Nous avons toujours pensé en toute objectivité que Marafa Hamidou Yaya, célèbre prisonnier politique, était de ceux-là. La triste actualité sur le retrait de la CAN 2019 au Cameroun vient nous donner raison. N’en déplaise aux idiots utiles, sycophantes, et autres idéologues ethno-fascistes du régime de Yaoundé.
M. Biya, que le minimum de bon sens, celui de l’intérêt national (si tenté qu’il vous en reste un peu) vous amène à libérer enfin Marafa Hamidou Yaya. Ce pays en a le plus grand besoin, avant qu’il ne soit trop tard!
JDE
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CAN 2019 au Cameroun : Comment transformer un gouffre financier en aubaine ?
Par Marafa Hamidou Yaya ancien secrétaire général à la Présidence, puis ministre de l’intérieur du Cameroun de 2002 à 2011)
Paru dans le journal LE MONDE le 11 décembre 2015
Dans un contexte économique difficile, marqué par la chute du prix du pétrole et des dépenses militaires exceptionnelles liées à la lutte contre Boko Haram, le Cameroun envisage, dans son projet de lois de finances 2016, d’affecter 550 milliards de francs CFA (838 millions d’euros), soit 13 % de son budget, à « la construction des infrastructures nécessaires à la tenue des Coupes d’Afrique des nations de football 2016 (féminine) et 2019 (masculine) ».
Sont projetés notamment deux nouveaux stades, de respectivement 60 000 et 50 000 places, à Yaoundé et à Douala, pour 150 milliards de francs CFA chacun, la réhabilitation des stades omnisports existants de Yaoundé, Douala, Bafoussam et Garoua (158 milliards de francs CFA), l’aménagement extérieur des stades de Limbé et de Bafoussam (20 milliards de francs CFA), ainsi que l’adaptation des infrastructures routières et hôtelières dans et autour des villes concernées.
Voulons-nous, pouvons-nous, nous permettre cette dépense, cet investissement sans lendemain, qui profitera majoritairement à des entreprises étrangères et qui, puisque nous sollicitons l’aide la Chine pour l’assumer, creusera notre endettement ? Non.
Investir dans l’éducation et la sécurité
Ces 838 millions d’euros dépensés pour la tenue d’événements de prestige vont se traduire par un déficit de 4,5 % du budget de l’État. De plus, vu le retard pris dans l’avancement des travaux, il est très probable que la facture finale sera alourdie par les dépassements. Pour ce seul motif, la dépense serait déjà insoutenable.
Mais elle l’est encore plus si l’on considère qu’elle détourne des ressources publiques, déjà en baisse, de nos priorités vitales et interdépendantes que sont l’éducation et la sécurité face aux attentats répétés de Boko Haram.
Il ne s’agit pas seulement des moyens à donner à nos courageux gendarmes et militaires, engagés dans une lutte de longue haleine.
Les 550 milliards de francs CFA alloués aux deux coupes de football représentent davantage que le budget de l’éducation (éducation de base, enseignements secondaire et supérieur) en 2016, qui s’élèvera à 499 milliards de francs CFA.
Pourquoi cette comparaison ? L’éducation est le vecteur le plus efficace pour lutter contre l’extrémisme. Ces Camerounais, et en particulier ces jeunes femmes kamikazes, qui tuent d’autres Camerounais à Garoua, à Fotokol et ailleurs, agissent aussi par désespoir. Leur donner des perspectives de réalisation personnelle, de dignité, de maîtrise de leur destin suppose qu’elles entrent le plus tôt possible à l’école et en sortent le mieux formées possible. Nos militaires peuvent vaincre Boko Haram, mais seuls l’éducation et l’emploi permettront de triompher durablement de l’extrémisme.
Bien sûr, la vocation de l’éducation ne se réduit pas à l’enjeu sécuritaire. Elle engage l’avenir de notre pays sur tous les plans. C’est pour cette raison que j’ai proposé de rendre l’éducation obligatoire jusqu’à 16 ans.
Or l’éducation primaire, secondaire et supérieure subit un déficit de moyens dramatique. Les besoins sont considérables, un Camerounais sur deux ayant moins de 18 ans, mais nos infrastructures sont très loin de pouvoir y répondre. Dans le primaire, on compte en moyenne 50 places assises pour 60 élèves. Un écart que va très vite creuser la démographie.
