homme qui se prépare à cette éventualité : le secrétaire général de la présidence, Ferdinand Ngoh Ngoh. L’ancien diplomate entretient de bonnes relations avec certains intimes du chef de l’État, au premier rang desquels Chantal Biya, son incontournable épouse. Mais ses rapports sont tendus avec une partie des caciques du régime, notamment Samuel Mvondo Ayolo, directeur du cabinet civil ou Louis-Paul Motaze, le ministre des Finances, qui est également le neveu de la première épouse de Paul Biya, Jeanne-Irène.
Enfin, les ambitions, réelles ou supposées, du fils du chef de l’État, Franck Biya, pèseront lourd dans la balance du pouvoir. Cette guerre des clans est-elle inévitable ? Paul Biya peut-il l’anticiper et désigner lui-même un dauphin ? Pour l’heure, il n’a pas fait le moindre geste laissant entendre que l’un ou l’autre avait sa préférence. Au contraire, plusieurs de ses proches et des anciens ministres ont payé au prix fort leurs ambitions trop clairement affichées. Le dauphin putatif doit être à la fois discret et proche de la famille du président mais aussi disposer d’une expérience gouvernementale et d’un ancrage politique suffisant. Pour l’heure, les noms de ceux qui cochent toutes les cases ne sont que susurrés. Et les premiers intéressés prennent garde à ne laisser transparaître aucun signe d’intérêt pour la place du sphinx.
La position qu’adopterait l’armée en cas de transition fait aussi l’objet de toutes les spéculations. Depuis la tentative de putsch de 1984, Paul Biya se méfie des militaires. Le chef de l’État a fait en sorte de les maintenir sous contrôle, en plaçant ses hommes de confiance aux postes clés de la grande muette. Certains pourraient-ils être tentés de se lancer dans un putsch ? Des gradés pourraient-ils prétexter un éventuel désordre politique pour s’emparer du pouvoir au motif de préserver l’État ? Alors que le continent est de nouveau frappé par une « épidémie de coups d’État », ces questions se posent avec acuité.
L’armée camerounaise est cependant traversée par de nombreuses dissensions, tant sur le plan ethnique qu’entre ses différents corps, qui ne sont pas tous traités de la même manière.
Reste le scénario de l’alternance. L’opposition camerounaise est-elle aujourd’hui en capacité de remporter une élection organisée quatre mois après une éventuelle constatation de vacance du pouvoir ? En son sein, bien peu sont prêts à en faire le pari. Ni Maurice Kamto, le patron du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), dont plusieurs cadres et militants sont toujours emprisonnés, ni John Fru Ndi, qui peine à se trouver un successeur au Social Democratic Front (SDF), ne semblent en position de force.
De nombreux opposants parient donc sur un « chaos au sein du camp présidentiel » pour parvenir à tirer leur épingle du jeu. Pour ces ambitieux, la « guerre des clans » ferait alors office de « big bang » à Yaoundé, à partir duquel tout serait alors à reconstruire.