Analyse décapante et instructive de l’économiste Thierry AMOUGOU, Fondateur et animateur du Cercle de Réflexions Economiques, Sociales et Politiques (CRESPO)
La société promise, c’est-à-dire celle de Camerounais et de Camerounaises moralement exemplaires et rigoureux dans la gestion au sein d’un libéralisme communautaire, n’a jamais vu le jour. En choisissant de fausses images pour corriger une carence grave du régime par rapport à la mémoire des soldats tombés dans la lutte contre Boko Haram, le Renouveau National a démontré que la truanderie en place n’a pas de limite car elle s’attaque même aux morts pour la nation et à leur mémoire.
Les années passent et se ressemblent pour le Cameroun et les Camerounais. 2015, année des 33 ans du Renouveau National ne fait pas exception à la règle. Nous aurons un discours présidentiel de fin d’année bien calibré. C’est un rituel. Il sera, comme les précédents, plein de bonnes intentions et parsemé de promesses qui, c’est le cas de le dire, n’engagent pas leur auteur mais uniquement les Camerounais qui continuent d’y croire d’une foi supérieure à la réalité des faits, ceux qui sont dans une forme de déni de réalité depuis 1982, ceux qui contre mauvaise fortune font bon cœur et ceux qui sont des maillons centraux du régime en place.
Martin Belinga Eboutou est de cette dernière catégorie. Il a, il y a quelques temps, fait un bilan des 30 ans de pouvoir de Paul Biya. Intitulé « La vertu de tolérance ou le paradigme de la longévité au pouvoir de Paul Biya », cette autoévaluation, étant donné que le Ministre, Directeur du Cabinet Civil de la Présidence de la République est abonné aux hautes sphères de l’État camerounais pratiquement depuis 1982, donne quelques indices de la réussite du Renouveau National. Ce sont : une offre publique en formation sanitaire de 70% ; une grande accessibilité à l’enseignement supérieur (8 universités d’État contre 01 en 1982) ; des infrastructures routières (5000 km de routes bitumées contre 1330 km en 1982) ; des infrastructures agricoles, aéroportuaires, portuaires et de télécommunication. L’institution d’une « société de démocratie » où on dénombre 282 partis politiques, 101 journaux, 80 radios et 18 télévisions. D’où la conclusion suivante : « Le Cameroun de Paul Biya n’est pas une dictature et ne vit pas sous la ferrure d’un despote. Le Cameroun de Paul Biya est un pays qui bouge, qui poursuit résolument, sans tambour ni trompette, sa marche pacifique vers la prospérité et l’émergence…… Avec un homme aussi calme, ferme et rassurant, le peuple se sent en sécurité. Cette valeur de tolérance, qui revient de manière récurrente dans son discours, traduit l’attachement du Président Paul BIYA à la paix. Elle révèle en même temps le secret de sa longévité politique. »
Mais de quoi parlons-nous et avec quelle méthode?
Laissons de côté le fait que Monsieur Martin Belinga Eboutou soit en même temps juge et partie lorsqu’il fait le bilan d’un régime dont il est une des colonnes vertébrales depuis plus de trente ans. Prenons pour argent comptant ce qu’il dit, c’est-à-dire comme des faits tangibles à mettre à l’actif du Renouveau National. Aussitôt, l’objectivité à laquelle le Ministre invite ceux qui évaluent le règne de Paul Biya ne semble pas la chose qu’il pratique lui-même le mieux. On peut se demander, même si l’embourgeoisement de l’auteur peut rendre son cerveau paresseux et sa réflexion anorexique, quel est son référentiel ou sa variable de contrôle dans son évaluation, étant donné qu’il n’a pas comme repère un autre régime camerounais qui aurait fait 33 ans de pouvoir et aurait fait moins que ces quelques résultats qu’il met en avant.
Quid des fonds internationaux, notamment européens, permettant à de nombreux régimes subsahariens de construire des routes et d’électrifier des contrées ? Combien d’écoles en plus, d’universités supplémentaires, de centres de santé et de routes le Cameroun aurait pu produire réellement si les faramineux détournements de deniers publics estampillés Renouveau National avaient été affectés aux investissements publics productifs ?
