Au Cameroun, la scène politique semble comme figée, confisquée par les mêmes acteurs qui s’accrochent autant qu’ils le peuvent à leur fauteuil de président.
Par Yanick Yemga, Mutations
Et tant pis si ce désir d’éternité, cette routine fonctionnelle et managériale, finit par transformer un noble projet de société, en business plan pour petite et moyenne entreprise (PME) gérée par une bande de copains ou actionnaires. Qu’importe, si la formation politique, à défaut d’avoir une assise nationale, est reléguée au rang d’association régionale ou clanique. Depuis au moins deux décennies, les principaux partis qui structurent l’opposition camerounaise, critiquent avec une égale verve, la longévité de Paul Biya à la tête de l’État. Certains parmi les plus irréductibles pourfendeurs du régime, ne manquent pas l’occasion d’inviter le locataire du palais d’Etoudi (depuis le 06 novembre 1982) à quitter son poste de président du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), qu’il a créé le 24 mars 1985 à Bamenda, sur les cendres de l’Union nationale du Cameroun (UNC), l’ancien parti unique.
Les thuriféraires du RDPC ironisent pour leur part, sur
cette alternance réclamée à cor et à cris par des adversaires qui rechignent à prêcher par l’exemple. Dans cette partie de poker menteur, c’est évidemment le peuple désabusé, qui trinque. Il faut dire que ceci n’est pas l’apanage de tous les partis. Il en est, qui n’hésitent pas à confier le gouvernail à quelqu’un d’autre. La preuve, Anicet Ekanè est aujourd’hui secrétaire national à la formation du MANIDEM qu’il a dirigé jadis. Mutations saisit le prétexte de la célébration le 26 mai dernier du 25ème anniversaire de la création du Social Democratic front (Sdf), – première force de l’opposition camerounaise – pour dresser les portraits de quelques inamovibles présidents de partis politiques parmi les plus charismatiques.
Adamou Ndam Njoya (Udc) : Resserrer l’étreinte familiale
Comme elle est lointaine, l’époque où le président de l’Union démocratique camerounaise (Udc) à la tête d’une coalition de partis politiques de l’opposition – formée dans la perspective de la présidentielle de 2004 – voulait incarner l’alternance et le changement. Depuis, Adamou Ndam Njoya n’a pas renoncé à ses ambitions présidentielles, pas plus qu’il ne semble vouloir relâcher son étreinte sur l’Udc qu’il dirige depuis avril 1991. Selon ses détracteurs, l’attente des candidats à sa succession à la tête de ce parti, a de grandes chances d’être interminable, au vu de l’influence grandissante du clan familial. Est-il superfétatoire de mentionner qu’avant l’avènement de loi relative au nom cumul des mandats de maire et de député, le président de l’Udc siégeait à l’Assemblée nationale en même temps qu’il honorait sa fonction d’édile municipal de la ville de Foumban. La norme ayant mis un terme à cette polyvalence, l’homme au boubou blanc immaculé, n’a pas résisté à la tentation de céder son fauteuil de député, à sa bienaimée épouse, Patricia Tomaïno Ndam Njoya. Le tout premier directeur de l’Institut des relations internationales et ancien ministre de l’Education nationale, reste droit dans ses bottes face aux critiques et autres accusations de « confiscation de l’Udc par la famille Ndam Njoya ». Invité de l’émission « l’Arène » sur les antennes de la chaîne de télévision Canal 2 international, il ironisait d’ailleurs sur le sujet en indiquant que « les militants me font confiance, comme ils font confiance à Mme Ndam Njoya qui est aussi citoyenne et militante ». Doit-on en déduire que le règne du couple Patricia Tomaino – Adamou Ndam Njoya serait toléré et même encouragé par le peuple de l’Udc ? Quoi qu’il en soit, on voit mal par quelle alchimie ce duo présidentiel pourrait perdre le contrôle d’une formation politique qu’il semble contrôler d’une main de fer.
