L’audience était prévue pour le 19 janvier, mais elle a finalement eu lieu ce mercredi 27 décembre. A Yaoundé, le procès de l’écrivain américano-camerounais Patrice Nganan a été expéditif. Il était poursuivi pour « apologie de crime » et « menaces » pour un post sur Facebook où il disait vouloir « donner une balle exactement dans le front de Paul Biya, le président camerounais ». Le tribunal a finalement prononcé la relaxe et l’abandon des poursuites, mais pour l’expulser dans la foulée vers les États-Unis.
On aurait dit qu’elles tenaient entre les mains une véritable patate chaude, tellement les autorités judiciaires ont donné l’impression qu’elles voulaient s’en débarrasser, au plus vite. Ce matin de mercredi, Patrice Nganang a été sorti du lit quasiment aux aurores et conduit prestement devant ses juges, au tribunal de première instance de Yaoundé.
L’audience s’est ouverte avec la lecture par le procureur général de l’arrêt de l’abandon des charges, décidé sur instruction du ministre de la Justice après consultation avec le président de la République en personne. La décision a été motivée « par l’article 64 du Code de procédure pénale qui prévoie une pleine interruption de procédure de jugement si celle-ci est de nature à troubler l’ordre social », a-t-il spécifié.
Patrice Nganang était accompagné de ses avocats et avait l’air très surpris. Il a fait signe de vouloir prendre la parole. Celle-ci lui a été refusée. Après avoir entériné cet arrêt, le juge l’a tout de suite renvoyé dans sa cellule, à la prison centrale de Yaoundé.
Expulsion
Me Emmanuel Simh s’est ensuite rendu au parquet afin de récupérer les effets de son client qui étaient sous scellés. Il a pu constater que la procédure d’expulsion était bien enclenchée en voyant notamment le billet d’avion et l’heure du vol, (14h locales) ce mercredi 27 décembre.
Patrice Nganang a effectivement été sorti de prison et conduit manu militari et sous forte d’escorte à l’aéroport pour un vol à destination des Etats-Unis, dont il est citoyen. Il n’aurait opposé aucune résistance.
Son avocat Emmanuel Simh explique qu’il ne reconnait pas la déchéance de nationalité camerounaise décidée par le procureur. Il attend de pouvoir se concerter avec son client pour savoir s’il va contester cette décision ou non. « Ce qui a été fait est parfaitement en marge de la loi. M. Nganang est camerounais. Il a un passeport américain. Il faut qu’il y ait une procédure particulière pour qu’un juge prenne une décision lui retirant la nationalité camerounaise. Ca n’a pas été fait. Le procureur qui m’a reçu qui “nous retenons le passeport camerounais de M. Nganang et nous le considérons comme un citoyen américain en situation irrégulière au Cameroun, et nous l’expulsons”. Mais ce n’est pas à un procureur de retenir un passeport et de dire : “vous n’êtes pas Camerounais”. Et tout cela était bien organisé, pour pouvoir l’expulser aujourd’hui de manière rocambolesque. Car cela s’est passé à 12h à peu près à Yaoundé, et à 14h il était déjà dans un avion. Donc c’était préparé. Ils avaient déjà pris un billet d’avion, je ne sais pas depuis quand. »
« Il va continuer »
Son agent, Pierre Astier, a quant à lui fait part de son « très grand soulagement », car « la prison dans laquelle il se trouvait depuis plusieurs jours est une prison terrible. J’étais vraiment inquiet. »
Il reconnaît volontiers que « ses mots sont très crus » mais s’interroge : « est-ce que pour autant il doit être arrêté, jeté en prison, accusé comme il l’a été ? La question de la liberté d’expression se pose. C’est un artiste, un écrivain, il a menacé avec des mots, il n’a pas menacé avec une arme. »
« C’est quelqu’un qui n’a pas sa langue dans sa poche. Donc depuis les Etats-Unis, depuis l’Europe, depuis d’autres pays d’Afrique, il va continuer, c’est certain, à dire ce qu’il pense, à savoir que le Cameroun a besoin d’un changement politique, a besoin d’évoluer vers un autre régime », croit savoir Pierre Astier.
Pendant les trois semaines qu’a duré ce feuilleton, la justice a semblé ne pas trop savoir quoi faire de ce prisonnier un peu trop médiatique. Les faits retenus contre lui ont plusieurs fois été requalifiés, jusqu’à l’abandon finalement décidé mercredi pour une affaire devenue bien trop embarrassante pour le pouvoir de Yaoundé.
Patrice Nganang : MA POSITION A MOI SUR BIYA
Je l’ai toujours dit, je ne suis pas un opposant. Biya ne mérite pas que je consacre mon intelligence à m’opposer à lui. Je sors d’un sous-quartier qu’aujourd’hui meme on m’a dit tres dangereux, Nkomkana, et depuis suis Full Professor à New York, la capitale du monde. Enseigne les blancs depuis que j’ai 26 ans. J’ai vu des types comme lui être zigouillés dans des rigoles, et mes propres étudiants ont descendu plus coriace que lui – Saddam Hussein. Ma famille est au Zimbabwe ou Mubage, plus historique que lui a été chasse. Bref Biya n’existe pas du tout pour moi, et voilà pourquoi dans ce pays nommé Cameroun je vais où je veux et fais ce que je veux et quand je le veux. Certaines de mes photos sont même prises par ses militaires. C’est moi qui le leur demande après qu’ils me demandent de leur acheter la biere (600FCFA! 1 dollar US!), car ils sont de loin moins armes que mes étudiants, soldats américains qui seraient leurs encadreurs, eux qui ne valent rien du tout. Dans son ministère de La Défense j’entre et sors sans que ses soldats aux fusils de 1958 me fouillent. Eux ne me concernent pas. Mais faites-moi confiance, et je ne blague pas – je l’ai devant moi, lui Biya, et ai un fusil, je vais lui donner une balle exactement dans le front. Je le dis depuis Yaoundé où je suis. Lui aussi. L’ai dit à Paris devant Abdou Diouf et à New York devant la Maison Blanche. Ceci est donc une repetition. Un Bangangte est trop noble pour fuir à cause de ce qu’il va faire si on le laisse. Qu’il vienne m’arrêter s’il a encore des couilles.
Voilà ma position. Live with it.