Un Tribunal criminel spécial au Cameroun ? Plutôt géniale comme idée pour un double champion en matière de corruption (en 1999 et en 2000), selon Transparency international. En pleine bataille pour l’émergence à l’horizon 2035 et surtout à l’aube d’un septennat dit des « Grandes Réalisations », il fallait y aller. Et le verbe s’est fait progressivement chair. L’idée s’est transformée en loi, celle du 14 décembre 2011 portant création du Tribunal criminel spécial.
La loi a été suivie par un décret présidentiel du 19 avril 2012 portant nomination des magistrats de cette juridiction. Ces derniers ont officiellement été installés le 15 octobre 2012. Les « délinquants à col blanc n’avaient donc plus qu’à bien se tenir », disait le magistrat suprême quelques années plutôt. Le Tcs allait leur faire rendre gorge.
Le Tribunal criminel spécial à Yaoundé
A peine les juges ont-ils ouvert les premiers dossiers, miracle ! Tribunal criminel au départ, la juridiction d’exception s’est muée en une juridiction disciplinaire à connotation pénale. De quoi hérisser les poils des spécialistes de la criminalité financière.
Ainsi, au Tribunal criminel spécial du Cameroun-j’allais dire très très spécial- vous n’entendrez jamais parler de l’origine de la fortune du prévenu, ni de l’usage d’un prête-nom ou de quelque manœuvre frauduleuse de distraction des deniers publics encore moins d’un virement bancaire suspect dans un compte privé.
A ce Tribunal criminel spécifiquement camerounais, il est davantage question « d’engagement de dépenses sans pièces justificatives », « d’engagement de dépense sans l’aval du Conseil d’administration », « d’annulation de pénalité d’une entreprise adjudicatrice de marché sans l’aval de la commission de passation de marché », « octroi de salaires et avantages indûs (sans l’aval du Conseil d’administration) », etc.
« De simples irrégularités de gestion qui appellent davantage à des sanctions disciplinaires », faisait remarquer Me Simon Foreman, avocat au barreau de Paris, dans l’affaire Dieudonné Ambassa Zang. Confusion entre faute de gestion et détournements de deniers publics, une maladie infantile du Tcs. Ignorance d’un procès équitable, une autre de ses pathologies.
Le processus de la dépense publique, on le sait, implique plusieurs acteurs. Mais certains ordonnateurs de crédits (ministre, Dg de sociétés publiques et parapublique) ont été condamnés au Tcs à de lourdes peines et tout seul sans que les personnes qui ont participé à la sortie des fonds ne daignent en répondre ne serait-ce que comme témoin.
L’ancien ministre de la Santé, Urbain Olanguena Awono a été condamné à 20 ans de prison ferme le 12 août 2013 pour le paiement d’un marché de moustiquaires non-livré. Curieusement, les fonctionnaires du Trésor qui ont validé et payé le marché ont été laissés libres de leurs mouvements.
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Symboles de la justice
Des poursuites judiciaires ciblées. Comme celles dont l’homme d’affaire et ancien patron de l’ancienne compagnie aérienne Cameroon Airlines (Camair), Yves Michel Fotso, est victime. Accusé par la liquidation de Camair d’avoir détourné une soixantaine de milliards, le fils du milliardaire Fotso Victor comparait tout seul devant les juges du Tcs !
Gérait-il la Camair tout seul ? Cette société n’avait-elle pas de commissaire au compte ? Un conseil d’administration ? Une tutelle financière et technique ? des services financiers et comptables ? Des questions loin d’être à l’ordre du jour au Tcs.
Où est passée l’Agence nationale d’investigation financière, censée fournir du bon grain aux magistrats du Tcs ? Une collaboration entre ces deux institutions ne semble pas être la règle non plus. Comme l’a souligné l’avocat de la défense, Me Phillipe Memong, le 19 février dernier au Tcs à l’audience de l’affaire CRTV : « ce sont les experts du Consupe qui poursuivent ».Et pourtant !
Michel BIEM TONG, Hurinews.com