Bello Bouba Maigari (Undp) : Garder la main
Le leader de l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (Undp) a très peu de soucis à se faire relativement à son bail à la tête du parti qu’il dirige depuis 1991. Bello Bouba Maigairi (68 ans) sait que tant qu’il fera « main dans la main », avec ses alliés du Rdpc, son pouvoir et son siège au gouvernement seront acquis. Aussi, le ministre d’Etat en charge du Tourisme et des Loisirs, ignore t-il les plaintes de certains de ses camarades et autres barons de l’Undp qui dénoncent ouvertement la plate-forme conclut en novembre 1997. Mais il faudrait beaucoup plus que ces sporadiques soubresauts internes, pour ébranler la sérénité de ce fils de Baschéo (région du Nord). Seul candidat à sa propre succession lors du 5ème congrès ordinaire de son parti, « Bello Bouba Maigari n’a vraiment pas eu besoin de battre campagne pour se faire réélire (…) d’autres l’ont fait à sa place. Et pas forcément des militants de cette formation politique », révèle Cameroon Tribune dans son édition du 19 février 2012.
Le quotidien national bilingue ajoute « qu’il s’agisse de Grégoire Owona, secrétaire général adjoint du Comité central du Rdpc, ou de Alhadji Aroga, 1er vice président national de l’Andp (…) de Olivier Bilé de l’Union pour la fraternité et la prospérité (UFP). Tous ont relevé le mérite du président national de l’Undp ». Aladji Aroga frisera même la motion de soutien en déclarant : « vous (Bello Bouba, ndlr) êtes le meilleur capitaine pour diriger ce bateau ». Des adversaires politiques qui soutiennent le maintien en fonction d’un rival de cet acabit, à défaut d’être incestueux, c’est au moins suspect. Et le président de l’Undp semble en avoir pleine conscience. Il l’affirmera d’ailleurs dans son allocution de politique générale prononcée lors dudit congrès. « Notre ambition, notre vocation c’est d’arriver au pouvoir », dira t-il comme un peu gêné par le zèle débordant de ses partenaires politiques.
Dakolé Daissala (Mdr): Le seul (Kirdi) méritant ?
Bien malin qui pourrait situer dans le temps et l’espace, le dernier congrès du Mouvement démocratique pour la défense de la République (Mdr), ou citer outre Dakole Daissala, les noms d’autres responsables de cette formation politique. C’est que ce natif de Goundaye, dans le département du Mayo-Kani, région de l’Extrême-Nord, incarne à lui tout seul le Mdr. A en croire l’hebdomadaire panafricain Jeune Afrique, « il n’a confiance en personne. A 72 ans, le président du Mdr (depuis octobre 1991, Ndlr) s’impose comme le seul meneur de ses troupes. Malgré une forte baisse du nombre d’adhérents, il continue à régner sans partage. Cet homme à poigne, qui ne convoque jamais de congrès permettant l’élection d’un nouveau chef, dirige crânement sa petite affaire ». Et ça marche plutôt bien, en dépit de la rude concurrence dans le marché politique national.
Même diminué physiquement, ce sénateur n’est pas prêt de passer le relais. C’est ce qu’il indique à l’auteur de ces lignes qui l’interroge en décembre dernier au sujet de sa succession politique. « Vous voyez qui d’autre ? », assène t-il en guise de réponse. Non sans instiller subrepticement dans l’esprit de ses interlocuteurs, que lui seul est digne de mener la barque Mdr. Ancien ministre d’Etat, en charge des Postes et télécommunications, puis des Transports, l’auteur de « libre derrière les barreaux », apparait comme un habile stratège politique. En 1992, son soutien à Paul Biya lui valu un maroquin. L’ex directeur général de la société des transports urbains du Cameroun (Sotuc), également passé par la case député (1997-2002) a défendu la révision constitutionnelle de 2008, qui permis la levée du verrou de la limitation des mandats présidentiels et donc à Paul Biya de prolonger son bail à la magistrature suprême. Tout cela, ça compte. Et pour ce Kirdi fier, qui d’autre au Mdr peut justifier d’un tel Cv ?
