À l’évidence quelques comparutions devant des juridictions militaires camerounaises ne suffiront pas à faire toute la lumière sur tous les crimes de sang perpétrés par les forces de sécurité dans le cadre de la lutte légitime contre le terrorisme dans ce pays.
La nécessité d’une véritable enquête internationale n’a jamais été aussi pressante, afin que l’échelle des responsabilités dans toute la chaîne de commandement militaire soit clairement établie, et que des poursuites soient engagées aussi bien à l’encontre des auteurs que des donneurs d’ordres devant les juridictions internationales, au premier rang desquelles la Cour Pénale Internationale.
Une tyrannie sanguinaire évoluant depuis plus de trois décennies dans un sentiment d’impunité générale, ne comprend pas un autre langage.
Joël Didier Engo, Président du Comité de Libération des Prisonniers Politiques – CL2P
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Sérail: Paul Biya lutte contre une enquête de l’ONU au Cameroun
« Un revirement à 180 degrés ». C’est l’expression qui revient pour qualifier le communiqué du ministre de la Communication signé le 10 août 2018. Dans ce document, Issa Tchiroma Bakary avoue implicitement que la vidéo montrant des hommes en uniforme exécutant des femmes et des enfants, qui a fait irruption sur les réseaux sociaux au début du mois de juillet, n’est pas un fake news.
Plus encore, la scène se serait bien déroulée au Cameroun et les bourreaux de ces femmes et enfants pourraient bien être des soldats camerounais. En effet, informe le porte-parole de fait du gouvernement, l’enquête ouverte pour « élucider cette affaire et en établir les responsabilités éventuelles a conduit à l’arrestation des personnels militaires ». Il s’agit d’un lieutenant de vaisseau, d’un sergent, de deux caporaux, deux soldats de 2e classe et d’un soldat de 1ère classe « mis à la disposition de la justice », précise le document.
Cette position est aux antipodes du discours tenu par le gouvernement dès l’apparition de cette vidéo. Lors d’une rencontre avec la presse, le 11 juillet dernier, tout en annonçant l’ouverture d’une enquête, Issa Tchiroma Bakary parle alors de «fake news», «de manœuvre de désinformation grossière dont les faits projetés n’ont aucun rapport avec l’action menée par les forces de défense et de sécurité dans le cadre des missions qui leurs sont confiées», de «conspiration manifeste», de «malheureuse tentative de transfiguration de la réalité et d’intoxication du public».
A sa suite, le ministère de la Défense (Mindef) désigne même un coupable: « L’activiste Patrice Nganang, qui en est l’auteur, a tout simplement manipulé une série d’images prise hors du Cameroun, qu’il a par la suite monté dans un scénario pour accabler les forces de défense », accuse un message publié le 18 juillet sur la page Facebook du Mindef.
Le revirement qui surprend beaucoup de monde aujourd’hui, a commencé à se dessiner le 20 juillet. Ce jour-là, dans une déclaration que fait le Mincom, on apprend que « le chef de l’Etat, SE Paul Biya [et] le gouvernement ont été choqués et indignés par l’atrocité des images contenues dans la vidéo et expriment leur compassion à l’égard des malheureuses victimes, ainsi qu’à leurs familles respectives ». Issa Tchiroma admet même la possibilité de bavures contre lesquelles « le chef de l’Etat [a] prescrit la tolérance zéro ».
Enquête de l’Onu
Mais pourquoi ce changement? « Il s’agit d’une démarche qui vise à préserver l’image du chef de l’État à l’international », nous avoue une source au fait du dossier. Il faut dire que depuis le déclenchement de l’affaire, Yaoundé subit des pressions de la part, des médias, des ONG et des partenaires internationaux. Après avoir rappelé que «les médias du monde entier, Amnesty International et les organisations camerounaises de défense des droits de l’Homme attribuent les actions montrées sur la vidéo à l’armée camerounaise », les États-Unis par la voix de la porte-parole du Département d’État, appellent, le 16 juillet, «le gouvernement du Cameroun à mener une enquête avec minutie et transparence sur les événements montrés sur la vidéo, à en rendre les conclusions publiques et, si des militaires camerounais étaient impliqués dans ces atrocités, à les tenir responsables de leurs actes».
Mais il y a plus redoutable aux yeux des stratèges de Yaoundé. Ce sont les pressions exercées par le Haut-Commissariat aux droits de l’Homme des Nations unies qui souhaite venir au Cameroun mener des investigations. « Nous avons dit au gouvernement camerounais: si vous affirmez que les informations qui circulent ne sont pas vraies, laissez-nous voir. (…)
Clairement il faut une enquête, il faut que les gens rendent des comptes », indique le 27 juillet le Haut-Commissaire sur les antennes de RFI. Selon Zeid Ra’ad Zeid al-Hussein, jusqu’ici, le gouvernement leur oppose une fin de non-recevoir. Les autorités camerounaises redoutent d’autant plus la mission de cet organisme onusien qu’elle souhaite se consacrer aux accusations de tortures et d’exécutions extrajudiciaires dans l’Extrême-nord mais aussi dans les régions anglophones.
En enquêtant lui-même sur les dénonciations de violation des droits de l’Homme, le régime de Yaoundé espère donc couper l’herbe sous le pied du Haut-Commissariat aux droits de l’Homme des Nations unies. Selon nos informations, la célérité avec laquelle les enquêtes sont ouvertes, ces derniers jours, contre les soldats indélicats participe également de cette stratégie.