Il est par ailleurs curieux qu’on parle d’universités construites au Cameroun sans évoquer les critères d’évaluation d’une université. Est-ce le nombre d’universités ouvertes qu’il faut mettre en avant dans un pays lorsqu’on fait une évaluation de cette institution ou alors la qualité des enseignements dispensés et des diplômes décernés, son ranking mondial, son rôle dans la lutte contre le chômage et dans la promotion d’esprits libres ? De quelle offre de santé parle Monsieur Belinga Eboutou si ce n’est celle réservée aux Camerounais sans moyens d’aller se soigner en Occident ? L’offre de soins de santé dont il parle serait suffisante et de bonne qualité que le chef de l’État lui-même et tous les hauts responsables malades se soigneraient au Cameroun. Cela n’est pas le cas car ils prennent très vite l’avion pour les hôpitaux occidentaux dès la moindre douleur et fuient comme la peste les grandes œuvres du Renouveau en matière de santé publique. Monsieur Belinga Eboutou parle de 282 partis politiques, 101 journaux, 80 radios et 18 télévisions au Cameroun comme des signes d’une « société de démocratie » instituée par Paul Biya. Il semble, encore une fois, faire preuve d’amnésie au point d’oublier les discours anti-démocratiques du régime traitant Maître Yondo Black et ses acolytes en 1990 « d’apprentis sorciers », « d’aventuriers de tous bords », « de fauteurs de troubles », « de pécheurs en eaux troubles », « de professionnels de l’intoxication », de « déstabilisateurs ennemis du Renouveau » et « de partisans du multipartisme précipité » parce qu’ils revendiquèrent le multipartisme. Des Camerounais ont été mis en prison, d’autres traînés en justice et bien d’autres morts dans le combat pour le multipartisme au Cameroun.
Comment est-ce que tout cela a été possible alors que Biya est l’instituteur d’une société de démocratie?
Cet art de récolter ce que le sang et les luttes des Camerounais ont conquis de haute lutte se double d’une approche erronée de la démocratie de la part de Monsieur Eboutou. 282 partis politiques est-il le signe « d’une société de démocratie » ou d’un malaise démocratique ? Bibi Ngota, journaliste mort en prison et les jeunes Camerounais abattus par l’armée camerounaise en février 2008 sont-ils des signes « d’une société de démocratie » ? Dans quelle société de démocratie des centaines de citoyens sont abattus par l’armée nationale sans aucune suite judicaires ? Dans quelle démocratie fait-on 33 ans au pouvoir ? Dans quelle société de démocratie modifie-t-on la Constitution en entourant l’assemblée nationale de chars de guerre ? Monsieur Belinga Eboutou sait-il que des travaux scientifiques montrent que ces multiples radios et télévisions qu’il énumère en guise de succès politiques sont des instruments de contrôle de la société subsaharienne par les régimes autoritaires qui accordent des autorisations de fonctionnement et les retirent comme bon leur semble ? Où Monsieur Belinga Eboutou voit-il la société camerounaise de démocratie lorsque Paul Biya balaie toute illusion de démocratie comme garante de sa longévité au pouvoir en disant « ne reste pas au pouvoir qui veut mais qui peut » ?
Les maigres statistiques avancées par ce haut responsable de l’Etat camerounais ne peuvent résister ni à ceux des morts de l’axe lourd Yaoundé-Douala sans aucune décision de sauver des vies camerounaise via un aménagement d’une autoroute digne de ce nom, ni au caractère erroné des conclusions que le ministre en tire. Une de ses conclusions est par exemple que « Le Cameroun de Paul Biya n’est pas une dictature et ne vit pas sous la ferrure d’un despote » comme si 8 universités, 5000 Km de routesune, une offre publique en formation sanitaire de 70%, une grande accessibilité à l’enseignement supérieur, 282 partis politiques, 101 journaux, 80 radios et 18 télévisions sont des indices à la fois d’une absence de dictature et d’une autorisation à faire 33 au pouvoir. Le haut responsable de l’Etat camerounais qu’il est n’est manifestement pas au courant du fait que les résultats économiques ou en termes d’investissements publics se portent parfois très bien en dictature.
