Archives: l’entretien accordé par Joël Didier Engo (photo) au journaliste Michel Biem Tong le 23 novembre 2013
Source: cameroon-info.net
Cela fait plusieurs années maintenant que vous êtes installé en France, à quoi vous occupez-vous?
Installé en France, à des périodes différentes… parce que je l’ai quittée puis retrouvée à plusieurs reprises, ce pays devenant par la force des choses une sorte de «bercail». En effet, j’arrive en France en Juin 1985 sans véritablement comprendre pourquoi mes parents ont décidé de nous y «envoyer» (ma sœur et moi), alors que je suis en pleine adolescence et que je suis parvenu à trouver mes repères relationnels et scolaires au Cameroun (précisément au Lycée Leclerc où je me sentais bien, après une certaine errance dans l’enseignement privé catholique où je n’étais pas à mon aise).
Donc mes premières années à Paris (1985–1988) sont essentiellement des années lycéennes, pendant lesquelles je découvre les rudiments de la culture française, d’une certaine diversité, l’expression des libertés individuelles et politiques, puis le militantisme lycéen pendant des grèves contre les réformes de l’éducation nationale initiées par le gouvernement Chirac de l’époque (les fameuses Lois Devaquet). Puis ce seront les années universitaires (1988– 1995) en Droit, relations internationales, et accessoirement l’art dramatique au Cours Florent à Paris.
En 1995, je commence à ressentir une réelle lassitude existentielle, une profonde exaspération idéologique avec l’arrivée de la droite au pouvoir, et je suis alors ballotté entre l’idée de retourner au Cameroun, puis la possibilité qui s’ouvre dès 1996 d’aller poursuivre un cursus MBA aux États-Unis (grâce à des accords universitaires) avec une possibilité légale de travailler. J’opte pour la seconde solution, dictée par un désir viscéral d’autonomie intellectuelle et matérielle.
Je ne reviens à Paris qu’en décembre 2001 pour constituer une équipe d’avocats pour défendre les intérêts de mon père devant les tribunaux au Cameroun. Dès 2003, je suis à nouveau aspiré par l’envie d’aller voir ailleurs, en l’occurrence en Australie (ne m’estimant pas suffisamment épanoui sur un plan professionnel à Paris) pour un poste à l’Université du Queensland (Brisbane) laissé vacant par un ancien camarade parisien. Donc à partir de 2003 je m’installe à Brisbane, et vais alterner suivant les saisons et les semestres dès 2006 avec la France, jusqu’à ma réinstallation plus ou moins définitive.
Aujourd’hui en dehors de mes engagements associatifs (l’association spécialisé dans le Droit des étrangers «Nous Pas Bouger» que je préside), mes engagements politiques (le Parti Socialiste), je suis en charge de l’évaluation des projets de recherche dans une instance académique.
Qu’est-ce-qui vous a poussé à militer dans le parti socialiste?
Je pense avoir toujours eu une certaine proximité idéologique avec ce parti, même si je me rapproche davantage des socio-démocrates européens ou des démocrates américains sur les questions économiques et financières. Jusqu’en 2006, je n’avais jamais sauté le pas du militantisme. Je le fais – comme je m’en explique dans une tribune au Figaro.fr lors de mon soutien à la candidature de François Hollande à la Primaire socialiste – à la suite d’un concours de circonstances familiales. Je devais en effet suppléer l’absence de mon épouse (militante de longue date au PS) pendant la première primaire socialiste de 2006, celle qui a vu la victoire écrasante de Ségolène Royal sur DSK et Laurent Fabius. Je soutenais alors ce dernier au sein de ma section Léon Blum du 11e arrondissement de Paris. Par la suite j’en suis devenu le Secrétaire en charge des relations extérieures jusqu’en 2011 (je démissionne du Bureau). J’ai notamment été candidat sur la liste Parisienne des régionales de 2010 sans réellement rien attendre sur un plan personnel, si ce n’est l’opportunité de m’imprégner du fonctionnement d’une grande formation politique.
Vous êtes également très actif pour la cause de Michel Thierry Atangana, le Franco-camerounais incarcéré au Cameroun depuis 16 ans pour détournement de fonds, avez–vous des rapports particuliers avec lui ?
Je suis actif pour la cause de Michel Thierry Atangana comme je l’aurais été pour tout autre compatriote (français ou camerounais) subissant le même arbitraire judiciaire. J’ai été approché par sa petite sœur dès janvier de cette année afin d’être «la plume» du comité parisien. Mais pour des raisons de disponibilité, je n’ai pu lui répondre favorablement qu’à partir du mois d’Avril. Peut-être y’ aurait-il aussi un rapprochement, une solidarité générationnelle avec un compatriote qui a caressé comme nombre d’entre nous le rêve de retourner au pays natal et qui s’est retrouvé pris dans la nasse d’un sérail auquel il n’appartenait pas, a été privé depuis 16 années de l’affection de son épouse et de ses deux garçons qu’il n’a pas vus grandir.
Sinon je n’ai pas de rapports personnels avec Michel Thierry Atangana que je pense, pour l’anecdote, n’avoir entraperçu qu’une fois lors de mon dernier séjour au Cameroun en septembre 1996, alors que notre avion était immobilisé sur le tarmac de Nsimalen et que nous attendions l’embarquement du secrétaire général à la Présidence, un certain Titus Edzoa. Je le connais aujourd’hui à travers ses réalisations et son dossier judiciaire. Par ailleurs, il se trouve que j’avais déjà essayé de sensibiliser l’opinion publique française à sa cause dans différents billets sur internet, dont une tribune publiée par Le Monde.fr en 2011.
Au regard des pièces contenues dans les dossiers d’accusation et de la trajectoire professionnelle qui est la sienne, je suis convaincu que cet homme est la victime collatérale d’un règlement de comptes propre au sérail camerounais auquel tiennent particulièrement à le rattacher ceux qui ont embastillé Titus Edzoa. Il en existe vraisemblablement d’autres comme lui, notamment Lydienne Eyoum.
Le 29 octobre dernier, la Cour Suprême a reporté l’affaire Michel Thierry Atangana au 26 novembre prochain pour citation régulière des parties, un véritable coup de massue j’imagine…
Coup de massue, pas vraiment…je connais assez la roublardise du camp d’en face, que j’ai imaginé cette possibilité, question de “gagner du temps, faire le dos rond”… la situation politique actuelle du gouvernement français y étant évidemment pour beaucoup. Par contre je sais que les deux garçons de Michel Atangana l’encaisseront plus difficilement…Bref reparti pour la prochaine fois!
