Accusés de complicité d’actes de terrorisme, ils étaient absents de l’audience du tribunal militaire du 18 octobre 2021. Les conseils des prévenus n’ont toujours pas reçu de la part des autorités judiciaires les explications sur le lieu où sont retenus leurs clients.
L’affaire ministère public contre Fonge John, Tita Tebid et Acheshit est classée quatrième au rôle de l’audience criminelle du 18 octobre 2021 au tribunal militaire de Yaoundé. Il est 11h lorsque cette procédure judiciaire où les accusés comparaissent pour complicité d’actes de terrorisme est enrôlée en présence des avocats des trois prévenus en détention depuis 2017 à la prison centrale de Kondengui.
L’audience criminelle est conduite par la colonelle Abega Mbezoa, présidente du tribunal militaire. Les prévenus ne répondent pas à l’appel du tribunal qui leur demande de rejoindre le box des accusés. Ils ne sont pas dans la salle d’audience. Depuis plus d’une semaine, leurs avocats et leurs proches n’ont pas de leurs nouvelles. Pourtant ils sont en détention provisoire et attendent d’être jugés.
Me Amungwa Tanyi, avocat des trois jeunes prisonniers, va, en leur absence, prendre la parole pour expliquer que depuis le 13 octobre 2021, ses clients ne sont plus à la prison centrale de Kondengui. L’avocat parle d’un enlèvement : « Madame la présidente, je suis surpris de savoir que vous ne savez pas exactement où se trouvent mes trois clients. J’ai appris des autorités pénitentiaires que les officiers de police sont arrivés dans la nuit du 13 octobre à la prison pour les chercher. Ces autorités policières les ont amenés à un endroit que j’ignore toujours. On m’a dit à la prison que mes clients sont allés à la direction de la police judiciaire, ensuite au tribunal militaire, puis au secrétariat d’État à la défense. J’ai fait le tour de ces trois administrations sans trouver leurs traces », affirme l’avocat.
Face à cette remarque de l’avocat, la présidente du tribunal expliquera à son tour qu’elle apprend la nouvelle de la « disparition » des trois détenus par leur avocat. L’avocat des trois prévenus en attente de jugement depuis 2017, a saisi depuis le 15 octobre 2021 le procureur général près de la Cour d’Appel du Centre pour l’informer de cette situation.
Déportation des détenus
Me Amungwa Tanyi, avocat des présumés sécessionnistes, parle d’un enlèvement dont ses clients ont été victimes de la part des autorités judiciaires « Lorsque j’ai rencontré le commissaire du gouvernement du tribunal militaire, il m’a fait comprendre que les détenus sont à leur disposition. J’ai obtenu la même réponse au niveau du service central des recherches judiciaires au secrétariat d’État à la défense. Depuis que ces gens ont été déportés de Kondengui nous ne savons pas où ils sont. C’est regrettable que l’avocat que je suis soit incapable de dire où se trouvent mes trois clients. Si l’État pense qu’on peut sortir des gens de la prison à l’insu des avocats pour résoudre la crise anglophone, qu’on libère tous les détenus ! Il n’est pas normal que l’État viole les droits nationaux et internationaux concernant la situation des détenus dans nos prisons », ajoute Me Amungwa Tanyi qui dénonce l’instrumentalisation de la justice à des fins politiques surtout en ce qui concerne les personnes détenues dans le cadre de la crise dans les régions du Nord-Ouest et Sud-Ouest.
D’après le conseil des prévenus le comportement des autorités pénitentiaires va en violation de l’article 10 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, lequel dispose : « Toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine ». Me Amungwa estime que ses clients sont victimes d’une déportation qui peut entraîner une disparition forcée. Le 15 octobre 2021, nous nous sommes rendus à la prison centrale de Kondengui pour avoir les explications des responsables sur la situation des trois détenus. N’ayant pas pu accéder au portail principal à cause de l’indisponibilité du régisseur, il nous a été demandé d’aller rencontrer le commissaire du gouvernement pour avoir plus d’information. Au cours de l’audience tenue le 18 octobre dans laquelle l’affaire des trois présumés sécessionnistes devaient comparaître, le commissaire du gouvernement n’a pas pu dire où se trouvent les détenus.
Procédures de transfert bafouées
Me Hyppolite Meli, avocat au barreau du Cameroun affirme que le transfert d’un détenu vers une autre prison obéit à une procédure bien connue. Il s’agit de l’article 21 du décret N°92/O52 du 27 mars 1992 portant régime pénitentiaire au Cameroun. Cet article dispose : « Les prisonniers peuvent sur décision du ministre chargé de l’administration pénitentiaire être transférés d’une prison à une autre en vue d’une utilisation judicieuse de la main d’œuvre pénale, pour des raisons de sécurité ou de santé ou sur demande motivée. L’exécution de la décision de transfèrement incombe aux services de l’administration pénitentiaire ».
À en croire l’avocat, c’est le délégué régional de l’administration pénitentiaire qui est compétent pour transférer un détenu en avisant au préalable l’intéressé, ses avocats et surtout en leur donnant la raison du transfert. « Mais sortir les prisonniers d’une maison d’arrêt à un autre lieu sans documents n’est qu’une déportation », souligne l’avocat qui ajoute que suite à la mutinerie survenue en 2019 à la prison centrale de Kondengui, plusieurs détenus anglophones et ceux du MRC (Mouvement pour la renaissance du Cameroun) avaient été déportés dans d’autres maisons d’arrêt. Sauf que jusqu’à présent il reste difficile de savoir la destination qu’on a fait prendre aux trois détenus anglophones.