Le gouvernement camerounais a publié mardi 17 janvier un arrêté qui rompt unilatéralement le processus de “dialogue” engagé et rend illégales toutes les activités des principales organisations de la société civile anglophone qui rassemble depuis quelques semaines enseignants, étudiants, et avocats grévistes.
C’est somme toute une réaction prévisible de la part d’un régime formaté à la répression, qui confère ainsi maladroitement la qualité de prisonniers d’opinion à tous ces leaders de la société civile anglophone interpellés hier et désormais séquestrés à Yaoundé, bien loin de leurs régions.
Il y arrive toujours un moment où les régimes totalitaires commettent le zèle répressif de trop, poussant y compris les plus modérés des contestataires à embrasser des thèses et revendications qui n’étaient pas les leurs à l’origine.
Espérons que le Cameroun n’est pas dans ce cas de figure et que chaque partie saura revenir à l’apaisement nécessaire pour la préservation de l’unité nationale.
Joël Didier Engo, Président du CL2P
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Au Cameroun, dans les régions anglophones, la crise se durcit
Lundi et mardi 17 janvier, les boutiques, restaurants, boulangeries, marchés et autres lieux de grand rassemblement du Nord-Ouest et Sud-Ouest, les deux régions anglophones du Cameroun, engagées dans un bras de fer avec le pouvoir central depuis plus d’un mois, sont restés fermés. Deux nouvelles journées de « ville morte » décrétées par le consortium constitué d’avocats, d’enseignants et de membres de la société civile anglophone (Cameroon Anglophone Civil Society Consortium, CACSC), ont donc été bien suivies par la population. Dans les rues de Bamenda, chef-lieu du Nord-Ouest, quelques jeunes avaient même dressé des barricades et ont été dispersés à coups de gaz lacrymogènes par la police.
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Face à cette mobilisation, le gouvernement, dont les négociations avec les grévistes n’ont pas abouti jusqu’ici, a interdit dans la soirée de mardi, via un arrêté ministériel, le CACSC, chef de file de la contestation, et le Southern Cameroon National Council (SCNC), mouvement sécessionniste réclamant l’indépendance de la partie anglophone. « Il n’y aura donc ni fédéralisme, ni sécession », a tranché Issa Tchiroma Bakary, le porte-parole du gouvernement, au cours d’une conférence de presse tenue mardi en soirée. Il a précisé que le gouvernement avait répondu aux principales revendications des grévistes, passés selon lui de « légitimes porteurs de revendications » à « d’irréductibles contestataires, mus par des visées politiciennes ». Le texte indique que « toutes activités, réunions et manifestations lancées ou soutenues » par les deux organisations sont interdites et que « les contrevenants à la mesure d’interdiction sont passibles de poursuites judiciaires ».
Plusieurs sources annonçaient mardi soir, l’arrestation des chefs du Consortium ainsi que de jeunes militants. « Le président du CACSC a été arrêté à Buéa ainsi que des jeunes à Bamenda », a assuré Wilfred Tassang, secrétaire exécutif de la Cameroon Teachers Trade Union (CATTU) et membre du CACSC. « Je n’ai pas encore connaissance de ces arrestations, a déclaré au Monde Afrique un haut responsable de la police. Nous menons encore nos investigations. »
Trop de liberté
La situation se tend toujours plus. Des interruptions d’Internet dans la zone anglophone dès mardi soir ont été constatées. Par ailleurs, l’interdiction d’émettre, depuis le 10 janvier, de l’une des radios les plus écoutées de Bamenda, Radio Hot Cocoa (FM94) ajoute au climat de reprise en main par les autorités de Yaoundé. Le préfet du département de la Mezan dont dépend la ville, Pierre René Songa, sur ordre du gouverneur de la région du Nord-Ouest, a décrété son interdiction au motif d’« incitation à la violence, à la haine et à la désobéissance civile ». Les habitants, habitués à intervenir dans des émissions où les auditeurs ont la parole, ne peuvent donc plus exprimer leur « ras-le-bol » face aux « injustices » dont ils se disent victimes en tant qu’anglophones.
