La présidentielle au Cameroun, c’est le 7 octobre. Neuf candidats sont en lice pour cette élection à un seul tour. Le juriste Cabral Libii, 38 ans, est le plus jeune d’entre eux. Avec quel programme, quelle ambition ? De passage à Paris, le benjamin de l’élection – qui ne cache pas son admiration pour le parcours d’Emmanuel Macron – répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Vous êtes le plus jeune candidat à cette présidentielle. Ne manquez-vous pas un petit peu d’expérience ?
Cabral Libii : J’en suis finalement heureux. Lorsqu’on a eu le même régime depuis 36 ans, avec le bilan qu’on lui connaît, je pense que j’ai une grâce de ne pas être comptable de cela. Néanmoins, l’expérience politique ne se résume pas à l’exercice des fonctions électives. Sur le terrain depuis 14 ans déjà, je suis dans l’espace public.
Oui, mais vous n’êtes pas député, vous n’êtes pas un élu local. Vous n’avez pas assumé de telles responsabilités…
Absolument. Et justement depuis 14 ans, lorsque je me souviens de ma toute première interview donnée à RFI, elle avait été faite par, paix à son âme, David Ndachi Tagne. Nous sommes en avril 2004.
On le regrette tous.
Je suis à l’époque porte-parole de mille étudiants, puis de cinq mille, contre la réélection de Paul Biya. J’étais encore tout jeune étudiant, et c’est vous dire que, au bout de 14 ans, je vous assure que je pense avoir fait mes classes suffisamment pour passer aujourd’hui à l’étape qui consiste à porter la destinée de mon peuple.
Vous n’avez pas 40 ans. Est-ce que la candidature et la victoire d’Emmanuel Macron l’an dernier, le 7 mai 2017, vous ont inspiré ?
Je vous ai dit tout à l’heure que cela fait 14 ans que je me bats. Je ne suis pas sûr qu’il y a 14 ans, monsieur Macron avait forcément mené le même type de combat que je menais. Néanmoins, son élection à la tête de la cinquième puissance mondiale parle à une jeunesse. Elle parle forcément à la jeunesse africaine. Il faut voir comment parfois les yeux des jeunes Africains pétillent lorsque le président Macron y va. Vous avez vu les images du Nigeria lorsqu’on a vu ce jeune président, en bras de chemise, s’adressant aux jeunes, pétillant d’énergie. Il fallait observer les yeux des Africains qui le regardaient, c’était des yeux envieux. Ces jeunes Africains ont soif de ce type de leader également.
Qu’est-ce qui ne va pas à vos yeux dans la gouvernance Paul Biya et quelle est la première chose à changer ?
La première chose à changer au Cameroun, c’est le management. Ce qui ne va pas, c’est l’inhumanité d’un régime. Les Camerounais se sentent abandonnés. Il y a une profonde cassure, une profonde fracture dans la société camerounaise. Une poignée d’individus s’est coupée de la base, a installé un système de rentes qui fait que, dans une condescendance et un mépris absolus, ils font du Cameroun ce qu’ils veulent. Voilà ce qui ne va pas. Puis malheureusement pour lui, il ne peut plus résoudre ce problème à l’âge qu’il a, je lui souhaite de vivre encore le double de cet âge, mais humainement, ce n’est pas possible. Moi, je dis, il faut un Etat qui protège : protection sociale, protection civile, protection policière, sécuritaire, militaire. Le Camerounais se sent à l’abandon. Et plus grave, nous sommes asphyxiés, étouffés. La société camerounaise est corsetée, il faut libérer les énergies.
Mais n’y a-t-il pas du développement, n’y a-t-il pas de nouvelles routes, de nouvelles écoles, de nouveaux hôpitaux ?
Le Cameroun a atteint le point d’achèvement en 2006. Toute la dette a été balayée. Douze ans plus tard, nous sommes à 6 528 milliards [de francs CFA] d’endettement.
Un nouvel endettement ?
Un nouvel endettement. Une mauvaise dette en plus parce que là-dedans, plus de la moitié, c’est une dette que nous remboursons alors que nous n’avons même pas encore eu accès au fonds parce que les dossiers, à cause de la médiocrité et de l’incompétence, sont immatures. Vérifiez au Cameroun : les chiffres officiels parlent de 40% de Camerounais qui vivent en dessous du seuil de pauvreté. Nous sommes dans un pays où on peut se permettre d’acheter tous les trois ans une voiture rutilante au président de la République, plus d’un demi-milliard, alors qu’on opère des gens à ventre ouvert, avec des lames dans un hôpital. Voilà la réalité du Cameroun. Je ne suis pas un nihiliste. Je n’ai jamais dit qu’il n’y a pas eu un seul kilomètre d’autoroute bitumée depuis que le président Biya est au pouvoir. Mais j’espère que vous savez quand même que le kilomètre de route bitumée au Cameroun est l’un des plus chers d’Afrique, simplement à cause des surfacturations. En tout cas, il faut faire une comparaison entre notre pays et d’autres pays de niveau de développement comparable, comme la Côte d’Ivoire. Un pays comme la Côte d’Ivoire qui est aujourd’hui à 7 ou 9 points de croissance. Alors que le Cameroun a régressé, nous avons été à 3.7.
La guerre civile dans l’ouest anglophone. Est-ce la faute aux séparatistes ou au gouvernement de Paul Biya ?