Avez-vous foi en ce que cette juridiction lui donnera gain de cause le 26 novembre prochain ?
Dans l’État de dépendance institutionnelle de la Justice camerounaise, est-il encore possible d’avoir une quelconque «foi» en une instance aussi fondamentale que la Cour Suprême? J’en doute personnellement, je parlerais volontiers d’un sursaut de crédibilité après tant d’atteintes et de manquements graves à l’éthique judiciaire, aux principes élémentaires du Droit. J’espère donc un ressaisissement de la Justice Camerounaise dans son ensemble, et particulièrement sur ces dossiers dits sensibles, parce que c’est la respectabilité internationale de notre pays qui est largement entamée.
Comme j’ai eu à le dire dans une tribune récente, des signes palpables d’un desserrement d’étau nous parviennent de Yaoundé ces dernières semaines, notamment la reconnaissance par l’État du Cameroun de «l’effectivité d’enjeux financiers» spécifiques au cas Atangana (jusqu’ici occultés), qui nous permettent d’envisager son éventuelle libération
Mais bon, notre mobilisation continue et se renforce!
Parlons à présent de votre père, Pierre Désiré Engo, quelles sont les dernières nouvelles que vous avez de lui?
Exercice ô combien délicat que celui consistant à «parler de mon père», Pierre Désiré Engo, à des lecteurs camerounais! Car certains s’érigent aussitôt en inquisiteurs contre les supposés «voleurs de la république» ou me réduisent au statut réducteur de «fils de», produit de je ne sais quel favoritisme ou népotisme tropical, quand ils ne me voient pas en tortionnaire ou bourreau de tous les vieillards et retraités du Cameroun.
Comme j’ai coutume de le dire, gagner la bataille de l’opinion publique, dans un pays où l’endoctrinement tient lieu d’information pour un système totalitaire rongé par la misère endémique des populations, me semble perdu à l’avance. Les esprits ne s’y prêtent pas encore….
Alors vous vous doutez bien qu’un homme de 72 ans, qui enchaîne depuis bientôt 15 années des procès à la pelle, des condamnations, puis des peines carcérales dans des conditions les plus inhumaines et dégradantes malgré l’idée assez répandue au sein de l’opinion publique camerounaise de cellules de luxe, de quartiers VIP et autres fadaises, ne saurait être en bonne santé psychique et physique. Ce serait un comble! Les dernières nouvelles que j’ai eues de lui au mois d’août laissaient entendre qu’il souffrirait (entre autres) de problèmes de santé. Nous nous sommes (mon épouse et moi) immédiatement ouverts à la Croix Rouge, qui procède en ce moment aux démarches nécessaires.
Par ailleurs, j’en profite pour préciser qu’il en est de même pour ma mère que je n’ai plus vue depuis 2001 à Paris. Et contrairement à la médisance soigneusement entretenue, ma mère n’a pas abandonné son mari, pas plus qu’elle se serait remariée avec je ne sais quel vieil expatrié ou paysan français. Mme Engo vit au quartier Odza à Yaoundé, dans le domicile où le couple songeait à couler des années de retraite tranquille.
Avant son arrestation, à quel moment vous êtes-vous vu pour la dernière fois?
Si mes souvenirs sont exacts, nous nous sommes vus la dernière fois en septembre 1996 à Paris, alors que Pierre Désiré Engo retournait au Cameroun après la conférence du Bureau international du Travail en Suisse. Et ce fut aussi la dernière fois que nous nous sommes parlés jusqu’à son incarcération le 03 septembre 1999. Jamais plus il n’avait ressenti le besoin de rentrer en contact avec «le subversif» que je semblais (je suppose!), jusqu’à ce que je m’invite à nouveau à lui, à la suite de ses déboires professionnels et judiciaires. En gros, de septembre 1996 à Septembre 1999, au plus fort de l’activisme politique de Pierre Désiré Engo au sein du Rdpc, nous n’avions plus aucun contact.
Comment avez-vous réagi lorsque vous avez été informé de son incarcération?
Je me suis enquéri d’abord du motif de sa révocation à la Cnps, puis de sa possible incarcération via le réseau internet (un site d’information en ligne camerounais iccnet.net) alors que je vivais à San Francisco le 02 septembre 1999. Je téléphone aussitôt au domicile de Yaoundé et nous échangeons plutôt brièvement sur le sujet. Je lui demande de me faire parvenir toute la documentation nécessaire, portant aussi bien sur le ou les faits qui lui sont reprochés, ses 17 années de gestion à la Cnps, bref toutes les informations, y compris confidentielles, utiles à la compréhension du dossier. Ce qui fut fait deux ou trois jours après par courrier express. Ainsi, au moment où j’envoie ma première réaction écrite à la rédaction du quotidien Le Messager, j’ai déjà une opinion assez éclairée sur le sujet (du moins sur ce qui fait office de dossier d’accusation au Cameroun, quelques feuillets sans réelle consistance), mais aussi sur la véritable situation financière de la Cnps.
Avec le recul je pense que ma réaction à son incarcération était assez maîtrisée. Et, contrairement à certains de ses «proches» qui s’évertuaient à l’endormir dans son nouveau bagne, lui promettant une libération prochaine grâce à la «clémence» du prince, je mesurais toute la gravité des accusations et la profondeur de la disgrâce. J’avais acquis depuis tant d’années suffisamment d’élévation sur cette galaxie de marchands d’illusions et de courtisans, pour ne plus percevoir que sa bestialité: faite d’intrigues en tous genres, d’infinies mesquineries ou jalousies, et souvent de règlements de comptes, voire de crimes de sang.
Au moins avait-il fait preuve lui, Pierre Désiré Engo, de suffisamment de lucidité quelques années plus tôt, lorsqu’il m’en éloignait définitivement. Je lui serai à jamais reconnaissant.
Il a été arrêté le 3 septembre 1999 puis inculpé de détournements de deniers publics et autres émission de chèques sans provision, mais pour vous, ses ennuis judiciaires procèdent d’un règlement de comptes politique, vous le maintenez?
