Plus que tout, la chance que nous donne la crise anglophone c’est celle de nous interroger sur le fonctionnement de nos institutions. Au nombre de ces institutions, figure une, l’armée dont personne ne parle dans la lecture des événements dans les régions anglophones mais dont le rôle est essentiel sur le champ des opérations.
Quelles sont les règles d’engagement d’une armée dans un contexte républicain et démocratique et surtout, quelle est son éthique d’engagement?
Voilà la question à laquelle nous allons essayé de répondre.
Afin de bien répondre à cette question, nous allons nous faire le plus pédagogique possible.
Jusqu’ici dans la vie de notre nation, l’armée de tout temps a marché sur tout, sur la vie civile essentiellement sans qu’en la matière, on ne lui impose des limites.
Quand certains affirment qu’elle garde la nation, d’autres l’accusent d’être la dorsale sur laquelle repose le régime et sans laquelle, il serait depuis tombé. Il y a donc là clairement une ambiguïté qu’il faut aplanir: au cas où l’armée garderait la nation, elle serait au service de l’intérêt général et donc, de nous tous; au cas où elle serait commise à la défense du régime, elle se mettrait au service des intérêts privés, ce qui serait une trahison de la nation.
Qu’est-ce que l’armée en contexte républicain et démocratique?
Une armée, en contexte démocratique et républicain doit être garante du respect de l’éthique républicaine et démocratique. En cela, elle se positionne en tant que gardienne de nos valeurs. Pour ce faire, en plus d’être imprégnée de nos valeurs, elle doit être intègre afin de pouvoir résister aux forces du pouvoir et d’argent qui essèment la société.
Notre armée a donc deux problèmes: sa mauvaise formation civique et son manque d’intégrité.
À le dire, je ne lance pas la pierre seulement sur elle.
En effet, nous ne pouvons raisonnablement donner tant de pouvoir à une institution sans nous assurer de sa bonne régulation. À ce propos, nous sommes tous fautifs, les intellectuels surtout qui n’ont pas vraiment questionné cette institution.
De la mauvaise formation.
Nous héritons notre armée de la colonisation puis, de la dictature où elle était au service d’un ordre social, politique et économique affilié à un clan, au groupe socialement dominant institué par le colon. Sa perception de la société a-t-elle donc évolué alors que le contexte est aujourd’hui différent? Sommes nous sortis de l’armée coloniale au service du clan pour une armée républicaine au service de tous? Je me permets d’en douter. C’est donc un truisme que de dire que notre armée est mal formée et inadaptée au contexte socio-politique actuel.
Comment doit donc être l’armée? L’armée doit être garante de l’éthique républicaine et démocratique.
Selon Platon, la république est un idéal d’organisation de la cité (polis) où ses habitants (citoyens) sont égaux. Cette égalité s’observe en ce qu’ils sont soumis aux même droits et aux mêmes devoirs selon l’étymologie de république: respublica, la chose de tous.
La régulation de la cité (polis), se fait à travers la politique qui est l’art de gérer, de bien gérer la cité. Dans notre cas, le mode de régulation politique est la “démocratie”, elle qui veut que le peuple soit le souverain et la seule cause du pouvoir.
L’armée est donc là pour veiller sur:
– l’intégrité de la cité (pays) notamment en assurant l’inviolabilité de ses frontières;
– la république qui est cet idéal qui garantit l’égalité de tous les citoyens en droits comme en devoirs;
– la démocratie qui fait du peuple le seul souverain dans la dévolution du pouvoir.
Notons qu’en dehors de sa première mission à savoir la protection du territoire, l’intervention de l’armée pour les deux dernières est extrèmement rare, voire même impossible en contexte de démocratie puisque la régulation du jeu politique est si pleine de manière à rechercher en permanence cet équilibre. Il dysfonctionne chez nous justement parce que le jeu politique n’est pas sain, ce qui structurellement donc plombe la gouvernance sociale, économique, culturelle, artistique, sportive, éducative, agricole, etc. La conséquence en est l’insatisfaction des besoins des citoyens.
Comme vous pouvez le voir, le rôle de l’armée est donc essentiel en république et en démocratie car, étant un rôle d’arbitre, de régulateur. La formation de nos officiers et officiers supérieurs le leur présente-t-il? Permettez-moi d’en douter!
En effet, depuis le retour de notre pays au pluralisme politique, l’armée s’est toujours érigée en fossoyeuse de la démocratie par son immixtion permanente dans le champ politique en faveur du camp que tout le monde connaît. C’en a fait une armée sectaire, une armée clanique.
La conséquence sur la vie publique en a été la sclérose et la stagnation de notre évolution politique, sociale et économique. La concurrence a été bridée, nous semblons même d’ailleurs reculer.
Dans le conflit en zone anglophone, le problème posé tient comme en février 2008 à la qualité de la gouvernance. L’armée donc en qualité d’arbitre se devait de laisser jouer les voies de régulation socio-politiques et même de les imposer aux acteurs en tant que de besoin. Contre quoi, son intervention pour le même camp est en train de nous précipiter vers une guerre civile.
Cette situation arrive certes à cause d’un déficit de formation de son haut commandement, mais davantage du fait du manque criard d’intégrité dans notre armée.
Ce dernier aspect fera l’objet de notre seconde sortie sur ce sujet.
Par Leonide Mfoum