Cameroun: «La très grande majorité des anglophones sont paisibles»
La tension est montée d’un cran depuis quelques jours dans les régions anglophones du Cameroun. Si la journée a été calme aujourd’hui, le couvre-feu a été décrété à Bamenda après la mort de quatre gendarmes dans des attaques attribuées à des sécessionnistes. Les enquêtes se poursuivent pour identifier les auteurs de ces faits. Pas de réaction officielle à Yaoundé mais tous les regards se tournent vers les sécessionnistes anglophones à l’encontre desquels des mandats d’arrêts internationaux ont été lancés. Est-ce que l’on assiste à une radicalisation de ce mouvement sécessionniste dans les régions anglophones du Cameroun ? Alexandra Brangeon a posé cette question à Richard Moncrieff, chercheur à l’International Crisis Group.
Par Alexandra Brangeon– RFI
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Cameroun – Crise anglophone : l’économie au ralenti
Depuis près d’un an, l’activité économique tourne au ralenti dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest. La suspension de la connexion internet dans ces régions a fortement pénalisé les sociétés locales. Les start-up, les entreprises de téléphonie mobile et les banques, entre autres, installées dans la ville de Buea dans le Sud-Ouest, considérée comme le hub du Cameroun, ont payé le lourd tribut, même si Paul Biya, le chef de l’État camerounais, a ordonné la restauration de la connexion internet le 20 avril 2017. Plusieurs jeunes entrepreneurs digitaux avaient alors déserté leurs villes natales pour mener leurs activités à Douala, dont la fondatrice d’ActivSpaces, le premier incubateur du Cameroun, et Mambe Churchill Nanje, le fondateur de Njorku, un moteur de recherche d’emplois en Afrique. « Cette coupure d’Internet nous a fait perdre beaucoup de contrats et d’opportunités », confie ce dernier. Même cri de détresse dans la « Silicon Mountain » à Limbe. Les start-up sont loin d’être les seules touchées, les grosses entreprises et les multinationales également.
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Des revendications légitimes qui se sont radicalisées
Novembre 2016-novembre 2017. Cela fait exactement un an que les revendications des enseignants et des avocats anglophones du Cameroun ont tourné au vinaigre. Considérés comme marginalisés, ils réclamaient un meilleur traitement, au même titre que leurs confrères francophones. La majorité de leurs revendications ont été jugées légitimes, non seulement par les organisations de la société civile, mais également par les pouvoirs publics, qui ont répondu favorables à certaines de leurs doléances. La situation semblait être sous contrôle jusqu’à ce qu’une autre vague de protestataires, manipulés par une poignée de ressortissants anglophones résidant en Occident, a vu le jour dans ces deux régions. Les leaders ont affiché leurs ambitions : ils prônent la séparation des régions anglophones du reste du pays. D’autres sont plutôt favorables au dialogue pour un retour au fédéralisme. Deux options que le président Paul Biya n’est pas prêt d’accepter.
« Le Sud-Ouest est incontestablement la région la plus importante par sa production de pétrole et ses exploitations agro-industrielles »
Résultat, si le chef de l’État a rétabli la connexion internet, les négociations entre les séparatistes, aujourd’hui divisés, et le pouvoir central semblent dans l’impasse. Cette paralysie ne bénéficie pas aux opérateurs économiques, dont les pertes financières se chiffrent actuellement à plusieurs milliards de francs CFA. Les pertes douanières et fiscales ne sont pas encore évaluées, encore moins celles enregistrées par les multinationales, les banques et les petits commerçants, etc. exerçant dans les localités. Tous apprennent pour l’instant que leurs activités sont en baisse. Des pertes d’autant plus dommageables que ces régions sont considérées comme particulièrement riches. « Le Sud-Ouest est incontestablement la région la plus importante par sa production de pétrole et ses exploitations agro-industrielles telles que la CDC, Pamol, etc. Cette région représente à elle seule pratiquement 45 % des recettes en devises », explique l’économiste Dieudonné Essomba. Deux régions qui constituent 17,5 % de la population camerounaise.
L’économie nationale tout entière est donc menacée. Une étude récente révèle que « 1 511 entreprises ont été créées dans ces deux régions depuis 2011 ». Le sous-sol de la zone fournit l’essentiel de la production nationale de pétrole brut (Rio Del Rey). Il est également propice à la création de plantations des cultures de rente. Le Sud-Ouest est également la région qui produit le plus de cacao au Cameroun. Cette crise impacte « négativement les exportations de cacao [génératrices de devises] et par conséquent la balance des paiements », apprend-on. Soulignons que le Cameroun est en pleine campagne cacaoyère.
