Le Comité de Libération des Prisonniers Politiques (membre du collectif Éséka pour un Cameroun Nouveau) prend acte de la publication du rapport d’expertise commis par l’expert ferroviaire Benoît ASSIGA, après les indiscrétions de l’hebdomadaire Jeune Afrique, sur la catastrophe ferroviaire d’Éséka le 21 octobre 2016.
Si ce premier rapport d’expert rendu parmi les quatre commandés par le Procureur général près la Cour d’appel du Centre chargé de l’enquête, conclut de manière ponctuelle et circonstancielle à la «responsabilité totale et entière» de la société ferroviaire Camrail dans le déraillement du train intercités reliant Yaoundé à Douala le 21 octobre 2016, entreprise qui selon M. ASSIGA connaissait «l’existence de graves dysfonctionnements dans 13 des 17 voitures formant le convoi», il nous semble prématuré de tirer des conclusions définitives sur un drame qui a coûté la vie officiellement à 79 personnes, sans compter les centaines dont les familles sont toujours sans nouvelle. Pourtant la Présidence de la République reste étrangement muette sur le sujet, alors même que le rapport commis par la commission gouvernementale mise sur pieds par décret le 25 octobre 2016 et présidée par le premier ministre Philémon Yang aurait été remis au Président Biya dans le délais des 30 jours impartis.
C’est l’occasion de rappeler que notre collectif veillera à la manifestation de la vérité, de toute la vérité, puis à l’établissement de l’échelle des responsabilités dans ce drame. Car nous ne pouvons nous suffire de rapports d’experts publiés isolément, précédés d’indiscrétions journalistiques, dans but de préparer l’opinion publique à l’idée d’une seule et unique «responsabilité totale et entière», quand bien même celle-ci découlerait de «défaillances techniques connues de longue date».
C’est la raison première de la plainte que nous avons déposée le 01 décembre 2016 devant le Tribunal de Nanterre en France, enregistrée depuis sous le numéro 16342000265 et confiée à la section financière. Nous y visons des faits d’homicides involontaires, de blessures involontaires suivies d’incapacité de travail, de blessures involontaires sans incapacité de travail, de non assistance à personnes en danger et de mise en danger de la vie d’autrui par violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité et de prudence imposée par la loi et le règlement. En mettant en cause plus spécifiquement la gouvernance du secteur du transport ferroviaire par l’État du Cameroun, notre action judiciaire tend à déterminer les conditions dans lesquelles – en violation notamment des principes d’égalité et de transparence dans les marchés publics – la Régie Nationale des Chemins de Fer Camerounais a été privatisée, la concession renouvelée, et certaines obligations à la charge du concessionnaire manifestement méconnues, ainsi que les conducteurs de train de la CAMRAIL l’ont régulièrement dénoncé. Car si l’état des voitures accidentées a été effectivement de tout temps considéré comme impropre à garantir la sécurité des transports, nous devons rechercher les conditions d’acquisition de ces wagons, les protagonistes des transactions, et les raisons de l’exécution de ses missions de service public par le concessionnaire, avec des voitures mettant continuellement en danger la sécurité du personnel et des utilisateurs du train camerounais.
L’objet de la plainte consiste enfin de déterminer les raisons pour lesquelles, malgré une politique QHS (qualité hygiène et sécurité) et une politique de RSE (Responsabilité Sociale d’Entreprise) axées sur la sécurité et le développement durable, et intégrées au niveau du Groupe Bolloré, ainsi que le contrôle exercé à hauteur de 77% par ce groupe sur sa filiale Camerounaise, les errements déplorés notamment par l’expert ferroviaire, qui ont rendu possible l’accident d’Éséka, ont finalement pu se produire.
Il faudra que la vérité se manifeste, toute la vérité, sur les circonstances certes de la catastrophe; mais aussi que les victimes obtiennent la réparation intégrale de leur préjudice, que les manquements survenus au cours du démantèlement du patrimoine national camerounais soient sanctionnés. Ainsi commencerons-nous peut-être modestement à discipliner les agissements de certaines multinationales dans notre pays et au-delà.
Voilà pourquoi notre collectif ne peut pas se contenter ou se suffire de tels rapports circonstanciels.
Le Comité de Libération des Prisonniers Politiques (CL2P)