Ni John Fru Ndi (Sdf) : Chairman must stay
Le message du patron du Social Democratic front (Sdf), en cette 25ème année de l’existence du parti de la balance, a le mérite d’être limpide. Tous ceux qui songent à lui succéder doivent encore ronger leur frein et gagner en « expérience », déclarait-il en substance le 19 mai dernier au cours d’une conférence de presse organisée à Yaoundé, en prélude à la célébration du quart de siècle du Sdf. Ce discours couleur franchise, suffira t-il à contenir les ambitions de certains cadors qui commencent à trouver ce règne long ? Pas sûr. Le Chairman qui est loin d’être un politique candide, semble avoir tout verrouillé. Tous les quatre ans, à l’occasion de la convention nationale (Congrès), il remet certes son fauteuil en jeu, mais en s’assurant de garder dans sa manche, toutes les cartes maitresses. « Et la manœuvre commence systématiquement par une minutieuse indentification des fauteurs de trouble », éclaire un cadre du Sdf. « Elle se termine, renchérit notre source, par l’actionnement du fameux 8.2 », sorte de guillotine qui coupe les têtes de tous ceux qui sont fichés comme meneurs d’« activités politiques susceptibles de nuire à la réputation, aux intérêts et à l’efficacité du parti ou pouvant discréditer le parti ». Inutile d’énumérer ici la liste des cadres du parti mis sur la touche sur la base de cette disposition.
Pour tenir les troupes, Fru Ndi s’est entouré de puissants lieutenants. Dans cette posture, on retrouve invariablement les deux Joseph, Mbah-Ndam et Banadzem crédités d’une influence et d’une popularité auprès de la base du parti, qui garantissent au chairman un règne paisible. De fait, ni les soupçons de deals politiques qu’auraient passés Fru Ndi avec Paul Biya, ni les accusations lui prêtant la volonté de préparer à sa succession, Benjamin Achu Fru Ndi (son fils, Ndlr), ne semblent suffire à effriter son leadership. A 74 ans, le prince de Ntarinkon est bien parti pour conserver son fauteuil lors de la Convention qui se tient en principe l’année prochaine. Sans doute, a-t-il aussi dans un coin de sa tête, l’espoir de concourir à la prochaine élection présidentielle prévue en 2018.
Paul Biya (Rdpc) : Le candidat naturel
Il ne viendrait à l’esprit d’aucun militant lucide du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc) d’affronter Paul Biya, dans une élection au poste de président national du parti du « flambeau ardent ». Sauf peut-être à celui du téméraire René Zé Nguelé, qui lors du 3ème congrès ordinaire du Rdpc tenu en septembre 2011, osa une candidature à côté de celle du « champion naturel », Paul Biya. Couru d’avance, l’affaire fut pliée avec un score à la soviétique. En dehors de cet acte de bravade assumé, l’on n’a pas souvenance d’un autre cas, où l’homme du 06 novembre 1982, ait eu à avoir une compagnie dans sa course à un trône de président qui lui est systématiquement acquis. Son règne au Rdpc, qui court depuis mars 1985 lors du congrès fondateur de Bamenda, n’a quasiment aucune chance de prendre fin. « Et d’ailleurs, pourquoi en serait-il autrement ? », fulmine un député du Rdpc, membre du Comité central. « N’est-ce pas le président Paul Biya qui a créé le Rdpc ? N’est pas lui qui a copté ses dirigeants ?», ajoute t-il.
« Toutes les créatures de Paul Biya », savent donc très bien que c’est blasphémer que de songer à prendre place dans le fauteuil présidentiel, tant que son propriétaire n’y renoncera formellement. Et ceux qui feignent de ne pas voir que le chef de l’Etat représente un obstacle infranchissable, doivent se souvenir que son contrôle aussi bien sur le Bureau politique, le Comité central dirigé par un secrétaire général désigné par ses soins, est total et efficace. A l’échelle territoriale, l’autorité du patron du Rdpc, est savamment entretenue et assurée par de puissants relais constitués de membres du gouvernement, de directeurs généraux de sociétés publics et parapublics, d’hommes d’affaires influents, de cadres hauts placés dans l’Administration publique, de parlementaires, et naturellement des chefs des unités territoriales du parti, souvent tous membres du Comité central. Avec un système aussi affiné, qui semble dédié à la perpétuation de son bail de président national du Rdpc, le natif de Mvomeka’a, dans la région du sud qui a soufflé sur sa 82ème bougie le 13 février dernier, est certain de conserver (jusqu’au bout) sur son trône.
Un Dossier de Yanick Yemga, Mutations