Les responsabilités dans une guerre sont toujours partagées parce que les excès peuvent être commis des deux côtés. En 61, nous sommes entrés dans le fédéralisme, pour ensuite entrer dans l’unification 11 ans plus tard en 72. Et depuis cette date, il y a une frange de Camerounais qui disent, qui sentent une sorte de négligence. Ils vous disent qu’ils subissent l’hyper centralisme de l’Etat. Et c’est d’ailleurs pour cela que nous, nous proposons un Etat régional, un peu comme la France, l’Espagne, l’Italie, qui sont des expériences qui font leurs preuves. Les Anglophones vous disent depuis longtemps que le système éducatif pose problème, que le système judiciaire pose problème, qu’il est inacceptable que, pour le reprofilage, de 10 kilomètres de routes en terre, à 700 kilomètres de Yaoundé, on attende six mois parce que la décision doit être prise à la présidence. Voilà le problème de fond.
Quand l’opposant Joshua Osih déclare « le président Biya ne comprend rien au Cameroun. Il passe le plus clair de son temps à l’étranger et il pense qu’envoyer l’armée peut régler le problème de l’ouest anglophone ». Vous êtes d’accord avec ce qu’il dit ou pas ?
Je crois que le président Biya comprend bien ce qu’est le Cameroun. C’est quelqu’un, alors qu’il avait trois ans de moins que moi, en 1968, qui cumulait déjà les fonctions de secrétaire général à la présidence de la République et de directeur de cabinet civil. En revanche, il y a autre chose. Ce n’est pas la méconnaissance ou l’ignorance de la situation. C’est l’indifférence qui est inacceptable. C’est la méchanceté, c’est la condescendance qui est inacceptable. Lorsque votre pays est en souffrance, alors qu’un train vient de tuer, parce qu’il a déraillé, des centaines de personnes, et d’autres qui sont blessées, c’est cette condescendance qui veut que nous ne vous montriez jamais intéressé. Voilà la clé du problème. Ce n’est pas qu’il est ignorant, c’est qu’il est méprisant vis-à-vis de son pays, vis-à-vis de son peuple.
Vous appelez à un Etat régional. Vous ne pensez pas que le fédéralisme soit la solution pour l’ouest anglophone ?
Le fédéralisme pourrait être une solution. Mais je dis, les impératifs urgents de reconstruction du Cameroun nous obligent à nous dispenser de formules dispendieuses. C’est surtout la superposition institutionnelle qui me pose problème parce que, si vous rentrez dans le fédéralisme à deux, à quatre ou à dix, c’est que vous avez trois cours suprêmes, vous avez trois ordres judiciaires, vous avez trois ordres politiques, trois parlements, et la mise en place de tout cela vous prend plus de temps. Ce que nous proposons en réalité, c’est une forme de fédéralisme : entre le fédéralisme, la confédération, le régionalisme, la trame de fond est exactement la même, parfois il s’agit simplement de différences sémantiques. Moi, je veux faire de la commune la clé de voûte du développement.
Au Cameroun, il n’y a qu’un seul tour. Or vous êtes huit candidats face à Paul Biya. Est-ce que vous n’êtes pas battus d’avance ?
Pas du tout parce qu’il y a bientôt trente ans [en octobre 92], alors qu’il y avait treize candidats et pas des moindres, il y a quelqu’un qui avait gagné. Il s’appelle John Fru Ndi, cela n’a jamais été proclamé officiellement, mais la vérité nous la connaissons.
Vous pourriez vous désister pour le candidat Joshua Osih, qui est le successeur de John Fru Ndi pour le Social democratic front (SDF) ?
Pas seulement pour Joshua Osih. Même au profit d’un autre candidat, c’est une position que j’exprime depuis longtemps. J’ai envoyé des correspondances écrites à chaque candidat. Malheureusement, la réponse qu’ils vous donnent à votre correspondance, c’est que vous êtes jeune, que vous avez 38 ans, que vous n’avez pas d’expérience. Donc vous devez tout simplement vous disqualifier au profit de l’un d’entre eux. Je considère que c’est un mépris vis-à-vis de ma personne, de ma génération, de toutes ces personnes qui croient en moi parce qu’en fait, 65% de la population camerounaise a moins de 45 ans.
Donc vous ne vous désisterez pas pour le candidat SDF, Joshua Osih ?
Mais je suis en train de vous dire que je pourrais me désister dans le cadre d’une concertation. Mais il faudrait que lui aussi et les autres soient disposés à se désister en ma faveur.
Qu’est-ce que vous répondez à ceux qui disent que vous êtes un « sous-marin du régime » et que votre candidature vise à diviser un peu plus l’opposition face au président sortant, Paul Biya ?
Je dis que ce sont des balivernes sur lesquelles je préfère ne pas m’attarder. Ça encore, c’est un mépris vis-à-vis de moi, un mépris vis-à-vis de ceux qui me soutiennent. Je ne suis le pion de personne. Je ne roule pour personne. Et je puis vous dire que le 7 octobre prochain, je serai élu président de la République.
Et pensez-vous, comme l’un des autres candidats de l’opposition, Maurice Kamto, qu’il y a quand même des sous-marins de Paul Biya qui sont actuellement candidats pour diviser un peu plus l’opposition ?
Je ne me permettrais pas d’insulter les autres candidats. Ça participe d’un orgueil, d’une condescendance, d’un mépris qui sont en partie à l’origine de la situation du Cameroun. Moi, je ne suis pas étonné que quelqu’un qui a été ministre de Paul Biya manifeste une telle condescendance vis-à-vis des autres.
RFI – Par Christophe Boisbouvier