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Cameroun – Célestin Djamen : « Si le bateau coule, je ne serai pas suicidaire »
Personnage atypique et ambitieux, Célestin Djamen revendique sa liberté de ton sans craindre d’aller à l’encontre de la ligne officielle du MRC. Si bien qu’aujourd’hui, c’est au sein de son propre parti que ses détracteurs sont les plus nombreux. Portrait.
Au Cameroun comme ailleurs, les cérémonies officielles sont souvent l’occasion de remobiliser les militants. Ce 13 octobre, la mise à l’eau du nouveau matériel nautique acquis par le Port autonome de Douala n’a pas dérogé à la tradition. Face à un parterre de ministres, de députés, de membres du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir) et même de chefs traditionnels tout spécialement réunis sur le quai de Bonanjo, le Premier ministre, Joseph Dion Ngute, a longuement insisté sur l’engagement politique du chef de l’État.
Un invité tout de même détonnait ce jour-là : Célestin Djamen, cadre médiatique et controversé du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC, opposition).
L’affront de trop
Le parti a évidemment peu goûté la présence en ces lieux de son secrétaire national aux droits de l’Homme et à la gouvernance, d’autant que les relations entre le pouvoir et le MRC se sont tendues ces dernières semaines : son leader, Maurice Kamto, est – de fait – assigné à résidence depuis le 20 septembre. Aucune charge ne lui a officiellement été signifiée, mais son domicile de Yaoundé et, depuis cette date, encerclé par les forces de l’ordre.
Par ailleurs, le 22 septembre, près de 500 de ses militants ont été interpellés après avoir manifesté pour demander le départ de Paul Biya. À ce jour, plus des trois quarts d’entre eux sont toujours en détention.
Célestin Djamen, lui, n’a pas participé aux manifestations. Il les a même publiquement dénoncées, au risque d’aller à l’encontre de la ligne officielle du MRC. Et à ceux qui l’accusent d’avoir « trahi » en faisant une apparition sur le quai de Bonanjo, il oppose « sa liberté de choix et de ton » – une indépendance qu’il se dit prêt « à payer le prix qu’il faudra ».
Premiers pas en politique
Né à Douala le 16 janvier 1967 de parents originaires de Bagangté, dans l’ouest bamiléké, Célestin Djamen échappe de justesse à une carrière de prêtre. En 1977, alors que son père, fervent catholique, envisage de le scolariser au séminaire Saint-Paul-de-Nylon, l’adolescent s’y oppose et fait le choix de suivre un parcours académique ordinaire au collège Saint-Michel de Douala.
Cette décision le suivra des années plus tard. Au lycée Joss de Douala, où il poursuit ses études, Célestin Djamen rencontre Lotin Samè et Emmanuel Simh. Des années plus tard, ce sont eux qui, devenus des figures du Social Democratic Front (SDF) et du MRC, l’introduiront dans leurs formations respectives.
C’est en France, où il est arrivé en 1985, que Célestin Djamen fait ses premiers pas en politique. À la faculté de droit (Paris-II Panthéon-Assas) où il est inscrit, il s’engage contre le Front national français, ce qui le conduit au Parti socialiste (PS). En 2007, il bat campagne pour Ségolène Royal face à Nicolas Sarkozy et obtient sa carte de membre du PS.
Célestin Djamen refuse cependant la naturalisation française en prévision de son retour au bercail. Il se rapproche de la diaspora camerounaise et s’engage au sein de la section française du SDF. Il devient également un acteur de la société civile et lance plusieurs associations, dont le Conseil des Camerounais de la diaspora (CCD) qui a déposé début 2010 une plainte pour « recel de détournement de fonds publics » contre le président Biya, soupçonné de s’être indûment constitué un patrimoine immobilier en France.