Je l’ai abondamment soutenu dans mes publications (certaines sont d’ailleurs disponibles avec toute la documentation sur les affaires dites Pierre Désiré Engo sur mon blog http://enjodi.lemonde.fr (rubrique «Blogroll) et j’attends toujours que mes contradicteurs démontrent le contraire.
Pour le reste je pense (c’est un avis personnel) que Pierre Désiré Engo a surtout pêché par une certaine naïveté, croyant que ses compagnons de route professionnelle et politique (notamment ceux originaires comme lui du Sud Cameroun) partageaient les mêmes idéaux de fraternité et de solidarité que lui; qu’ils étaient au plus haut niveau de l’appareil de l’État aussi solidaires qu’il l’a cru de son activisme au sein de la fondation Martin Paul Samba, et qu’ils pouvaient faire preuve de générosité et d’une certaine reconnaissance à son égard. En réalité, il n’en a jamais été. Il était et a toujours été (à mes yeux) d’abord un homme seul, malgré l’engouement populaire suscité par cette fondation dans le Sud Cameroun. Aujourd’hui, après presque 15 ans de bagne, son élimination politique est largement consommée. Peut-être que certains de ses anciens «camarades» et frères du village pourraient se dire que leurs objectifs ont été atteints, bien au-delà de leurs espérances, et que le meurtre physique ne peut être la marque d’une quelconque «maturité démocratique». Le temps serait venu de tourner définitivement la page.
Lorsque vous parlez de «ses compagnons de route professionnelle et politique», à qui faites-vous allusion ?
Ils seraient si nombreux pour que je me mette à les énumérer, ou que j’en indexe un en particulier, sans donner ou laisser l’impression désagréable d’une aigreur ou d’une frustration; de surcroît à l’encontre de personnalités qui ne sont parfois plus de ce monde. En réalité Pierre Désiré Engo aurait dû se méfier, voire s’inquiéter des absences répétées et des silences retentissants du premier cercle (certains diraient les intimes) de Paul Biya aux festivités de la Fondation Martin Paul Samba. J’ai acquis la conviction qu’au moment où celles-ci se transportaient d’une ville du Sud Cameroun à une autre, ces «grands et anciens camarades» étaient déjà entrain de dessiner les concours de la descente aux enfers judiciaire et carcérale de mon père, quelque part dans les résidences et les salons huppées du «Pays organisateur». Je suis encore étonné qu’il ne l’ait pas vue venir. Pourtant, je l’avais prévenu, dans un courrier acerbe, avec des mots parfois virulents (je le reconnais et je lui présente toutes mes excuses), mais j’avais attiré son attention sur ces risques, de mon lointain exil à San Francisco… sans jamais recevoir la moindre réponse.
Il se dit que l’un d’eux avait envoyé un message moqueur à votre père après son incarcération, de qui s’agit-il?
Je ne pense pas que je trahirais la mémoire de l’illustre Léopold Ferdinand Oyono si je confirme qu’il s’agissait effectivement de lui.
Un ancien responsable des services secrets camerounais aujourd’hui exilé politique en France déclarait ceci dans une interview il y a quelques années: «Tous ceux qui sont interpellés dans l’Opération Épervier… ont une histoire de complicité soit avec Paul Biya, ou avec sa famille directe», est ce le cas de votre père ?
Je ne saurais dater le début de la relation (dite de confiance réciproque) entre Pierre Désiré Engo et Paul Biya. L’anecdote voudrait qu’ils se soient rencontrés dans les années 70 autour d’une partie de «songo’o» chez un dignitaire Bulu à Yaoundé. Mais je ne saurais le confirmer.
En réalité mon père sera resté proche de Paul Biya (notamment de l’ex-Première Dame Jeanne Irène Biya) aussi loin que mes souvenirs puissent remonter. Ce qui n’enlève rien à ses mérites intrinsèques, notamment à son parcours professionnel exemplaire dans la haute administration du Cameroun. Bref, ils étaient tous les deux, jusqu’à la transition politique du 06 novembre 1982, les seuls ressortissants du Sud qui siégeaient dans le gouvernement Ahidjo. Dit en termes clairs, Pierre Désiré Engo n’a jamais été une «créature» de Paul Biya. D’autres ne pourraient pas en dire autant (notamment dans le Sud!). Il s’est par la suite suffisamment investi dans la réussite de la transition de ce régime, puis de sa pérennité, au point parfois de considérer ce sérail comme sa famille. Le comble de l’ironie aujourd’hui est de voir ses enfants c’est-à-dire moi et mes frères (précisément parce que nous portons son nom) être affublés de tous les noms d’oiseaux, de tous les torts, de tous maux alors que celles et ceux qui ont constitué sa «garde rapprochée» pendant toutes ces années, et qui ont surtout profité de ses largesses (y compris à la CNPS)… n’ont jamais été inquiétés. Bien au contraire, «le système» (comme disent trivialement les Camerounais) les a particulièrement bien récompensés et leur est toujours si reconnaissant!
De la connaissance que j’ai de ce microcosme plutôt malsain, il me semble (c’est une interprétation éminemment personnelle) que la nature d’un régime fort comme celui-ci, singulièrement de celui qui l’incarne, c’est de broyer lentement et méthodiquement toutes celles et tous ceux (parfois dans son intimité) qui l’ont vu ou connu de l’intérieur dans une certaine fébrilité, une grande fragilité, pour ne pas dire dans son plus simple appareil. «L’Opération Épervier» obéit aussi à cette logique machiavélique, du moins pour certaines de ses grosses prises (Edzoa, Engo… Marafa, Inoni, Mebara et j’en passe), notamment quand elles ne sont pas des parents en ligne directe du dictateur, sans oublier indépendamment de celles et ceux qui sont d’office mis «au garage», privés de toute marge de manœuvre individuelle ou politique.
Il se dit que vous avez plaidé la cause de Pierre Désiré Engo devant les instances internationales, où en êtes-vous avec cette démarche ?
En réalité, l’initiateur de cette procédure internationale devant le Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies n’est autre que Pierre Désiré Engo, avec l’aide de Maître Charles Taku, Chef traditionnel camerounais, Avocat de la défense au Tribunal Pénal International sur le Rwanda et avocat devant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples.
