MAÎTRE LYDIENNE YEN EYOUM LOYSE, DU BARREAU AUX BARREAUX
C’est dans la cellule de 12 m² qu’elle partage avec une quinzaine de codétenues, des rongeurs et des cafards, que Lydienne Yen Eyoum attend impatiemment depuis 06 ans que le tout puissant du Cameroun Paul BIYA lui manifeste son «bon coeur», en l’extirpant du sinistre décor la prison centrale de Yaoundé.
Dans cette affaire sur laquelle flotte une tenace odeur d’archaïsme françafricain, s’y mêlent à la fois l’arbitraire d’une dictature trentenaire à bout de souffle, parée des atours flatteurs de la lutte contre la corruption, et les embarras de la diplomatie française, soucieuse de ménager un vieil allié en ces temps sensibles de «coopération» militaire contre le terrorisme de Boko Haram.
Quatre questions pour comprendre l’affaire Lydienne Yen-Eyoum
1. Qui est Lydienne Yen-Eyoum?
Née en1959, Lydienne Yen-Eyoum est une avocate française d’origine camerounaise. Avocate au barreau de Douala, Maître Yen Eyoum était avocate de l’État camerounais au moment de son arrestation, le 8 janvier 2010, dans le cadre de l’opération anticorruption Epervier. Son affaire n’aurait pas franchi la frontière camerounaise si Lydienne Yen-Eyoum n’avait été mariée, depuis août 2006, à un Français, Michel Loyse, ex-directeur d’une banque française au Cameroun. Elle a obtenu la nationalité française en septembre 2010, en détention. Son mari affirme qu’elle est la fille d’un ministre d’Ahmadou Ahidjo (président du Cameroun de 1962 à 1980). Elle a un fils de 18 ans qui vit en France, né d’une précédente union.
2. De quoi est-elle accusée?
Lydienne Yen-Eyoum est accusée d’avoir détourné environ un milliard de francs CFA de fonds publics, l’équivalent de 1,5 million d’euros.
En 2004, elle avait été chargée par le ministère des Finances camerounais de mener une opération de recouvrement auprès de la Société générale de banques du Cameroun (SGBC), filiale franco-camerounaise de la Société générale. Il lui est reproché d’avoir gardé une partie des fonds récupérés. Pour ses avocats, il s’agirait d’honoraires. Lydienne Yen-Eyoum a toujours clamé son innocence.
Elle fait partie de nombreuses personnes, parmi lesquelles des anciens ministres, arrêtées dans le cadre de l’opération Epervier, lancée en 2006. Souvent, elles estiment avoir été victimes de règlements de comptes de nature politique.
3. Quelles sont les démarches en cours?
Lydienne Yen-Eyoum a été reconnue coupable et condamnée à 25 ans de prison en septembre 2014 par le Tribunal criminel spécial (TCS), une juridiction spécialisée dans la répression de la grande corruption créée par le président Paul Biya dans le cadre de l’opération Epervier. Le 9 juin 2015, la Cour suprême du Cameroun a confirmé cette condamnation inique.
Ses avocats français, Caroline Wassermann et Christian Charrière-Bournazel, ont engagé une procédure en France pour détention arbitraire, torture et actes de barbarie. En avril 2015, le groupe de travail sur la détention arbitraire du Haut Commissariat aux droits de l’Homme de l’ONU avait jugé «arbitraires» l’«arrestation» et la «privation de liberté» de Lydienne Yen-Eyoum. Selon une note de ce comité, il n’y aurait pas eu «notification des motifs de l’arrestation» et la détention provisoire aurait «dépassé les délais légaux».
Le 04 juin 2015 lors de la conférence de presse conjointe donnée à Yaoundé avec François Hollande, le Président camerounais Paul BIYA va répondre en ces termes à la question d’un journaliste sur la demande de libération de Lydienne Eyoum: «Je verrai ce que je pourrais faire si tel est le souhait de l’intéressée. Et si la constitution me donne les moyens de faire quelque chose, c’est de bon cœur que je le ferai le moment venu»
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Le «bon coeur» de Paul Biya prend manifestement un malin plaisir à faire attendre la France, malgré l’insistance des principaux soutiens de Lydienne Eyoum pour sa libération.
Le sénateur des Français de l’étranger Jean-Yves Leconte interpellait en ces termes directs les autorités françaises dans un communiqué en date du 04 septembre 2004.
«Pourquoi tant attendre?»
«La visite du Président de la République au Cameroun, au début du mois de juillet, a permis de placer au-devant de l’actualité la situation de l’incarcération de Lydienne EYOUM, avocate franco-camerounaise dont la détention a été qualifiée d’arbitraire par le Comité des Droits de l’homme de l’ONU le jour où la Cour suprême rendait son verdict sur une affaire qui lui avait valu cinq (05) années de détention préventives.
Je m’étais rendu compte, en juillet 2014 des conditions inhumaines et dégradantes dans lesquelles elle était détenue à la prison centrale de Kondengui. Détention d’autant plus discutable que La manière dont le procès s’était tenu n’avait pas respecté les droits de la défense.
La lumière mise sur le contexte de cette affaire a permis à la presse camerounaise de publier au cours des dernières semaines des articles assez précis soulignant les conséquences pour Lydienne EYOUM d’un accord entre la SGBC -filiale de la Société Générale- et l’Etat du Cameroun. Mandatée par l’Etat du Cameroun pour défendre ses intérêts, Lydienne aurait du être au courant de cet accord… C’est pourtant la poursuite de ses diligences qui lui est aujourd’hui reprochée!
Les prises de positions du Ministre de La Justice, Laurent Esso, lors d’un Conseil de cabinet sur les conditions de détention dans les prisons camerounaises sont intéressantes. Espérons que cette prise de conscience publique permettra à Lydienne de recevoir très vite une réponse à sa demande de transfèrement à Douala, sa ville d’origine, là où vit sa famille dont elle est éloignée depuis tant d’années.
Enfin, la procédure disciplinaire engagée contre le procureur du Tribunal Spécial (TCS) Emile NSOGA est importante, puisque c’est le TCS qui a retenu puis condamné Lydienne EYOUM. Ceci témoigne des conditions dans lesquelles l’avocate franco-camerounaise a été jugée.
Ces éléments montrent combien l’intervention du Président de la République française sur le cas de notre compatriote était justifiée. Nous restons aujourd’hui attentifs à la suite de ce qui peut arriver à Lydienne EYOUM, toujours détenue à Kondengui où, comme l’indiquait récemment un avocat camerounais : « «Des gens meurent tous les jours à l’infirmerie, pas d’eau courante, des quartiers de détenus majeurs, mineurs, hommes, femmes, malades mentaux sont dans l’horreur absolue». Nous attendons maintenant qu’elle puisse retrouver sa liberté, et qu’elle soit reconnue comme personne ayant dans son activité défendu les intérêts du Cameroun.»
N’abandonnons pas Lydienne Eyoum au seul bon vouloir de ses geôliers au Cameroun.
Le Comité de Libération des Prisonniers Politiques (CL2P)