Nous n’en voulons pour preuves que le cas de la Chine ou la panoplie d’investissements publics d’Hitler qui a construit une multitude d’autoroutes ou encore les investissements publics entrepris par Mr. Obiang Nguéma en Guinée Equatoriale sans démocratie et même, en son temps, par le général Pinochet au Chili où, sous une dictature sanglante, la modernisation du pays a été une des plus grandes réussites économiques en Amérique latine. Ce qui est resté de ces régimes est moins la statistique sur les écoles, les routes et les universités construites que ce qu’ils ont incarné moralement et politiquement comme valeurs. C’est le bilan moral, éthique et politique, c’est-à-dire l’esprit des valeurs qu’un régime aura implanté dans l’imaginaire populaire et qui aura fait école dans les mœurs qui compte. C’est cet esprit qui laisse un terrain favorable ou défavorable pour l’avenir.
* Que sont devenus les marqueurs du régime en 1982?
Au lieu d’opter pour un bilan parcellaire en brandissant quelques statistiques qui ne sont que quelques morceaux choisis pour, et c’est de bonne guerre, enjoliver la longévité au pouvoir du régime dont on est un haut serviteur depuis des décennies, la bilan d’un régime consiste moins à brandir quelques chiffres ici et là qu’à mettre en exergue la conformité ou le décalage entre ce qu’ avait promis de construire le régime comme société et ce qu’il a effectivement construit plusieurs années après.
En 1982, Paul Biya porte un vrai projet de société. Il est attractif et séduisant. Les marqueurs programmatiques du Renouveau National sont alors la rigueur dans la gestion et la moralisation des comportements enrobées de libéralisme communautaire. 33 ans plus tard, force est de remarquer que la dette morale du Renouveau National envers les Camerounais et le Cameroun est exponentielle car le régime n’est pas devenu une force morale et éthique dans la gouvernance du pays. La société promise, c’est-à-dire celle de Camerounais et de Camerounaises moralement exemplaires et rigoureux dans la gestion au sein d’un libéralisme communautaire, n’a jamais vu le jour.
Lorsque, 33 ans plus tard, un régime qui avait pour valeurs cardinales la rigueur dans la gestion et la moralisation des comportements se retrouve en pleine opération épervier, cela est le signe que ni la rigueur dans la gestion, ni la moralisation des comportements n’ont été effectifs pendant aux moins plus d’un quart de siècle de pouvoir. Autrement dit, contrairement à ce que veut faire croire le régime, l’opération épervier est moins l’application de ses principes de départ que l’effectivité de son échec à les installer dans sa gouvernance du pays depuis 1982. Ce ne sont pas deux universités ici et là qui vont contrebalancer le fait général et apodictique que le Renouveau National a pour bilan politique une défaite éthique et morale qui installe durablement le Cameroun dans un processus profond de (dé)civilisation et de dépravation des mœurs. Les Camerounais attendaient le Renouveau comme une force motrice de la moralisation des comportements, ils connaissent un pays où la tricherie multidimensionnelle a fait florès depuis les hautes sphères du pouvoir jusqu’au au sein des masses populaires. Les effectifs de la prison centrale de Yaoundé et les statuts pré-carcéraux de ceux qui y logent témoignent de cette crise civique ambiante. La réputation du Camerounais expert en malversations de toutes sortes a dépassé les frontières du triangle national, elle est désormais internationale.
La valeur travail et celle d’excellence dans son domaine d’activité ne sont plus celles qui guident les Camerounais parce qu’absentes de la gouvernance de l’Etat. Tous les hauts dignitaires en prison, en sursis ou en liberté et désormais experts en détournement de deniers publics ne concourent par à inculquer aux jeunes les valeurs de travail et d’excellence mais bien celles de la tricherie tous azimuts. Le temps où nous partions de nos villages avec nos stylos pour présenter et avoir haut la main le concours d’entrée au Lycée Général Leclerc est révolu. Les jeunes Camerounais de 10 ans trichent même au concours d’entrée en sixième car les adultes cherchent les épreuves pour eux. Dans un pays où désormais c’est le nombre de milliards volés, le nombre d’hectares de terre arrachés aux paysans, le nombre de grosses cylindrées et de châteaux qui fait sens et incarne une vie réussie, les chiffres avancés par son excellence Belinga Eboutou sonnent creux et faux car ils sont une gesticulation numérique en surface d’une société pourrie pour longtemps dans ses entrailles car les aînés délinquants publics font des petits. Paul Biya a construit un pays où ce qui tient en haleine ce sont les nominations de directeurs, de ministres, les allers et retours du couple présidentiel en Europe ou encore le renouvellement des organes de bases du RDPC. Les gens marchent jusqu’à Etourdi parce que leurs liste a été évincée de la course aux organes de base du RDPC alors qu’aucun Camerounais n’a marché lorsque l’armée a froidement abattu en 2008 des centaines de compatriotes. C’est cela l’ordre de priorité dans lequel le Renouveau National a placé le Cameroun et les Camerounais.