Cette procédure menée dans le cadre du Pacte international relatif aux Droits Civils et Politiques a connu un dénouement plutôt favorable pour le plaignant Pierre Désiré Engo, puisque suivant les termes des constatations adressées au Gouvernement du Cameroun en Juillet 2009, le Comité des Droits de l’Homme:
1) établit la violation du Pacte International Relatif aux Droits Civils et Politiques par la République du Cameroun·
2) Lui intime de rendre ses constations publiques et de fournir un délai utile au plaignant Pierre Désiré Engo résultant à sa libération immédiate·
3) Souhaite recevoir de l’État du Cameroun, dans un délai de 180 jours, la publication desdites constatations et les renseignements sur les mesures prises pour leur donner effet.
De mon côté, mes actions ont essentiellement consisté (et continuent d’ailleurs) à plaider sa cause auprès des instances politiques internationales, à constituer une équipe d’avocats français du Cabinet Lombard et associés, ainsi qu’à éclairer l’opinion publique (surtout internationale) sur les différents contours de la cabale judiciaire en cours au Cameroun. Oui, effectivement je ne désarmerai jamais sur les principes, notamment ceux relatifs au respect de la présomption d’innocence systématiquement bafouée, de l’équité des procès (jamais respectée), ou du respect de l’intégrité physique et morale des présumés et condamnés.
Certains journaux camerounais ont rapporté que l’argent détourné par Pierre Désiré Engo transitait par votre compte bancaire à l’étranger et par celui de votre sœur, que répondez-vous à cela ?
C’est une rumeur persistante au Cameroun, comme toutes celles qui me prêtent à intervalle régulier la détention de comptes bancaires à l’étranger (tantôt en France, tantôt en Australie… pourquoi pas au Vanuatu?) garnis en milliards de Fcfa détournés à la Cnps. Bref, ces milliards me suivraient depuis au moins 15 années, partout où le régime de Yaoundé et ses charlatans reniflent ma présence. Cela ne date d’ailleurs pas d’aujourd’hui puisque je me souviens de compatriotes entrain de brandir une presse camerounaise qui faisait déjà état de ce type d’allégations dans le restaurant universitaire d’Amiens, où je me trouvais, comme tout autre étudiant vivant en cité.
J’ai tant de fois démenties ces rumeurs débiles que je me contente désormais d’attendre patiemment les plaintes devant les juridictions de mes lieux de résidence successifs. Pour l’essentiel, comme je l’avais déjà affirmé dans un premier droit de réponse (détaillé) au quotidien Mutations le 12 janvier 2005, je cite: «Concernant le compte bancaire de ma sœur Sylvie, et par la suite le mien, les commissions rogatoires diligentées par le gouvernement du Cameroun auprès des instances judiciaires en France ont formellement reconnu l’invraisemblance des accusations ainsi formulées par la justice camerounaise. En France, des comptes étudiants ne peuvent servir de relais pour des opérations financières de cette importance, sans nécessairement attirer l’attention des autorités de surveillance financière et bancaire.»
Par la suite, un autre hebdomadaire camerounais, «L’Anecdote», m’a attribué la possession de 100 Milliards de Francs Cfa dans un nouveau compte bancaire en Australie. Et rebelote, je devais à nouveau me justifier, sans pour autant parvenir à interrompre définitivement cette «rumeur » qui «vient d’en haut au Cameroun». Puis un autre brûlot «La Nouvelle Afrique» la remettait au goût du jour, à la suite de ma chronique intitulée «Cameroun, au pays de l’imposture moralisatrice…», publiée sans mon autorisation par le Quotidien Le Jour sous le titre «Le Fils Engo déshabille le régime Biya»). Je terminais un de mes deux droits de réponses en ces termes: «Nous souhaiterions au-delà de ces investigations journalistiques et judiciaires, que nos ennemis nous accordent enfin le repos éternel. A titre personnel, le Cameroun de Paul Biya semble très éloigné de mes convictions politiques, préoccupations quotidiennes et projets personnels. Je ne lui dois rien, je n’en attends rien. Et si d’aventure je lui devais quoique ce soit, je le lui restituerais immédiatement, car manger dans le même plat que l’ennemi n’a jamais porté chance.»
Les mêmes organes de presse ont parlé de 400 milliards de F Cfa que Pierre Engo aurait distrait du temps où il était Dg de la Caisse nationale de prévoyance sociale, de quoi s’agit-il exactement dans cette affaire?
Un vieux serpent de mer généralement agité pour détourner l’attention des journalistes et des camerounais de la vraie destination des fonds «évaporés» à la suite de l’opération de titrisation de la dette de l’État sur la Cnps qui s’élevait à quelques 249 milliards de F Cfa (montant retenu dans les conventions de dette sous la supervision du FMI et de la Banque mondiale) en 1998. J’en ai fait allusion dans un droit de réponse à un article du mensuel «La lettre du Continent» numéro 521 du 05 Juillet 2007, intitulé «Cameroun: Escroquerie à la Cnps»
(http://enjodi.skyrock.com/
leternelendocrinementdesesprit
Je considère aujourd’hui que les journalistes et le public camerounais disposent de suffisamment d’informations sur le sujet pour ne plus se perdre dans des conjectures de ce genre, notamment depuis le long feuilleton sur les obligations du trésor à coupon zéro (OTZ) qui a défrayé la chronique médiatique au Cameroun tout récemment.
Tout au plus devrais-je remarquer que si je m’étais trouvé au cœur d’un tel scandale, je ne serais certainement plus des vôtres aujourd’hui, je me serais certainement fait lyncher sur la place publique. Pour le reste, détourner 400 milliards de Francs Cfa, y compris pour un ordonnateur qui a occupé la fonction de directeur général de la Cnps pendant 17 années; une entreprise qui avait alors un budget annuel de l’ordre d’une cinquantaine de milliards… relève de l’affabulation pure et simple. La Cnps aurait depuis dû fermer ses portes. C’est d’ailleurs en partie ce que je répondais déjà au chroniqueur du «Messager» Daniel Rim, lorsqu’il prêtait à Pierre Désiré Engo le 02 décembre 2012, le détournement de 400 milliards, dont ils disaient «évaporés de la Cnps en 1983 (http://fr.calameo.com/read/
Des sources rapportent également que l’ancien Directeur Général de la Cnps se serait attaqué à des intérêts français, d’où ses ennuis judiciaires…
Je ne saurais épiloguer sur un sujet que je maîtrise peu. Tout ce que je peux affirmer c’est qu’il semblerait que la création de la Pigt (la Prévoyance Immobilière de Gestion) avait suscité à l’époque bien des convoitises, notamment de la part d’expatriés corses qui se réclamaient de l’ancien Ministre de l’intérieur français Charles Pasqua (un proche, disait-on aussi, du locataire du Palis d’Etoudi). Après avoir échoué à placer un des leurs à la tête de cette filiale immobilière de la Cnps, ils s’en sont pris directement à Pierre Désiré Engo (le privant de visas d’entrée en France, expulsant ma sœur aînée…).