Un politicien acharné ancré dans l’idéologie du parti
De retour au Cameroun, il renoue avec le SDF dans l’arrondissement de Douala 1er, au coté de son ami Lotin Samè, désormais adjoint au maire. Ses camarades d’alors décrivent un « homme ambitieux », « un politicien acharné », « ancré dans l’idéologie du parti ». Cette détermination inquiète certaines figures montantes du SDF, tel Joshua Osih, qui voit en Djamen un concurrent non négligeable. Pendant plusieurs années, leurs relations resteront exécrables.
Première désillusion en 2013
Célestin Djamen veut gravir les échelons rapidement, mais connaît sa première désillusion lors du congrès du SDF d’octobre 2012. Alors qu’il est le seul candidat au poste de quatrième vice-président, le fondateur du parti, John Fru Ndi, freine son ascension en le nommant au poste moins exposé – et donc moins convoité – de secrétaire national aux droits de l’homme et des peuples.
Cette déconvenue ne l’arrête pas. En 2013, il accède au premier et seul poste électif de sa carrière à l’issue des élections locales : il intègre le conseil municipal de la mairie de Douala 1er en qualité de conseiller. Mais à l’approche de la présidentielle de 2018, la guerre de leadership fait rage au sein du SDF. Le SDF parti est traversé par des querelles de succession et Célestin Djamen, lassé, en claque la porte.
Le SDF n’est pas un parti d’élite
« Nous avions un ancrage populaire. Le SDF n’est pas un parti d’élite. Il tire sa puissance et sa légitimité de la masse : les ouvriers, les bayam-sellam… Or, avec le temps, il s’est déconnecté de ses racines », confie-t-il à Jeune Afrique.
Ses anciens camarades s’en offusquent et dénoncent des arguments « d’une vacuité affligeante ». À les en croire, s’il est parti, c’est parce que « son dossier de candidature au poste de vice-président national du parti, déposé en 2018, a été invalidé en raison du non-paiement des cotisations statutaires ».
Le voilà donc qui frappe à la porte du MRC à la veille de la présidentielle de 2018. D’emblée, ses prises de position suscitent la controverse, mais il parvient à s’y faire une place. Mais après le boycott des élections législatives et municipales de février 2020, Djamen n’hésite plus à critiquer publiquement la stratégie de son nouveau parti. « Cette décision inconséquente et illogique nous a plombés », n’a-t-il de cesse de rappeler.
Lorsque le MRC sollicite les services du cabinet international Amsterdam LLP pour défendre ses militants arrêtés lors des manifestations du 22 septembre dernier, Célestin Djamen s’indigne et juge que l’action « est sans objet ». À propos des marches proprement dites, il est encore plus dur et affirme qu’il s’agit « des mêmes stratégies qui échouent toujours ».
Les gens ne m’écoutent pas
Tancé pour avoir tiré sur son propre camp, il assume. « J’ai le sentiment que si l’on ne dit rien, le bateau va couler. Malheureusement, les gens ne m’écoutent pas », regrette-t-il. Difficile à avaler pour ses détracteurs dont la grande majorité se trouve désormais au MRC. « Ce monsieur se noie dans ses propres contradictions. Il a dénoncé l’avidité des cadres du SDF et critique le MRC qui fait exactement le contraire. Il a été un activiste de la diaspora mais critique toute action menée hors du pays. En janvier 2019, il a marché dans les rues de Douala et, un an plus tard, il estime que c’est contre-productif. Je peux comprendre sa frustration au regard de ses ambitions personnelles, mais il ferait mieux de se calmer », s’agace un militant du MRC sous le couvert de l’anonymat.
Dans le marigot camerounais, « les amitiés politiques sont souvent des haines en commun ». Célestin Djamen, qui connaît certainement cette maxime de l’écrivain suisse John Petit-Senn, s’emploie désormais à dissocier son avenir de celui de sa chapelle. Car s’il se défend d’avoir une quelconque intention de quitter le MRC, il est très clair : « Si le bateau coule, je ne serai pas suicidaire. »
Jeune Afrique|Par Franck Foute