CAMEROUN: DÉCLARATION DU DR. FRIGOLIN NKE (ENSEIGNANT DE PHILOSOPHIE À L’UNIVERSITÉ) , CONVOQUÉ PAR LE RENSEIGNEMENT MILITAIRE DE LA DICTATURE (SEMIL), POUR APPEL À LA DÉSOBÉISSANCE DES SOLDATS AUX ORDRES ILLÉGAUX ET ILLÉGITIMES DU COMMANDEMENT DANS LA SALE ET INJUSTE GUERRE ANGLOPHONE
DÉCLARATION DU DR Fridolin NKE Officiel
J’ASSUME : J’AI DEMANDÉ AUX SOLDATS DE NE PAS OBÉIR AUX ORDRES ILLÉGAUX ET ILLÉGITIMES
RÉPONSE À MON ENSEIGNANT, Pr Joseph Ndzomo Molé, qui m’a reproché d’avoir refusé de déféré à la convocation du Colonel Joël Émile Bamkoui de la SEMIL
Prof. Ndzomo-Mole,
Dans vos nombreux messages ci-dessous, contenus dans les échanges suite à ma publication d’hier, qui indiquait que des éléments de la SEMIL, envoyés par le col Bamkoui, sont en train de localiser mon domicile, vous avez soutenu que je n’avais pas été conséquent en refusant de me présenter à la SEMIL. Vous avez mobilisé le modèle de Socrate pour me faire le reproche de ne pas assumer mes responsabilités de philosophe, voire de trahir cette discipline, et vous avez prédit que je vais mourir tôt.
Professeur,
Socrate est mort depuis plus de deux millénaires. L’histoire a évolué, beaucoup évolué. L’histoire va continuer d’évoluer.
Socrate n’est pas le seul philosophe qui ait existé. Il y a plusieurs modèles de Philosophes. La philosophie n’est pas une figure immaculée vénérée dans le musée imaginaire de la Critique, encore moins une relique sacrée qu’on amène à l’offertoire des brigands, des bandits et des brutes, pour contenter leurs plaisirs immondes.
Je n’ai pas suivi la tradition puriste, kantienne, comme vous. Je me suis plutôt abreuvé à la pensée révolutionnaire des Sade, des Voltaire, des Marx, des Nizan, des Sartre, des Camus, etc.
Donc, je ne pense pas (et je ne vais pas accepter) qu’on fasse allégeance à l’imposture pour moraliser les citoyens par l’exemple noble de notre exécution illégale, comme le dit en son temps Socrate.
La responsabilité du philosophe, aujourd’hui, Marx l’a fort bien élaboré, est tributaire de la conjoncture sociale et politique qui a nourri son vécu et sa pensée.
Si j’ai refusé de déférer à la convocation de monsieur Joël Émile Bamkoui, c’est parce que ce n’est pas le tribunal qui devrait me juger. Si c’était même quelqu’un d’autre à la SEMIL qui me convoquait, je serais parti. Ce n’est pas une institution qui me convoque, comme la Gendarmerie ou la Police, ainsi que vous alléguez : c’est un personnage des contes populaires nocturnes ensanglantés avec qui j’ai eu un grave différend et qui est réputé entretenir une nature lugubre (c’est ce qu’on dit, je n’en sais rien: on dit qu’il existe sans vivre. Finalement, je doute de tout ce dont dit de lui, jusqu’à son existence même).
Prof ,
Contrairement à ce que vous dites, je suis responsable de mes actes. J’ai dénoncé la torture des civils à la SEMIL ; j’ai dénoncé la guerre au NOSO et je vais en assumer les conséquences. Je ne vais pas me montrer responsable en légitimant les excès et les abus de pouvoir.
Devant une guerre injuste et sale, comme celle qui est entreprise au NOSO, non pas contre une puissance étrangère mais contre nos frères et sœurs, si on est insensible à ces cris, à ces pleurs et à ces râles de nos soldats et des nos compatriotes du Cameroon occidental, on perd la dignité qui fait de nous des hommes. Il me semble immoral qu’un philosophe digne de ce nom puisse se réfugier dans l’histoire de la philosophie pour justifier les crimes, pour soutenir une barbarie, pour chanter un patriote partisan.
Si vous aimez trop la philosophie antique, si vous voulez singer Socrate et si vous affectionnez à mort les éloges funèbres posthumes, laissez-vous mobiliser au front! Allez porter l’arme dans le maquis du NOSO!
Mais dites-moi, Socrate, défendant Athènes, s’est mobilisé contre la Macédoine, vous, Pr Ndzomo-Mole, Camerounais, vous allez vous mobiliser contre quel pays au NOSO?
Je suis d’accord avec vous :”L’appel à la mutinerie est passible de la Cour martiale, ni plus ni moins”. Mais, sachez-le, je n’ai pas demandé de prendre des armes contre la patrie : j’ai rappelé qu’on ne prend jamais les dispositifs de torture et les armes du peuple contre ce peuple. Cela a d’ailleurs un nom en droit et en morale: la haute trahison !
Dites-moi donc : la mutinerie vise à renverser un régime, n’est-ce pas? À mon avis elle ne consiste pas simplement à causer des troubles au sein de l’armée. Ceux qui décident de s’attaquer à l’État de droit, en convoquant un civil, un universitaire, devant le tribunal du renseignement militaire, seraient-ils les véritables mutins, qui rêvent du pouvoir suprême ?
Vous ne vous poserez jamais cette question. Sériez-vous viscéralement partisan, anti-progressiste, philosophe organique, complice de l’ordre politique actuel? Serait-ce pourquoi tous ces engorgements, tous ces pleurs, tous ces assassinats ne vous font pas perdre le sommeil, encore moins vous distraire des vos occupations de grand-père attentionné, de de chasseur expérimenté des perdrix et de mari exemplaire?
Mais ce faisant, vous oubliez que notre office est de nous préoccuper de ce qui ne nous regarde pas, ainsi que l’a observé Sartre, c’est-à-dire parler des situations où l’on ne peut être un bon mari ou un grand-père attentionné parce qu’on a exterminé notre descendance, où l’on ne peut avoir le loisir de chasser parce qu’on est déjà là cible des chasseurs d’État, où l’on ne peut même pas jouer à la comédie du philosophe parce qu’on est davantage préoccupé à tuer les “envahisseurs” criminels, et qu’on ne peut donc se soucier du “Je pense, donc je suis” de Descartes.
Cher Professeur,
J l’assume : j’ai demandé aux hommes en armes de discriminer les ordres qu’ils reçoivent sur le champ de bataille et dans les gendarmeries et commissariat.
Et sachez que, même quand je demande aux militaires de ne pas exécuter des ordres illégaux et illégitimes, je demeure Républicain. Et un Républicain ne se soumet pas au gangstérisme juridique et au banditisme d’État
Pour terminer, Prof.
Vous me prédisez un funeste sort : ” à ce rythme, il ne mourra pas à soixante-dix ans comme Socrate”! Sachez d’abord que, généralement, les hommes de chez nous (en Afrique je veux dire) ne vivent pas vieux. En tant que penseur radical, je suis né trop vieux et mourir à un âge trop avancé serait un calvaire intenable pour moi. Je dois ruiner toute ma prolifique vie maintenant, de peur qu’elle ne prenne des rides malsaines du vieux temps.
Philosophiquement vôtre !
Fridolin NKE
Expert en discernement