Partager la CAN avec les pays voisins
Quelle réponse apporte le projet de budget 2016 de l’État? Il aggrave la situation, en réduisant des ressources déjà dramatiquement pauvres. En tenant compte de l’inflation, le budget 2016 de l’éducation recule de 1 % par rapport à 2015.
Devons-nous, pour autant, renoncer à la CAN et demander son report comme l’a fait récemment le Maroc pour cause d’Ebola? Non. Le Cameroun, qui n’a pas reçu la CAN depuis 1972, risquerait d’en être privé pour les vingt prochaines années. Et ce serait aussi une victoire pour Boko Haram. Non, il ne faut pas renoncer.
Quelle est donc ma proposition? Partager la CAN avec nos voisins et frères d’armes dans la lutte contre Boko Haram : le Nigeria et le Tchad.
Un tel partage impliquerait peu d’investissements supplémentaires. De plus, ceux-ci auraient un impact bénéfique de long terme, dépassant largement l’horizon des deux CAN.
S’agissant des stades, le Cameroun pourrait organiser la CAN féminine en 2016 avec les installations qui sont déjà en cours de réhabilitation. Pour la CAN masculine de 2019, le cahier des charges impose de disposer de quatre stades. Il serait respecté en s’appuyant sur les équipements de nos voisins, qui disposent chacun d’un grand stade à Abuja et à N’Djamena. Cela permettrait de renoncer à la construction des grands stades à Yaoundé et Douala.
Quant aux infrastructures hôtelières, celles de nos voisins sont déjà adaptées à ce type d’événement. Pour ce qui est du parc camerounais, la solution serait de favoriser l’investissement privé, la vocation de l’Etat n’étant pas, de toute façon, de construire des hôtels.
Le choix de la raison et de la fraternité
De fait, les efforts les plus importants devront être faits dans les réseaux de transports vers nos voisins. Mais il s’agit là d’une formidable occasion ! Réaliser enfin l’extension du chemin de fer camerounais de Ngaoundere à N’Djamena permettrait de créer des emplois et de désenclaver le Tchad. Créer des axes routiers entre le Cameroun et le Nigeria serait le vecteur d’une dynamique d’intégration régionale synonyme de croissance durable et de partage. Est-ce possible ? Oui. Les dossiers techniques sont prêts. En juillet, à Yaoundé, les chefs d’État nigérian et camerounais ont affirmé leur volonté de connecter leurs réseaux routiers. De surcroît, les retombées bénéfiques de ces projets de transports seraient telles que la mobilisation des bailleurs de fonds internationaux et des investisseurs étrangers sera au rendez-vous.
Qu’aurions-nous à gagner à ce partage ? Tout. Une économie massive qui permettra d’investir dans l’éducation pour préparer l’avenir de nos jeunes et dans la défense pour équiper nos troupes face aux terroristes ; une accélération et une concrétisation de l’intégration économique dans la sous-région ; une illustration éclatante de la solidité de nos liens avec nos frères nigérians et tchadiens sur le territoire même où Boko Haram mène sa campagne de mort et de division. Notre fierté nationale peut aussi s’exprimer par ce choix de la raison et de la fraternité.
Marafa Hamidou Yaya ancien secrétaire général à la Présidence, puis ministre de l’intérieur du Cameroun de 2002 à 2011)
In 2015, Marafa Hamidou predicted the withdrawal of CAN 2019 in Cameroon
In a tribune that dates from 2015, the former secretary general of the presidency of the Republic already mentioned the withdrawal of the CAN 2019 in Cameroon. The reasons mentioned by the latter were insecurity, especially with the rise of Boko Haram.
He did not limit himself to showing the grievances of this withdrawal but also proposed the organization of this event with neighboring countries such as Chad and Nigeria.
In a difficult economic context, marked by the fall in the price of oil and exceptional military expenditure related to the fight against Boko Haram, Cameroon plans, in its draft budget laws 2016, to allocate 550 billion CFA francs (838 million euros), or 13% of its budget, to “the construction of the infrastructure necessary for the holding of the African Football Cups 2016 (female) and 2019 (men’s)”.