Bref tout un faisceau d’éléments qui se sont recoupés au moment de l’arrestation, puis de l’incarcération immédiate le 03 septembre 1999 de Pierre Désiré Engo. Notamment lorsque certaines indiscrétions (confirmées par la Nouvelle Expression) ont laissé entendre que les chefs d’accusation (trafic d’influence et prise illégale d’intérêt) retenus dans le dossier d’accusation initiale, avaient été dictés, je cite: «par des proches de Charles Pasqua».
(http://www.calameo.com/books/
Nous nous en sommes ouverts (mon épouse et moi) à son Cabinet lors d’une audience dans son bureau de Président du Conseil Général des Hauts de Seine, pendant mon séjour en France en 2002. Mais aussi étrange que cela puisse sembler, Pierre Désiré Engo était aussi un des «messagers» du régime de Yaoundé auprès des «Amis de Jacques Chirac», association dont il était un membre actif. L’ancien ministre des Dom Tom, Monsieur Bernard Pons, qui s’était rendu à Yaoundé peu de temps après son arrestation afin de «plaider sa cause» auprès de Paul BIYA, est retourné à Paris muet comme une carpe, auréolé d’une des nombreuses distinctions camerounaises.
Bref il faut relativiser la notion des «intérêts français» souvent abondamment commentés dans le pré-carré africain. Les luttes d’influence propres aux réseaux de la Françafrique ne correspondent pas souvent aux intérêts réels de la France, ni de son économie. À chacun de bien identifier là où il met ses pieds en France. Pierre Désiré Engo l’a aussi appris à ses dépens.
Pierre Désiré Engo a passé une quinzaine d’années à la tête de la Cnps, quel bilan faites-vous de sa gestion?
Il y a passé en réalité plus de 16 années, puisqu’il arrive à la Cnps en Avril 1983 et quitte cette grande maison en septembre 1999. Je concède volontiers que c’est un temps extrêmement long à la tête d’une aussi grande entreprise! Mais eu égard aux critiques légitimes qui peuvent être formulées sur cette longévité, l’embryonnaire caisse des retraites dont «hérite» Pierre Désiré Engo de Joseph Zambo en 1982/1983 n’aura plus rien avoir avec la Mastodonte sociale, économique, et financière (une sorte de Caisse de Dépôts et Consignations à la Camerounaise, avec des participations dans presque tous secteurs d’activités industriels et financiers du pays) qu’il laisse à Louis Paul Motaze le 02 Septembre 1999.
Non seulement ses missions originelles se sont densifiées, mais ses réalisations aussi. Puisque sous la direction de Pierre Désiré Engo, la Cnps se dote de centres sur toute l’étendue du territoire camerounais (chefs lieux de province, de départements, parfois d’arrondissements). Elle investit sans compter sur le foncier, l’immobilier, notamment de standing à Douala. Et surtout, elle dote les villes camerounaises de groupes scolaires de qualité et de centres de santé, dont le centre hospitalier de référence d’Essos à Yaoundé, qui demeure «l’Hôpital» préféré par de nombreux patients, pour son personnel bien formé et ses soins de qualité.
Par ailleurs, contrairement aux contrevérités répandues par la propagande du régime en place, la Cnps, au moment où «Engo» (comme ils disent) la quitte, est une entreprise saine, viable sur le plan financier; qui vient précisément de signer un accord de reconnaissance de dette de l’ordre de 249 milliards de Francs CFA, au-delà de son budget annuel de l’ordre de 50 milliards.
Elle parvient à distribuer les prestations et les cotisations sociales à ses allocataires; parfois avec un retard, mais elle y arrive quand même malgré la crise persistante au Cameroun…Tout au plus demeurent les arriérés de pensions concédés au mois de mars/avril 1996 lorsque le Trésor Public se montrait incapable d’honorer les salaires des fonctionnaires et était venu «piocher» dans la trésorerie de la Cnps.
Je fais mention de toutes ces réalisations et difficultés de trésorerie dans le dossier que je soumets à la lecture du public sur mon
blog «http://enjodi.blog.lemonde.fr
Tout au plus j’évite de mentionner les dépenses pour lesquelles il n’y a pour l’instant aucune traçabilité, comme celles relatives aux financements politiques, ou à la construction du Golf au village du Président du Cameroun; pour laquelle la Cnps a été sollicitée comme la Société nationale des hydrocarbures (SNH), et tant d’autres structures de cette importance (entre autres). Ces vérités méritent également d’être sues par les Camerounais. Pour l’essentiel, lorsque Louis Paul Motaze prend les rênes de la Cnps, l’audit qu’il commande alors fait état de 400 à 500 milliards d’arriérés de cotisations sociales non versées à la Cnps par les entreprises. Cela relève véritablement du miracle, voire de la prouesse managériale, de savoir que cette entreprise a pu survivre à la crise économique des années 80 et 90 dans un tel contexte.
Les Camerounais se souviennent encore de cette scène mémorable des personnes âgées réprimées à coup de gaz lacrymogène au moment où ils revendiquaient des arriérés de pensions, nous sommes en 1996, n’est ce pas là un lourd passif que traîne votre père?
Les Camerounais s’en souviennent, ils ont raison, et je le regrette amèrement!
Parce que la dureté des images et des scènes ne traduit pas le harcèlement moral et la véritable anxiété dans laquelle vivait puis travaillait au quotidien Pierre Désiré Engo au moment de ces événements malheureux. Mon père était véritablement assiégé tous les jours, y compris à son domicile privé. Pourtant, il recevait ces hommes et ces femmes autant de fois qu’il le pouvait. En réalité tenu par un devoir de réserve, il ne pouvait leur fournir les explications exhaustives sur des retards de paiement observés dans le versement des pensions de retraite.