* Les carences du pouvoir ont fait du resquilleur le citoyen-modèle
La défaite morale et éthique dont nous parlons place le pays dans une tendance lourde de laquelle la sortie ne se ferra ni à court terme ni à moyen terme parce que le régime fait des émules surtout parmi la jeunesse camerounaise. C’est suivant cet ordre d’idées que nous parlons dans l’un de nos ouvrages de la possibilité d’un « Biyaïsme sans Biya ». C’est-à-dire d’un régime politique camerounais qui aura fait des petits et dont la logique se poursuivra même si Biya, son initiateur, n’est plus au pouvoir. Aucune statistique en termes d’investissements publics ne peut contrebalancer ce mal profond qui ronge désormais les articulations vitales d’une société camerounaise extrêmement réticulaire. Une de ces articulations vitales est la Présidence de la République. Fabriquées de toutes pièces par le Renouveau communicationnel, des images de Paul Biya rendant hommage aux valeureux soldats camerounais tombés au front dans la lutte contre Boko Haram ont été mises en ligne via le site d’information de la Présidence de la République. Cela est une preuve supplémentaire que la tricherie et le mensonge publics sont, non seulement devenus le sport national le plus pratiqué, mais aussi initiés depuis les plus hauts lieux du pouvoir en place. En choisissant de fausses images pour corriger une carence grave du régime par rapport à la mémoire des soldats tombés dans la lutte contre Boko Haram, le Renouveau National a démontré que la truanderie en place n’a pas de limite car elle s’attaque même aux morts et à leur mémoire. Qu’allons-nous donc respecter si mêmes les morts sont instrumentalisés pour construire une bonne image à Paul Biya et de son régime ?
Dans un régime où c’est la fin qui justifie les moyens dans un conséquentialisme amoral et sans éthique aucune, le citoyen-modèle est désormais le Camerounais resquilleur. Le Renouveau National avait promis un citoyen aux comportements moralisés et rigoureux dans la gestion, il va léguer au pays des citoyens voleurs, menteurs et des tricheurs.
Comment avons-nous été numéro un mondial de corruption avec un régime qui ne jurait que par des valeurs morales et éthiques en 1982 ? Reconstruire une architecture morale exemplaire au sein du peuple camerounais est une tâche immense qui attend le prochain régime camerounais en espérant que nous ne vivrons pas « le Biyaïsme sans Biya ».
* Sur le plan sécuritaire, le peuple camerounais est pris en tenaille entre Boko-Haram et le régime de Paul Biya
La dimension sécuritaire est cruciale mais son analyse par le régime souffre d’un complexe du salvateur. Ce que disent les inconditionnels du Renouveau National est que réaffirme Monsieur Belinga Eboutou est que Paul Biya a maintenu le pays en paix depuis 1982. L’avait-il déjà trouvé en guerre en 1982 au point que la paix soit à comptabiliser dans ses réalisations à succès ?
Encore une fois les faits ne plaident pas en leur faveur. Non seulement la conception étriquée de la paix comme absence d’un conflit armé ne tient plus la route avec Boko Haram, mais elle s’avère aussi bougrement simpliste une fois pris en compte les souffrances sociales, la mort sociale, la hausse des inégalités, l’envolée du grand banditisme et de l’insécurité dans les grandes villes camerounaises sous le Renouveau National.