In particular, two new stadiums of respectively 60,000 and 50,000 seats are planned in Yaoundé and Douala for CFAF 150 billion each, the rehabilitation of the existing sports stadiums in Yaoundé, Douala, Bafoussam and Garoua (CFA 158 billion). ), the outdoor development of the stadiums of Limbé and Bafoussam (20 billion CFA francs), as well as the adaptation of road and hotel infrastructures in and around the cities concerned.
Do we want, can we, afford this expense, this investment without a future, which will mainly benefit foreign companies and which, since we seek help from China to assume it, will deepen our debt? No.
Invest in education and security
This € 838 million spent on prestige events will result in a 4.5% budget deficit. In addition, given the delay in the progress of work, it is very likely that the final bill will be increased by overtaking. For this reason alone, the expense would already be unsustainable.
But it is even more so if we consider that it is diverting public resources, already declining, from our vital and interdependent priorities of education and security in the face of repeated attacks by Boko Haram.
It is not only a question of the means to give to our brave gendarmes and soldiers, engaged in a long struggle.
The 550 billion CFA francs allocated to the two football cups represent more than the budget for education (basic education, secondary and higher education) in 2016, which will amount to 499 billion CFA francs.
Why this comparison? Education is the most effective vehicle for combating extremism. These Cameroonians, and especially these young women suicide bombers, who kill other Cameroonians in Garoua, Fotokol and elsewhere, also act out of desperation. To give them perspectives of personal realization, of dignity, of control of their destiny supposes that they enter as soon as possible to the school and leave it the best formed possible. Our military can defeat Boko Haram, but only education and employment will make it possible to overcome extremism in the long term.
Of course, the vocation of education is not limited to the security issue. It commits the future of our country on all fronts. It is for this reason that I proposed to make education compulsory until age 16.
However, primary, secondary and higher education suffers from a dramatic lack of resources. The needs are considerable, one in two Cameroonians under 18, but our infrastructure is very far from being able to respond. In primary school, there are on average 50 seats for 60 students. A gap that will quickly dig the demographics.
Sharing CAN with Neighboring Countries
What is the answer to the government’s 2016 draft budget? It aggravates the situation by reducing resources already dramatically poor. Taking into account inflation, the 2016 education budget is down 1% compared to 2015.
Should we, for all that, give up CAN and ask for its postponement, as did Morocco recently because of Ebola? No. Cameroon, which has not received the CAN since 1972, risks being deprived of it for the next twenty years. And it would also be a victory for Boko Haram. No, do not give up.
What is my proposal? Share the CAN with our neighbors and brothers in arms in the fight against Boko Haram: Nigeria and Chad.
Such sharing would imply little additional investment. In addition, they would have a long-term beneficial impact, well beyond the horizon of the two CANs.
With regard to stadiums, Cameroon could organize the women’s CAN in 2016 with facilities already undergoing rehabilitation. For the men’s CAN of 2019, the specifications require four stadia. It would be respected by relying on the equipment of our neighbors, who each have a large stadium in Abuja and N’Djamena. This would give up the construction of large stadiums in Yaoundé and Douala.
As for hotel infrastructures, those of our neighbors are already adapted to this type of event. As for the Cameroonian fleet, the solution would be to favor private investment, the vocation of the State not being, anyway, to build hotels.
The choice of reason and fraternity
In fact, the most important efforts will have to be made in transport networks to our neighbors. But this is a great opportunity! Carrying out the extension of the Cameroonian railway from Ngaoundere to N’Djamena would create jobs and open up Chad. Creating roads between Cameroon and Nigeria would be the vector of a regional integration dynamic synonymous with sustainable growth and sharing. Is it possible ? Yes. The technical files are ready. In July, in Yaoundé, the Nigerian and Cameroonian heads of state affirmed their will to connect their road networks. In addition, the benefits of these transport projects would be such that the mobilization of international donors and foreign investors will be at the rendezvous.
What would we have to gain from this sharing? All. A massive economy that will invest in education to prepare the future of our youth and in defense to equip our troops against terrorists; an acceleration and concretization of economic integration in the subregion; a striking illustration of the strength of our ties with our Nigerian and Chadian brothers in the very territory where Boko Haram is leading his campaign of death and division. Our national pride can also be expressed by this choice of reason and fraternity.