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Au siège de la radio, au quartier Nitop6, le portail est grand ouvert mais l’accès aux bureaux et aux studios est fermé. Deux journalistes, regards perdus, sont assis dans la cour. « Nous sommes au chômage, lâche l’un, d’un ton blagueur. Tout s’est déroulé en pleine émission. Ils nous ont fait sortir et ont fermé » alors que l’émission quotidienne « Pidgin News » venait à peine de débuter.
Les autorités reprochent à Hot Cocoa de donner trop de liberté à ses auditeurs. Le programme incriminé, le « Biggest Breakfast Show » (BBS), a lieu chaque matin. Lors de l’émission du 6 janvier, les auditeurs devaient réagir sur le thème : « Allez-vous envoyer vos enfants à l’école ? » le 9 janvier, annoncé comme une nouvelle journée « ville morte ». Une initiative que les autorités n’ont pas appréciée.
« Je ne suis à la tête de la radio que depuis deux semaines, estime Gidéon Taka, directeur général de Hot Cocoa. Mais s’agissant de la qualité de nos émissions, je crois que les autorités ont raison. Dans les programmes, les auditeurs appellent pour dire n’importe quoi et dans ce moment de grève, ça envenime les choses. De plus, beaucoup de nos journalistes ont besoin de formation. » Une position qui sonne comme une trahison pour les journalistes. Gidéon Taka, ancien journaliste de la Cameroon Radio and Television (CRTV, média d’Etat), affirme cependant que, grâce à son intervention, le Conseil national de la communication (CNC), organe de régulation camerounais, a décidé de lever la suspension, exception faite de l’émission BBS. La reprise pourrait prendre du temps, selon le directeur général, car si le CNC lui a annoncé la nouvelle, la procédure est longue.
« On ne dit plus les choses facilement »
Pour des journalistes de Hot Cocoa rencontrés par Le Monde Afrique et dont aucun n’a souhaité s’exprimer à découvert, leur radio ne sera plus jamais la même. « Dans la rue, un monsieur m’a interpellé et m’a menacé : “Fais attention à ce que tu dis sur les ondes. On sait où tu vis et les autres aussi savent”, s’inquiète un journaliste. On ne dit plus les choses facilement. » Pour l’un de ses collègues, la radio ne sera plus la « meilleure des meilleures » car, tout ce qui sera dit désormais « sera très contrôlé » de crainte d’une nouvelle suspension. « Avec le comité, nous allons nous asseoir après la réouverture pour voir la conduite à tenir avec les autres programmes », confirme le directeur général. Dans les rues poussiéreuses de Bamenda, certains vivent mal cette suspension et ne cachent par leur dépit : « Vous savez, avec cette radio, on était sûrs que le gouvernement savait au moins que, dans les quartiers, les militaires, gendarmes et policiers tiraient sur nous et nous menaçaient », explique John, fidèle auditeur.
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A Jakiri, localité située à quelques kilomètres de Bamenda, la radio communautaire du même nom a aussi été fermée la semaine dernière pendant plus de vingt-quatre heures après la diffusion d’une interview d’un député du Social Démocratic Front (SDF), principal parti d’opposition. « Je n’ai rien trouvé de mal à cette interview, confie Housseini Fonyuy, jeune chef de station de 28 ans. Je l’ai diffusée après l’avoir écoutée. J’ai été très surpris d’apprendre par mon technicien l’interdiction d’émettre. »
Il a fallu l’intervention de Peter Essoka, président du CNC, qui a appelé le sous-préfet, pour que la radio soit rouverte le 13 janvier. Mais, depuis, Housseini Fonyuy a « peur » lui aussi. En dehors d’une annonce faite en direct suite à la disparition d’un enfant, le jeune homme n’est plus passé à l’antenne.