La sécurité est un gros mot et un vain mot lorsqu’il sort de la bouche du régime aux affaires dans un pays qui a déjà eu le maillot jaune de la corruption dans le monde et qui, aujourd’hui, a la deuxième police la plus corrompue d’Afrique d’après le baromètre mondial 2015 de Transparency International. Il faut le dire haut et fort, une police corrompue est un danger permanent à la fois pour la sécurité intérieure et extérieure du pays car son talon d’Achille est connu par tous et constitue une voie royale pour ceux qui veulent porter atteinte au Cameroun et aux Camerounais. Au moment où le pays affronte Boko Haram, avoir une police corrompue est d’une extrême dangerosité car ce haut niveau de corruption est un atout pour la secte islamiste et terroriste et une faiblesse pour le Cameroun. Notre pays est donc déjà de pleins pieds dans les rendements décroissants que la défaite morale du Renouveau National produit sur lui. Une fois qu’un corps névralgique comme le police nationale se trouve atteint dans sa crédibilité en matière de sécurité nationale, la période d’incubation du virus de la défaite morale est déjà derrière nous.
Il vient que le peuple camerounais est pris en tenaille entre d’un côté, un pouvoir qui le vulnérabilise via des forces de l’ordre corrompues et, de l’autre, les attentats de la secte terroriste Boko Haram. Monsieur Belinga Eboutou ne dira pas que nous inventons ces rapports qui sont issus d’organismes internationaux n’ayant rien à voir avec l’opposition camerounaise.
Après 33 ans de pouvoir, un autre rapport, celui-là de l’US Department of State dresse un tableau sombre du bilan du Renouveau National en matière des Droit de l’Homme. Le rapport souligne en 2014 des morts arbitraires comme celle de Christiane Soppo Mbango collaboratrice de Marafa, des disparitions sans suites ni enquêtes comme celle du capitaine Guerandi Goulongo Mbara, des tortures et des traitements inhumains et dégradants de la part des forces camerounaises de sécurité, des conditions de détention moyenâgeuses, des arrestations et des détentions arbitraires, une surveillance accrue des réseaux sociaux, la discrimination et criminalisation des homosexuels, des trafics d’enfants, une interdiction récurrente des manifestations telles des conférences publiques etc. On se demande bien de quelle société de démocratie parle son excellence Belinga Eboutou ? Vit-il dans le même Cameroun que les autres Camerounais ? Manifestement non ! Encore une fois cette kyrielle non exhaustive de manquements du Renouveau National au respect des Droits de l’Homme n’est pas de l’opposition camerounaise mais bien du l’US Department of State. De quelle sécurité et de quelle paix parle-t-on dans un pays que le Renouveau National a trouvé en paix et qu’il a installé entre les carences et brutalités de son régime d’un côté et les attentats meurtriers de Boko Haram de l’autre ?
* Sur le plan économique, l’émergence est une poule dont on nous promet les dents en 2035
En dehors de la défaite morale et du déclassement qui s’ensuit du travail et de l’excellence comme valeurs dans l’imaginaire collectif camerounais, le régime lui-même est complètement encapsulé et embrigadé dans une fuite en avant lexicale qui, en retour, a pour objectif de mystifier les populations en égrenant des projets aussi mirobolants les uns que les autres. Cette anthologie lexicographique est une caractéristique du « Biyaïsme lexical », autre forme du régime en place dont le chapelet de mots et de projets sont là pour compenser le vide de résultats effectifs du mandat précédant en habillant le suivant d’un nouveau discours programmatique qui rend le précédent caduque. La rigueur dans la gestion, la moralisation des comportements, la démocratie apaisée, l’homme Lion, les grandes ambitions, le choix du peuple, les grandes réalisations sont, en restant minimaliste, quelques concepts ronflants qui se succèdent les uns aux autres à chaque nouveau mandat et dont l’objectif politique et de permettre au « Biyaïsme lexical » de tenir le régime debout uniquement via des mots-béquilles, des mots-obus et des mots-programmes permettant à l’innovation lexicale de cacher l’absence d’innovations réelles. « Le Biyaïsme lexical » est la parousie du régime en place, c’est-à-dire un moment qui n’est jamais là mais qui est toujours imminent et exige de ce fait une mobilisation de tout instant.
