Un peu d’histoire récente du Cameroun. Au bout de huit mois de ” villes mortes” entre mars et octobre 1991, marquées par une mise à sac des principales villes du pays et la contestation du pouvoir en place par une opposition et une société civile réclamant une Conférence Nationale Souveraine comme dans la plupart des pays africains à l’époque, Paul Biya annonce une ” Tripartite “, présidée par le Premier ministre d’alors, Sadou Hayatou. Pouvoir, partis politiques et une société civile encore digne de ce nom se réunissent donc au Palais des congrès de Yaoundé pour redessiner l’avenir du Cameroun. Le pouvoir cède sur plusieurs points : les libertés publiques, la limitation des mandats présidentiels, la mise sur pied d’un certain nombre d’institutions.
Pour le grand soulagement du pouvoir en place, la rue lâche du lest et le biyaisme est sauvé. Les années qui ont suivi ont montré l’intention qu’il y avait derrière cette manœuvre : gagner du temps, se remettre en selle et repartir.
Aujourd’hui, sérieusement ébranlé par la crise anglophone, le même pouvoir, avec la même tête, remet le même couvert. Pour le même menu. En semblant ignorer que les convives ne sont plus les mêmes… En 1992, il y avait une société civile et des partis politiques qui donnaient des mots d’ordre à des citoyens engagés. Aujourd’hui, ceux qui ont la main sur les groupes armés du Nord-Ouest et du Sud-Ouest sont invisibles. Leur leadership visible est en prison et croule sous des peines bien lourdes.
Comme M. Biya l’a dit lui-même dans son discours d’hier soir, avec qui négocier ? Quels seront les protagonistes de ce débat, sinon les mêmes notabilités qui le 20 mai et début janvier s’en vont saluer en se prosternant ” le chef” et sa femme, en mangeant des petits fours ? Comment un seul instant Paul Biya et les siens pensent-ils qu’ils peuvent débattre d’apaisement du climat politique alors que le principal opposant et plusieurs centaines de militants politiques croupissent en prison ?
M. Biya, dans son adresse, au fond, a pu adresser trois message. : le premier, à ses partisans, dont certains sont pleins de doutes, pour les rassurer de ce qu’il tient encore le gouvernail du bateau. Le deuxième, aux puissances étrangères, les États-Unis en particulier et d’autres pays anglo-saxons, afin qu’ils classent au rang de ” terroristes”, les activistes qui y agissent, et qu’ils aident son gouvernement à les traduire devant le Tribunal militaire de Yaoundé. Le troisième, au reste des Camerounais, comme pour leur dire : ” Vous voyez, on fait tout de même quelque chose”. C’est le modèle même du ” faire semblant ” utilisé pour recouvrir de vernis les problèmes. Une formule qui, hélas, ne trompe plus personne…
A l’observation, le discours prononcé hier soir l’eut été il y a trois ans, que la crise anglophone, telle que nous la connaissons aujourd’hui, n’aurait jamais été connue. Plus de 2000 morts plus tard, la solution proposée peu être taxée de ce “trop peu, trop tard”, que l’on entend souvent dans les négociations de ce type. Les hésitations observées, les précautions et le temps pris, les “conseils”, selon l’aveu même de M. Biya prouvent que cette sortie n’est pas le fruit d’une initiative de ce dernier. Il a été contraint de prendre ce risque. Le risque de cette sortie, c’est que c’est la dernière cartouche du président sur cette question. Et l’impact de la parole de ce président réélu ” par une immense majorité des Camerounais” comme il l’a encore affirmé lui même, sera mesuré à l’aune des réactions à cette adresse.
Si dès demain, les combattants en rangs serrés se pressent dans les centres de DDR, alors on comprendra. Mais si ce n’est pas le cas…
Par Haman Mana, Quotidien Le Jour