Beaucoup parmi ces prisonniers dépendent essentiellement des dons offerts par les associations. L’unique repas mis à leur disposition est jugé insuffisant en qualité et en quantité. L’État met une somme de 335 Fcfa chaque jour par détenu.
Me Amungwa, avocat de plusieurs séparatistes présumés dans le cadre de la crise anglophone au Cameroun est sollicité ce 5 juillet 2021 par un détenu au moment où l’avocat veut quitter la salle d’audience à 18h30. Ce prisonnier est au tribunal depuis 10h. Il demande que son conseil lui trouve quelques pièces pour manger une fois qu’il sera en prison. Pendant plusieurs heures passées au tribunal, il n’a rien reçu à boire ni à manger. Ils sont plus de six accusés anglophones venus au tribunal qui se trouvent dans la même situation.
« Il faut leur trouver à manger, car ils ont passé plusieurs heures au tribunal. Ils ne peuvent pas dormir sans manger. L’unique repas a été servi depuis 12h », affirme l’avocat. Kenneth, est incarcéré depuis quatre ans au quartier 3 de la prison centrale de Yaoundé. Ce prévenu n’a aucun membre de sa famille à Yaoundé qui pourrait lui apporter une assistance. La véritable difficulté pour lui concerne son alimentation. Il est issu d’une famille pauvre et c’est lui qui avait le devoir de subvenir aux besoins de sa maman et de ses deux petits frères avant son arrestation. Dimanche 11 juillet 2021, il n’a pas pu avoir son plat constitué d’un peu de riz avec du haricot. Ayant vu que le repas était insuffisant, il a préféré que ses codétenus mangent : « Nous sommes 25 personnes dans notre local. On nous donne chaque jour une petite quantité de riz et du haricot. Parfois, cette nourriture ne suffit pas pour tout le monde. Certains sont obligés de manger pendant que d’autres doivent rester affamés. Nous avons droit au repas une seule fois par jour. Chaque fois que je vais à l’hôpital, le médecin me prescrit les vitamines », affirme Kenneth.
Il ajoute que plusieurs détenus anglophones incarcérés à Kondengui dépendent généralement des dons pour pouvoir se nourrir. « Plusieurs promoteurs d’associations caritatives ont l’habitude de nous offrir des denrées alimentaires constituées de sacs de riz, d’huiles végétales et de produits de première nécessité qui nous permettent de vivre sans difficultés pendant quelques jours. Ayuk Tabe, le président de l’État imaginaire de l’Ambazonie qui est également prisonnier, a l’habitude de nous offrir à manger. Nous survivons dans cette prison grâce à notre mouvement de solidarité. Le fait d’être éloigné de nos proches durcit nos conditions de détention », explique Kenneth. Cette situation préjudiciable pour le bien-être physique et psychologique des détenus viole l’ensemble de règles minima pour le traitement des détenus. Sur la question de l’alimentation, ce texte international stipule que : « Tout détenu doit recevoir de l’administration aux heures usuelles, une alimentation de bonne qualité, bien préparée et servie, ayant une valeur nutritive suffisante au maintien de sa santé et de ses forces ».
Peur de représailles
Cyrille Rolande Bechon, coordonnatrice de l’ONG international Nouveaux droits de l’homme (Ndh), estime qu’au sujet de l’alimentation dans les maisons de détention, les détenus anglophones ne sont pas les seuls à souffrir. Ce problème est généralisé au Cameroun. Elle reconnaît que la situation des détenus incarcérés dans le cadre des troubles socio-politiques dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest est particulière, compte tenu du fait que plusieurs parmi ces détenus ne sont pas assistés par leurs proches. « Ce qui fait problème pour ces prisonniers c’est le fait qu’ils ont été déportés de leurs localités respectives pour se retrouver emprisonnés à Yaoundé. Un prisonnier doit être assisté par sa famille et son avocat. Lorsqu’il est privé de ces visites, cela constitue une violation des droits de la personne détenue. Dans le cadre de la crise anglophone, les gens ont été interpellés dans les commissariats et les brigades parce qu’ils sont venus rendre visite à leurs proches en détention. Cette situation fait en sorte que plusieurs personnes ont peur d’aller rendre visite à leurs proches dans les prisons », affirme Cyrille Rolande Bechon.
Vivre avec 335 Fcfa par jour
Un responsable de la prison centrale de Kondengui que nous avons rencontré ce 13 juillet 2021, affirme que le problème de l’alimentation des détenus se pose par le manque des ressources financières allouées par l’État pour la prise en charge des pensionnaires. Ce responsable déclare : « Nous avons à la date de ce 13 juillet 3751 détenus tous confondus qui doivent manger chaque jour avec très peu de moyens. Nous pensons que les pouvoirs publics sont attentifs à cette situation qui a déjà commencé à s’arranger. En dehors des moyens mis à notre disposition par l’État pour nourrir les prisonniers, nous recevons constamment des dons des associations qui nous permettent d’améliorer leur prise en charge ».
Notre source ajoute que la prison centrale de Yaoundé compte environ 300 personnes incarcérées dans le cadre de la crise anglophone. Me Christian David Bissou, président de la Commission des droits de l’homme et de liberté du Barreau du Cameroun estime pour sa part que la surpopulation en milieu carcéral constitue un facteur aggravant pour la nutrition des détenus. « L’État ne met pas assez de moyens pour l’alimentation des détenus. La solution pour éviter que les gens meurent de faim dans nos prisons, c’est que le décret sur les peines alternatives qui restent dans les tiroirs doit être appliqué. L’application de ce décret contenu dans notre code pénal fera en sorte qu’il y ait moins de gens en prison et les petits moyens mis par l’État pourront suffire aux autres personnes condamnées pour des crimes et autres délits », explique l’avocat.
Fabrice Dongho, nutritionniste, relève que certains prisonniers ne sont pas suffisamment nourris ; ils souffrent d’une carence en vitamines et en sels minéraux. Cette carence selon le nutritionniste affaiblit l’organisme et l’expose aux maladies comme l’hypertension, le cancer etc.