En réalité la CNPS avait dû faire appel aux forces de police lorsque sa propre sécurité a été débordée et que mon père a failli être lynché à son arrivée au bureau une matinée. Un appel a alors été fait au Préfet du Mfoundi (département de Yaoundé) et je ne crois pas en toute honnêteté que les camerounais ont découvert uniquement à cette triste occasion la brutalité qui régit l’intervention des forces de sécurité dans ce pays. Pierre Désiré Engo du fond de sa cellule de la Prison centrale de Yaoundé Kondengui, pourrait lui aussi témoigner désormais, sur ce «passif» qui est d’abord celui d’un système totalitaire d’essence répressive, solidement ancrée dans les mœurs des Camerounais aujourd’hui.
Vous êtes particulièrement amer envers le successeur de votre père à la Cnps, Louis Paul Motaze, vous estimez qu’il est venu récolter là où votre père a semé, au point que sa fortune personnelle a augmenté, on aimerait en savoir davantage…
Loin de là, ni haine ni amertume, à l’égard d’un homme que j’ai d’ailleurs souvent trouvé volontariste, y compris lorsqu’il était à la tête de la Cnps. Mais avait-il tellement besoin de ternir le bilan de son prédécesseur, d’édulcorer la réalité de la situation financière de la Cnps au moment où il en prend les rênes en Septembre 1999? Puis de se laisser encenser comme «le sauveur»?
Comme je le lui ai répété, sans être contredit, lors de la présentation de son livre sur la sécurité sociale au Cameroun, dans les murs de Rfi à Paris en Juin 2007, la Cnps dont il a héritée était non seulement viable sur le plan financier, mais relativement équipée pour s’engager progressivement vers une universalisation de la couverture sociale. Ce fut d’ailleurs l’objet d’un échange courtois et enrichissant entre nous.
Pour la petite histoire: Louis Paul Motaze n’était pas un inconnu pour Pierre Désiré Engo. Neveu du chef de l’État, chez qui il a longtemps logé lorsqu’il était étudiant, il fut recommandé à Pierre Désiré Engo par l’Ex-Première Dame, Jeanne Irène Biya lorsque son protégé a voulu quitter la Camship (son premier employeur après sa sortie de l’Enam) pour intégrer la Camair. C’est Pierre Désiré Engo, comme administrateur de la Camair (dans le capital de laquelle la Cnps avait des participations) qui a «parrainé» le passage de Louis Paul Motaze de la Camship à la Camair, puis s’est assuré de sa promotion au poste de directeur commercial de la défunte compagnie nationale aérienne. En ce qui concerne l’état de sa fortune, il suffirait simplement de comparer «l’enrichissement» de Louis Paul Motaze en l’espace de 6 ou 7 années à la tête de la Cnps, à celui que l’on prête fréquemment à Pierre Désiré Engo après plus de 16 années à la même fonction. Sachant que précédemment, Pierre Désiré Engo, bien qu’arrivé à la tête de la Cnps à l’âge de 43-44 ans, avait déjà derrière lui une impressionnante carrière dans la haute administration et le gouvernement du Cameroun.
Pierre Désiré Engo a été condamné à 10 ans de prison en 2002, il aurait été libéré le 3 septembre 2009 en principe, qu’est ce qui fait problème?
Je me suis toujours refusé de spéculer sur ses procès, ses condamnations, voire sa libération éventuelle… Parce que j’ai dès le début délibérément rejeté l’éventualité de devoir mener une existence d’esclave, rivée à la clémence ou au bon vouloir d’un tyran, qui prend manifestement un plaisir non dissimulé dans les humiliations et les sévices infligés à ses anciens compagnons de route.
Donc à ce jour je ne saurais vous dire combien de condamnations a écopé Pierre Désiré Engo, ni le nombre d’années d’emprisonnement qui lui resteraient à purger. La machine judiciaire camerounaise ne mérite pas, au regard des manquements et atteintes graves qu’elle a multipliés sur ces dossiers, que je lui accorde un tel crédit.
Quel regard jetez-vous sur l’Opération Epervier en général?
Certains pourraient imaginer, notamment parce que je dénonce depuis une dizaine d’années l’imposture que représente la campagne nationale de lutte contre la corruption telle qu’elle est menée au Cameroun, que je serais un partisan de l’impunité des délinquants à col blanc. Que non!
Il est salutaire que le Cameroun (après avoir été pendant deux années consécutives 1999/2000 reconnu comme le pays le plus corrompu du monde) ait pu engager cette campagne de moralisation de la vie publique, en se dotant notamment d’un arsenal législatif (l’article 66 de la constitution jamais appliqué hélas), renforcé par une agence spécialisée (la Conac). Sous d’autres cieux plus démocratiques, le législateur s’oriente souvent vers la création d’un procureur spécial avec des moyens d’investigation renforcés. Mais je constate que «l’Épervier» camerounais est particulièrement à tête chercheuse, et se contente jusqu’ici d’exhiber des «grosses prises» gouvernementales, des arrestations à forte raisonnance politique, dans un arbitraire moyenâgeux et un amateurisme rarement égalé. Et comme je l’indiquais dans ma chronique reproduite par le journal «Le Jour» en juin dernier:
«généralement une rumeur officielle soigneusement relayée par la presse alimentaire camerounaise commence par répandre l’idée de détournement de millions et milliards de Francs CFA par l’«éperviable» désigné; préparant de la sorte l’opinion publique à l’idée de son arrestation imminente. Lorsque celle-ci survient, des chiffres les plus fantaisistes et des attaques ad hominem (sans lien avec la teneur réelle du dossier d’accusation souvent cousu de toutes pièces) sont alors avancés. Pour faire simple la police arrête, la presse accable, et la machine judiciaire aux ordres du dictateur fabrique littéralement des charges. L’infortuné déjà privé de liberté, maintenu dans un relatif isolement y compris de ses avocats, entame alors une lente descente aux enfers sans fin.»
(http://blogs.mediapart.fr/
joeldidierengo/230613/
limposturemoralisatrice).
Voilà «l’Opération Épervier» telle que je la connais de l’intérieur, par delà les discours convenus et les postures moralisatrices. Je pense que le Cameroun de l’après-Paul Biya, parce que nous devons naturellement nous placer dans cette perspective, ne fera pas l’économie d’une refonte complète de son dispositif de lutte contre la corruption.
