Par Caroline Meva, Écrivaine
L’on observe depuis un certain temps dans notre pays, une floraison de slogans à fort relent communautariste ; on évoque la dévolution du pouvoir de gré à gré au sommet de l’État par-ci ; on voit éclore des revendications, des mouvements incitant au regroupement de 2, 3, 10 millions de citoyens de telle ou telle communauté par-là. Cette agitation n’est pas anodine, car il s’agit là des prémices d’une guerre de succession au sommet de l’Etat sur une base tribale. Cette situation relève d’une interprétation erronée de la politique de l’Equilibre Régional qui a cours dans notre pays.
LES DÉRIVES DE LA POLITIQUE DE L’ÉQUILIBRE RÉGIONAL DANS LA GESTION ADMINISTRATIVE ET POLITIQUE DU PAYS.
La politique de l’Equilibre Régional instituée dans les années 1970 visait à l’origine le développement harmonieux de toutes les régions et de toutes les couches sociales de notre pays. Elle avait pour but de corriger les inégalités et les disparités sur le plan démographique et les difficultés d’accès à l’éducation de certaines communautés. L’on remarque, par ailleurs, que le découpage territorial des régions administratives correspond à l’implantation géographique des grands groupes communautaires : le Grand Nord arabo-musulman, le Grand Sawa au Littoral, le Grand Ouest Bamiléké, le Nord-Ouest et le Sud-Ouest anglophone, le Grand Sud et Est Bulu-Beti-Fang et assimilés.
La promotion à la tête de structures administratives et politiques de l’Etat obéit à la politique de l’Equilibre Régional ; en général un responsable qui quitte un poste est automatiquement remplacé par une personne originaire de la même région ou de la même communauté que le sortant. Ceci entraîne la perception d’une tribalisation de la promotion aux postes administratifs et politiques. De même, les membres de la communauté du promu se sentent eux-mêmes promus par extension. Ce principe s’étend même à la dévolution du pouvoir au sommet de l’Etat. On comprend pourquoi certains estiment que le Chef de l’Etat sortant doit être automatiquement remplacé par une personne originaire de sa communauté ; d’où la notion de gré à gré véhiculée par certains. Compte tenu de ce qui précède, la question cruciale qui se pose actuellement de manière implicite et qui taraude les esprits est la suivante : de quelle ethnie sera celui qui présidera aux destinées notre pays demain ? La réponse à cette question explique bien la tendance actuelle aux regroupements communautaires dans notre pays.
LES MANŒUVRES TRIBALES EN VUE DE LA PRISE OU DE LA CONSERVATION DU POUVOIR.
Dans le contexte actuel dans notre pays, le pouvoir d’État est perçu comme le pouvoir par extension de la communauté d’origine de celui qui l’incarne. L’on comprend donc pourquoi chaque communauté ressent le besoin de fourbir ses armes, de se ranger en ordre de bataille, de faire le rappel de ses troupes, afin de former un bloc solide autour de ses champions, en vue de vaincre les autres communautés et de propulser l’un des siens au sommet de l’Etat.
Les tractations vont bon train ; on ne lésine pas sur les moyens ; on présente les autres communautés et leurs leaders comme des ennemis à abattre à tout prix et à tous les prix, même malhonnêtes et déloyaux ; on déforme la réalité, on dénigre, on calomnies, on invective, on menace, etc … Toute cette manœuvre savamment orchestrée a pour but de faire croire aux frères du village que leur unique voie de salut réside dans le repli identitaire et le soutien de leur frère qui, seul pourra assurer leur survie face à l’ennemi de l’autre communauté.
En définitive, non seulement miser sur la tribu pour accéder aux hautes fonctions de l’Etat est un archaïsme à l’efficacité douteuse, mais surtout face à la résurgence de ces regroupements tribaux, le risque est grand de voir l’unité nationale déjà fragilisée par la guerre au NOSO et à l’Extrême-Nord avec Boko-Haram , voler définitivement en éclats.
Caroline Meva, Écrivaine