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Un Cameroun face à plusieurs crises
« Le plus regrettable, juge un opérateur économique membre du patronat camerounais, c’est que cette crise apparaît à un moment où le pays fait déjà face à de nombreuses crises. » En effet, en plus d’une crise sécuritaire, avec Boko Haram qui continue de sévir dans le Nord, le Cameroun connaît une crise financière aiguë à la suite de l’impact de la conjoncture internationale (chute des cours des matières premières sur les marchés) et qui a conduit le pays à faire appel au FMI. L’Institution a inscrit le Cameroun, comme trois autres pays de la zone Cemac au bord de la banqueroute, dans un programme de réajustement budgétaire. Ceci étant dit, grâce à la diversification de son économie, le pays fait preuve d’une réelle résilience qui lui permet de rester la première, et la plus solide, économie de la région. Avec des progrès salués par le dernier rapport de la Banque africaine de développement (BAD) qui souligne que « les autorités ont mis en œuvre des mesures visant à accroître les recettes, à améliorer la transparence de l’exécution du budget, à renforcer la gestion de trésorerie et à maintenir la stabilité du secteur financier ». Le rapport souligne toutefois « la nécessité de mettre en œuvre sans retard des mesures pour renforcer le secteur financier, améliorer le climat des affaires pour favoriser l’investissement du secteur privé et la diversification de l’économie, et atteindre une croissance plus inclusive ».
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« Préserver l’unité du Camerounais est dans l’intérêt de tous »
En attendant, les opérateurs économiques craignent que la crise anglophone prenne de l’ampleur à l’approche de l’élection présidentielle, prévue en 2018. « Le problème, juge le membre du patronat, c’est que des deux côtés nous avons eu des déclarations excessives qui ont conduit à la radicalisation du mouvement et aux violences de ces derniers mois. D’un côté ceux qui réclament la séparation ont été excessifs, mais de l’autre, certains ministres du gouvernement également. » L’urgence, considère-t-il, est d’aller vers l’apaisement, dans l’intérêt de tous. « Il faut faire comprendre aux populations des régions anglophones que préserver l’unité du Cameroun est dans l’intérêt de tous. Y compris des Anglophones, contrairement à ce que peuvent leur faire croire les séparatistes. Mais pour cela, le gouvernement doit leur apporter des preuves concrètes. Avec des projets d’investissements dans cette zone qui, il faut l’admettre, a été négligée. »
C’était en l’occurrence le message porté par le pouvoir central à l’occasion de l’anniversaire de l’accession à la magistrature suprême de Paul Biya, le 6 novembre dernier. Une fête nationale célébrée chaque année en grande pompe par les membres du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), le parti au pouvoir. Mais selon les médias locaux, cette année la fête a pris une autre tournure, avec un slogan de circonstance : « Contribuons ensemble au renforcement de l’esprit camerounais pour la consolidation de l’unité et l’intégration nationales et de la paix. »
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Cameroun: un militaire tué en zone anglophone, le 4e depuis une semaine
Le gouvernement a annoncé hier un nouvel assassinat sur des forces de l’ordre stationnées dans la zone anglophone. Des hommes armés et encagoulés ont pris par surprise un militaire avant de l’égorger. Cet assassinat est le quatrième du rang depuis le début de la semaine dans ces régions anglophones. Des actes terroristes, selon le gouvernement pour qui les responsables sont les sécessionnistes du Southern Cameroons Ambazonia Consortium United Front, en exil et contre qui des mandats d’arrêts internationaux ont été émis.
Les détails de cet assassinat ont été donnés par le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, dans une adresse diffusée à la télévision nationale. Ainsi, selon Issa Tchiroma Bakary, ce militaire « a été tué, cruellement égorgé ».
C’était dans la nuit de du 9 au 10 novembre alors que le soldat « assurait, en même temps que plusieurs de ses camarades, la garde d’un pont reliant le Cameroun au Nigeria voisin dans une localité proche de la ville de Mamfé, dans le sud-ouest », a précisé le ministre de la Communication.
Cet assassinat a porté à quatre, le nombre de décès dans les rangs des forces de maintien de l’ordre depuis le début de la semaine. Les trois premiers morts avaient été enregistrés à Bamenda et sa région entre lundi et mercredi. C’étaient des gendarmes.
Le gouvernement a tôt fait de qualifier ces actes de « terroristes » et d’en désigner comme responsables les sécessionnistes anglophones regroupés au sein d’une organisation clandestine, la Southern Cameroons Ambazonia Consortium United Front (SCACUF), et dont les principaux membres sont en exil.
Ces accusations ont été démenties par le leader de cette organisation, Sisiku Ayuk Tabe sur son compte Twitter. Il a également condamné ces assassinats, précisant que les auteurs de ces crimes étaient inconnus du mouvement.
A Buea, capitale régionale du sud-ouest, le gouverneur a aussitôt renforcé d’un tour de vis les conditions sécuritaires dans son unité administrative. Ainsi, entre autres, un couvre-feu a été instauré entre 19h et 6h du matin, la circulation interdite aux motos taxis et l’activité de chasse avec des armes à feu suspendue.