D’une part, avec toutes ces frustrations et rancœurs accumulées, puis la délation qui sert de mode de gouvernance dans ce pays, on ne se contentera pas indéfiniment du martyr de quelques uns, puis de l’immunité de tous les autres; notamment les proches parents du Président Biya ou ses valets les plus serviles. D’autre part, outre l’application effective de l’article 66 de la constitution, il faudra envisager «une commission vérité et corruption» afin de prendre toute la mesure de ce fléau dans la société camerounaise et entamer ensemble le long chemin vers une éthique dans les comportements.
L’une des dernières victimes de cette opération est l’ancien Premier Ministre, Inoni Ephraïm qui a écopé de vingt ans d’emprisonnement ferme le 2 octobre dernier, qu’est ce que cela vous inspire comme réaction?
Le dépit! Parce que chaque fois qu’un homme d’État est de la sorte humilié et traîné vulgairement dans la boue – sur une affaire dont les contours décisionnels sont aujourd’hui connus par tous les observateurs avisés– c’est la république du Cameroun qui perd de sa respectabilité internationale et son Institution Judiciaire un nouveau pan de sa crédibilité. Évidemment vous n’entendrez aucune réaction en «ON» de ses anciens collègues du Gouvernement!
En décembre 2011, a été créé un Tribunal criminel spécial qui donne la possibilité au prévenu d’être relaxé après remboursement des sommes détournées, en faveur de quoi militez–vous, de l’emprisonnement où de la libération après restitution du corps du délit?
À mon avis (personnel bien-sûr) la solution d’un Tribunal d’exception sur les crimes économiques, communément appelé Tribunal criminel spécial au Cameroun, est une aberration juridique. Jamais aucun respectable État de droit n’a de la sorte recouru à une juridiction spéciale pour rendre en temps de paix, des décisions parfois différentes de celles qui sont ou auront été précédemment rendues par des juridictions de droit commun.
Alors de deux choses l’une:
➢ Ou le Cameroun est un État en guerre contre certains de ses propres ressortissants (sans que son Premier Magistrat ne l’ait déclarée officiellement);
➢ Ou alors ce pays est plongé depuis une quinzaine d’années dans une véritable épuration politique qui ne dit pas son nom, dans laquelle la privation des droits et la répression de certains et uniquement de certains, sert d’abord sinon uniquement à empêcher toute manifestation de la vérité sur l’étendue de la corruption au sein de sa classe dirigeante.
L’ancienne ministre de l’Education de base, Haman Adama a été relaxée récemment après avoir restitué les sommes à elle imputées, quel commentaire cette mesure suscite en vous?
Pas plus de commentaire que cela! Il n’a en tout cas échappé à personne que cette libération a coïncidé étrangement avec le lancement de la campagne électorale du RDPC dans le Grand Nord.
Quant à la restitution des sommes imputées, apparemment l’ex-ministre de l’Éducation de base les recelait effectivement quelque part, pour être en mesure de les restituer aussi aisément (tout de même 212,5 millions de nos Francs CFA!).
Alors pourquoi devrait-elle recouvrer immédiatement sa liberté, de surcroît battre campagne pour le parti au pouvoir…quand le petit voleur attrapé la main dans le sac au marché Mokolo continue de croupir à Kondengui?
Le 6 novembre dernier, Paul Biya a franchi sa 31e année à la tête du Cameroun, quel regard jetez-vous sur sa direction du pays depuis 1982 ?
Je ne saurais être plus sévère, que le laisse entrevoir la triste réalité camerounaise tous les jours. Parfois on aimerait ne plus être là! Et au moment ou certaines nouvelles recrues du Rdpc se réclament de l’héritage d’Ahmadou Ahidjo, il faudrait peut-être rafraîchir leurs mémoires. En effet, la paix qui constituait le socle du «développement auto-centré et équilibré» d’alors, n’est plus qu’un vulgaire slogan brandi par des laudateurs ethnofascistes, pour occulter une misère devenue endémique et un système de répression généralisée, dans un pays qui regorge pourtant de tant de potentialités. Alors, il faut essayer tant bien que mal de regarder de l’avant, en laissant le soin à l’Histoire (la vraie) de porter son regard objectif et sans concession sur un régime, et singulièrement sur un homme, qui aura autant abusé (dans tous les sens du terme) du génie humain.
Paul Biya a placé le septennat en cours sous le signe des Grandes Réalisations, pensez–vous qu’il soit capable de tenir le pari?
Ce fut véritablement, parce qu’il faut parler au passé, la république des slogans (libéralisme communautaire, renouveau, grandes ambitions et réalisation, émergence en 2035…), comme si le marketing politique se limitait aux slogans! Mais au bout de 31 années sans grandes réalisations, les slogans finissent par sonner creux, vides de sens!
Même en faisant l’effort surhumain de ne pas réduire cette question à des considérations de personnes, le temps serait peut-être venu d’affirmer que la bonne gouvernance est d’abord l’œuvre des Hommes, de préférence celles et ceux de bonne volonté, qui savent conjuguer la vision d’ensemble avec une utilisation optimale des talents (dans ce domaine je le confirme, le Cameroun n’en manque pas, y compris au sein de ce régime agonisant). Mais seulement les compétences et les initiatives sont bridées, étouffées par un «quarteron» de jouisseurs impénitents, usurpateurs de tout: des titres, des mérites, des honneurs, et bien évidemment du pouvoir à vie.
En réalité les grandes réalisations ne se limitent pas à l’édification par des chinois d’infrastructures hydro-électriques ou sportives, qui figuraient déjà sur les plans de développement du Cameroun il y a plus de trois décennies. Il suffit de regarder chez nos voisins, parfois immédiats, pour constater que les chinois y construisent aussi les mêmes, parfois à l’identique. Au moment où la manne pétrolière commence à tarir, ce sont peut-être les investissements directs dont le Cameroun a désormais le plus besoin. Et pas besoin d’être devin pour comprendre que l’extrême pesanteur de ce régime totalitaire, l’état de vassalisation de notre Justice, et le manque criard des infrastructures (notamment routières)… ne plaident pas en notre faveur, face à la rude concurrence de pays que nous regardions il y a encore une ou deux décennies avec une certaine condescendance.
Le 30 septembre dernier se sont tenues au Cameroun des élections municipales et législatives, pensez-vous comme certains analystes politiques qu’une nouvelle carte politique est en train de se dessiner avec la percée de certaines formations politiques de l’opposition comme le MRC?