Cela dit, l’émergence du Cameroun en 2035 est la dernière innovation en date du « Biyaïsme lexical ». On connait enfin la date de la parousie. Elle semble correspondre à une période où Paul Biya ne sera plus là pour expliquer pourquoi il n’y a pas eu émergence mais où « le Biyaïsme sans Biya » dira que c’est parce que l’homme du 6 novembre n’est plus en poste que l’émergence est devenue un mirage. Cette émergence camerounaise en 2035 est pourtant déjà un mirage. Elle est une vaste usine à gaz pour plusieurs raisons objectives.
Premièrement, il serait important que les têtes pensantes du régime nous donnent le lien politique et scientifique entre le libéralisme communautaire de 1982 et l’émergence du Cameroun en 2035. Il s’agit-là d’un passage du coq à l’âne qui, une fois de plus, témoigne de toute la vacuité du « Biyaïsme lexical » dont le rôle est juste d’occuper l’espace public par des vocables qui n’ont aucune suite dans les faits. Par conséquent, si le libéralisme communautaire est un mort-né l’émergence du Cameroun en 2035 est un né-mort. Deuxièmement, l’émergence désigne au préalable des économies qui ont libéralisé leurs systèmes financiers afin de l’adapter au financement d’une économie capitaliste de haute croissance et pro capitalistique. Le Cameroun a un système financier dual, segmenté et de faibles performances en termes d’intermédiation financière alors que ses banques sont surliquides. Troisièmement, les pays aujourd’hui dits émergents se caractérisent par une autonomie de réformes, un secteur innovant robuste incarné par un vaste programme national d’innovations dans tous les domaines et mettant en lien les universités, les grandes écoles et les entreprises, un Etat stratège capable de capter la croissance de mondialisation, une diversification économique, une politique monétaire, budgétaire et de change autonomes et un niveau de croissance en moyenne de plus de 8% pendant une trentaine d’années. Notre cher Cameroun n’a rien de tout de cela. Il est PPTE et, de ce fait, n’a pas de politique budgétaire autonome. Il est membre de la Zone Franc, et de ce fait, n’a ni politique monétaire, ni politique de change autonome. Il est PPTE ce qui implique qu’il a des fondamentaux en contradiction avec la base macroéconomique capable d’impulser une émergence économique.
Qui plus est, l’émergence économique, quand bien même elle serait possible pour le Cameroun, serait une erreur fatale de politique économique dans un pays sans développement social et humain. Si la croissance camerounaise actuelle n’entraîne pas d’emplois supplémentaires pour les populations, il est difficile de croire que c’est l’émergence de 2035, projet d’une économie hautement capitalistique qui le ferrait. Notre pays doit se concentrer sur ce qu’il peut faire et ce qu’il doit faire en ce moment pour ses populations. C’est cela qui constitue la base pour son développement économique et humain futur : le renforcement de l’autosuffisance alimentaire par la modernisation intelligente et le soutien au secteur agricole ; la fourniture de l’eau potable et de l’électricité en continue et non de façon épisodique à toutes les couches de la population ; permettre aux Camerounais de se soigner gratuitement grâce à une sécurité sociale étendue ; réformer le système financier afin qu’il finance les investisseurs locaux et les secteurs capables de créer de l’emploi ; adapter l’enseignement primaire, secondaire et universitaire aux besoins de développement du pays et de son marché du travail ; développer un marché et des projets sous-régionaux et de la coopération économique avec le Nigeria etc…
Le Cameroun doit sortir et se défaire du one man show qu’il vit depuis 1982 pour un projet collectif qui met le peuple en marche de façon solidaire. Nous devons aussi reconnaître que même si la route est longue parce que le mal est profond, seule la réinstallation dans les têtes des Camerounais de la valeur travail et celle d’excellence est notre meilleur allié pour l’avenir.
Bonne année 2016 à tous et à toutes.
* Thierry AMOUGOU est fondateur et Animateur du CRESPOL, Cercle de Réflexions Économiques, Sociales et Politiques. cercle_crespol@yahoo.be
Dernier ouvrage publié SOS HAKUNA MATATA
Source: camer.be