Ces formations ont déjà le mérite d’exister et de se battre sur le terrain face à un parti-État hégémonique. Je regarde évidemment avec une attention particulière les résultats des candidats de l’opposition dans les villes considérées jusqu’ici comme les bastions pour les «autochtones» du RDPC, notamment dans le Sud. Indéniablement, l’aspiration au changement est là, mais comment redonner envie aux Camerounais d’aller aux urnes quand il est communément acquis depuis des décennies que le verdict est déjà connu d’avance? Voilà une des préoccupations qui aiguise ma curiosité pendant ce scrutin, notamment dans les grandes villes telles que Yaoundé, Douala, et certaines plus reculées comme Kye Ossi dans la vallée du Ntem. Ce sont effectivement à travers ces petites brèches (insignifiantes pour certains) au cœur de la forteresse RDPC que se construit l’alternance de demain et l’espoir d’un Cameroun nouveau.
Dans ses sorties épistolaires, dont la dernière, l’ex-ministre de l’Administration territoriale, Marafa Hamidou Yaya, en prison, se positionne pour l’après-Biya en axant son projet politique sur la Société de Confiance, croyez vous en ses chances de parvenir à ses fins ?
Il ne faut jamais parier sur «la mort» d’un homme politique, surtout lorsqu’il est internationalement acquis que ce dernier est un prisonnier politique!
Marafa Hamidou Yaya a certainement une meilleure connaissance de l’appareil administratif et des rouages du système politique camerounais de ces dernières décennies, que d’autres….y compris moi, je le concède. Et j’avoue qu’éloigné du Cameroun depuis tant d’années, je lis certaines de «ses sorties épistolaires» avec une certaine délectation, sans nécessairement en partager toutes les analyses et les conclusions. Je serais donc le dernier à lui faire le moindre reproche sur son positionnement pour l’après Biya, alors que nous y sommes presque.
Il peut effectivement prétendre à la succession du Président de la République, et ce serait d’ailleurs un peu présomptueux de présager de ses chances réelles. Indéniablement il en a l’étoffe! Tout au plus je souhaiterais qu’il nous éclaire sur le rôle qui fut le sien – à la place qui était la sienne comme Ministre de l’Administration territoriale – aussi bien sur la révision de la constitution en 2008 que pendant les émeutes de la faim en passant par la «réélection» qui a suivi de Paul BIYA; puis sur un tout autre dossier sensible sur lequel il a été récemment indexé, à savoir l’incarcération de Paul Eric Kinguè, l’ancien Maire de Njombé-Penja.
L’ambassadeur des USA qui lui rend visite à sa prison à la gendarmerie nationale, le rapport du Département d’État américain qui fait de lui un prisonnier politique comme vous l’avez indiqué plus haut, sont-ce des capitaux politiques susceptibles de faire de Marafa, le potentiel successeur de Paul Biya ?
Vous n’êtes pas sans ignorer le nombre de successeurs potentiels que l’on a prêtés à Paul Biya ces trente dernières années, et qui ont fini carbonisés!
Le temps politique (quel que soit le pays) n’obéit pas toujours et nécessairement aux fluctuations internationales, ni aux capitaux politiques engrangés à tel ou tel moment. L’autre paramètre que nous ne pouvons ignorer, surtout quand on est Camerounais (au regard notamment de notre histoire), c’est la méfiance presque congénitale à l’égard de tout ce qui paraîtrait «dicter» de l’extérieur, de l’étranger, de l’occident… même si nous avons une volonté de changement chevillée au corps.
La reconnaissance de monsieur Marafa comme Prisonnier politique est certainement un fait qui en ajoute à son prestige, et qui confirme surtout qu’il est incarcéré pour des raisons liées à ses positions ou opinions politiques, mais la route qui pourrait éventuellement le mener à Etoudi est encore semée d’embûches. La cabale politique et judiciaire en est une. J’imagine, de par sa longue et indéniable expérience, qu’il en a pleinement conscience. Mais au moins aura-t-il su ou pu courageusement prendre ses marques!
Dans sa dernière lettre ouverte, Marafa a estimé que le Cameroun n’était pas un pays gouverné, est-ce votre avis?
C’est un secret de polichinelle. Marafa parle vraisemblablement de ce qu’il sait.
Vous êtes très critique envers le régime de Paul Biya, l’avez-vous toujours été ou alors il s’agit d’une aigreur consécutive à l’emprisonnement de votre père?
Question récurrente s’il en est! «très critique» certainement; parce que j’ai aussi été très exigeant en matière d’émancipation démocratique au Cameroun, à l’égard de cet homme (Paul BIYA) notamment, qui a représenté un infinitésimal espoir de renouveau pour la plupart d’entre nous. J’ai conscience, ayant observé son régime de l’intérieur, qu’il a dû surmonter bien des épreuves, mais la boulimie du pouvoir aura aussi été forte. Donc aussi stupéfiant que cela puisse vous sembler, je lui trouve parfois des circonstances atténuantes, notamment sur la grave crise économique qu’a connue le Cameroun, conjuguée avec les différentes cures d’austérité budgétaire imposées par les bailleurs de fonds multilatéraux.
Généralement ma critique s’exprime et je ne sais pas ruminer seul dans mon petit coin. Je ne saurais développer une quelconque aigreur (forcément déplacée) vis-à-vis d’un régime auquel je n’ai fondamentalement jamais aspire à appartenir. Mon père en faisait effectivement partie au plus haut niveau de son appareil politique (et ne l’a d’ailleurs jamais renié, malgré ses épreuves). Entre le régime RDPC de l’après Putsch de 1984 et moi, le courant n’est jamais passé!
En réalité l’incarcération de Pierre Désiré Engo m’a définitivement libéré, au sens que les critiques (je concède acerbes) que je pouvais formuler en privé, sont désormais assumées sur la place publique, même si je prends une extrême prudence à ne jamais m’en prendre aux personnes (à leur vie privée notamment).
Bon c’est aussi cela le naturel d’un «socialiste» grincheux. Je suis entier.
Quand est-ce que vous avez été au Cameroun pour la dernière fois et comptez-vous y revenir pour vous installer définitivement?
J’y ai été pour la dernière fois en septembre 1996. Je ne sais pas de quoi mon avenir sera fait, et j’ai appris dans ma vie d’exilé à vivre et à agir comme si demain n’existera pas. Je ne ferme pas la possibilité de m’installer un jour définitivement au Cameroun. En bantou cela finira bien par aller de soi!
Par Michel Biem Tong, Journaliste